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c'est assez de dire que ses opéra sont encore bien au-dessous de ses tragédies. L'Iphigénie en Tauride de Duché n'est pas sans mérite; elle a été reprise de nos jours avec succès, et Guymond de La Touche en a emprunté deux de ses plus belles scènes. Mais l'amour de Thoas pour Electre, et celui d'Électre pour Pylade, altèrent et affadissent tout le reste de l'ouvrage, dont ces deux scènes sont les seules qui soient dans le sujet. Thétis et Pélée de Fontenelle n'a pas survécu à son auteur, et l'Hésione de Danchet vaut beaucoup mieux que tous les opéra de ces trois écrivains. On sait que ce genre de drame est trèsdépendant des différentes révolutions de la musique Quinault seul (et cela suffirait pour son éloge) a séparé sa gloire de celle de son musicien, au point de gagner dans la postérité autant que Lully a perdu. Il s'en faut de tout que l'auteur d'Hésione lui soit comparable; et, n'étant pas lu comme Quinault, il est peut-être moins connu par le meilleur de ses ouvrages que par le couplet si plaisamment pittoresque dont l'affubla le satirique Rousseau. Je ne serais pas même surpris (tant la malignité trouve les hommes crédules!) que bien des gens crussent tout de bon que Danchet était un imbécille, parce qu'il avait la physionomie niaise. Il n'était pourtant pas dépourvu de talent, et son Hésione en est la preuve, malgré la faiblesse de ses autres productions. Cet opéra, joué la première année de ce siècle,

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eut un très-grand succès, et le méritait. Il est bien conçu et bien conduit; il y a de l'intérêt : le style en est médiocre, mais point au-dessous du genre, et s'il s'élève peu, il ne tombe pas. Il y a même des morceaux qui ont marqué, et tous les amateurs ont retenu ces vers du prologue, qui sont, il est vrai, les meilleurs qu'il ait faits, et que lui fournit la circonstance du siècle qui commençait :

Père des saisons et des jours,

Fais naître en ces climats un siècle mémorable.
Puisse, à ses ennemis ce peuple redoutable,
Être à jamais heureux, et triompher toujours!
Nous avons à nos lois asservi la victoire;
Aussi loin que tes feux nous portons notre gloire.
Fais dans tout l'univers craindre notre pouvoir:
Toi qui vois tout ce qui respire,
Soleil, puisses-tu ne rien voir
De si puissant que cet empire!

Ces trois derniers vers sont la plus heureuse imitation possible de ce beau trait d'Horace :

Possis nihil urbe Româ
Visere majus.

Les couplets du même prologue ne valaient pas, à beaucoup près, cette belle apostrophe, malgré la fortune qu'ils firent alors, et toute la vogue de l'air, devenu depuis celui des affreux couplets attribués à Rousseau. Mais le troisième

était agréable, et ne manquait pas de douceur et de facilité :

Que l'amant qui devient heureux,
En devienne encor plus fidèle:
Que toujours dans les mêmes nœuds
Il trouve une douceur nouvelle.
Que les soupirs et les langueurs
Puissent seuls fléchir les rigueurs
De la beauté la plus sévère;
Que l'amant comblé de faveurs
Sache les goûter et les taire.

Rousseau, qui se moquait de Danchet, était plus loin de lui dans l'opéra que La Motte n'était loin de Rousseau dans l'ode. On a peine à concevoir que notre grand lyrique ait pu tomber si bas, et qu'il ait laissé insérer encore de si malheureux essais dans des éditions qu'il dirigeait lui-même, long-temps après. L'absence du talent dramatique ne détruit pas celui de la versification; et comment Rousseau, si bon versificateur, Rousseau, si admirable dans ses cantates, genre si voisin de l'opéra, pouvait-il faire des vers tels que ceux-ci ?

Au milieu des erreurs d'une guerre effroyable,
Dois-je accabler encore un prince déplorable?...

Ce prince espère en nous; remplissons son attente...

Et lorsqu'un sort heureux répond à notre attente, La beauté de Médée amuse votre bras.

Est-il temps de languir dans une amour nouvelle? N'en suspendez-vous point le cours trop odieux?

Vous allez revoir ce vainqueur
Moins satisfait de sa victoire

Que sensible à la gloire

De toucher votre cœur.

Vos ennemis, livrés au destin de la guerre,
De leur perfide sang ont fait rougir la terre.

La Sibylle séjourne en ces lieux souterrains.

Mais dans l'amoureux empire
Incessamment on soupire...

Chaque moment fait naître en mon esprit confus Un abyme d'incertitude.

Ne tardons plus; cédons à la fureur extrême
Que m'inspire un juste transport, etc.

C'est ainsi que cinq actes de la Toison d'or sont écrits, sans qu'il y ait un seul endroit où l'on puisse retrouver le poëte à travers cet amas de platitudes et de fautes qu'on ne passerait pas à un écolier. En vérité, Voltaire, si souvent outré dans ses haines, n'exagérait pas pour cette fois, quand il disait que ces opéra-là étaient audessous de ceux de l'abbé Picque, l'un des derniers rimailleurs de son temps : il disait vrai.

Vénus et Adonis ne vaut pas mieux : on ne

parle pas d'amour d'un ton plus froid et plus ridicule. C'est Vénus qui nous dit :

Sur l'aimable Adonis je détournai les yeux;
Ce funeste regard commença mon supplice:
Je sentis à l'instant dans mes esprits charmés
Naître tous les transports d'une ardeur violente,
Et le seul souvenir du héros qui m'enchante
Ne les a que trop confirmés.

C'est Mars qui parle du vif éclat de sa juste colère, et du juste trépas qui n'est qu'un degré fatal à la perte de son rival. Un degré fatal à la perte! Des transports confirmés par un souvenir! Une ardeur violente dans des esprits charmés! Cet assemblage de mots incohérents et insignifiants est le vrai style de l'amphigouri est-il possible qu'il ait été deux fois celui de Rousseau ? Et on ne peut pas l'excuser sur l'âge; il avait alors vingt-cinq ans : ce n'est pas l'âge de la maturité, mais c'est déjà celui de la force.

La Motte, dans cette même carrière si peu avantageuse à Rousseau, débutait, précisément à la même époque, par les succès les plus brillants, et ce fut une des premières causes de l'inimitié qui régna toujours entre eux, et dont le principe était uniquement dans la jalousie de Rousseau, comme la preuve en est dans les faits; car si celui-ci se montra bientôt beaucoup plus grand poëte dans ses odes, il échouait en même temps dans ses tentatives dramatiques, et La Motte obtenait des

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