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parer le spectateur à sa venue, en disant un mot de son amitié pour Admète; ce qui offrait de soi-même une variété et un mobile d'intérêt. Mais je ne finirai pas cet article sans déplorer, du moins pour l'honneur de la France, cette misérable ressource, imaginée de nos jours, de livrer impitoyablement nos chefs-d'oeuvre tragiques au ciseau de nos tailleurs d'opéra. Cette mode, accréditée sans réclamation, est la honte de notre littérature; et rien n'accusera plus hautement dans l'avenir la stérilité réelle de talents, mal déguisée sous la vaine abondance de tant de rapsodies, que ce dernier expédient de l'impuissance, qui trouve tout simple de s'emparer de nos plus belles tragédies, pour les réduire à des croquis informes, aussi éloignés du lyrique de Quinault, que du tragique de Racine et de Corneille. «< Est-ce là, dira-t-on, le respect qu'avait cette nation pour les ouvrages dont elle paraissait si fière, pour des monuments du génie qui étaient uniques dans le monde, pour son Andromaque et sa Phèdre, pour son Cid et ses Horaces? Elle les laissait découper en ariettes, pour en faire un objet de trafic entre des rimailleurs qui les barbouillaient de leurs mauvais vers, et des musiciens qui les chargeaient de leurs notes. » Quelle turpitude! Eh! si tu veux être auteur, ne peux-tu pas du moins faire tout seul un mauvais opéra? Te faut-il absolument une bonne tragédie à dépecer? On reprochait à Marmon

tel, fort aigrement et fort mal à propos, de coudre quelques airs aux scènes de Quinault, et ces scènes n'étaient point mutilées, ni même déparées par les airs que Marmontel tournait fort bien; et quand, au lieu de ces vers fameux, que nous savions dès le collége,

Pour aller jusqu'au cœur que vous voulez percer, Voilà par quel chemin vos coups doivent passer,

on vient nous chanter ceux-ci, dont nos derniers rhétoriciens n'auraient pas été capables,

Il faut que votre rage

extrême

S'apprête à me percer le cœur,

on n'entend que des applaudissements, répétés dans les journaux, et perpétués dans des Dictionnaires. Passons qu'on ait pu tolérer une fois cette mutilation de notre Iphigénie, en faveur d'une innovation utile d'abord à la musique et au spectacle, et qu'on ait fait grace aux paroles en faveur de Gluck; passons encore qu'un accompagnement de trompettes et de tambours ait fait s'extasier un public novice à la fois et enthousiaste, jusqu'à ne pas s'apercevoir que l'air en luimême ne vaut guère mieux que les paroles (1):

(1) J'ai vu beaucoup de gens de l'art trouver, comme moi, cet air aussi commun qu'insignifiant; et, quoique les accompagnements soient quelque chose, il ne faut pourtant

Cours de littérature. XII.

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mais fallait-il que le peuple français, en se passionnant pour ses prétentions en musique devînt assez indifférent à sa gloire en poésie pour sacrifier le Racine de la France au Gluck de l'Allemagne, au point de comparer à des vers sublimes des paroles dignes de risée, et de faire de du Roulet un émule de Racine? Non, je ne souffrirai point cette espèce de sacrilége. Tout à l'heure je ne m'en soucierai plus, il est vrai, quand des sacriléges d'une autre espèce m'occuperont tout entier; mais jusqu'à la fin de ce Cours (et que n'y suis-je déja!), je dois tenir ferme à mon poste, et je défendrai le terrain : et après tout j'ai le droit de dire à ceux qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas, que ce ter

pas que le chant, en se séparant de l'orchestre, ne soit plus rien. Si l'on veut s'assurer à quel point celui-là est dénué de caractère et d'expression, il n'y a qu'à le chanter, sans rien changer à la note ni à la mesure, sur ces paroles d'un couplet bachique; et, s'il convient parfaitement à Grégoire à table, il est clair qu'il n'est pas d'Achille en fureur :

Tonneau qu'aujourd'hui j'ai percé,

Un jour me suffit pour te boire.
Bacchus chantera ma victoire,

S'il te voit bientôt renversé ;
Et si, dans l'ardeur qui me guide,
Aujourd'hui, pressé de jouir,
Dans ma cave je fais un vide,
Dès demain je veux le remplir,

Je veux le remplir, etc.

rain est le mien : Terra quam calco, mea est. J'ai même la consolation de savoir qu'il ne restera pas après moi sans défenseur, et je sais à qui résigner ma place.

APPENDICE

DU CHAPITRE PRÉCÉDENT,

Ou Observations sur un ouvrage de M. Grétry, intitulé MÉMOIRES OU ESSAIS SUR LA MUSIQUE.

Lorsque, dans le Journal de Littérature, où j'étais obligé de rendre compte des nouveautés, je me permis de mêler quelques critiques à beaucoup de louanges, en annonçant l'Iphigénie de Gluck, bien loin de vouloir donner à mon opinion plus d'autorité qu'elle n'en devait avoir, je commençai par déclarer. que je ne savais point la musique; et cet aveu, que rien ne nécessitait, puisque je ne parlais pas de l'art en lui-même, était l'opposé d'un charlatanisme très-commun, celui d'affecter des connaissances qu'on n'a pas, ou de dissimuler l'ignorance de ce qu'on n'a pas étudié. Jamais rien ne fut plus éloigné de mon caractère; et sans prétendre que l'on me sût gré de ma bonne foi, je ne croyais pas du moins qu'elle ne dût m'attirer que des injures. Mais j'avais affaire à des hommes qui faisaient arme de tout, et près de qui tout droit était perdu, dès qu'on osait n'être pas de leur avis : c'étaient des philosophes. Dès lors ils n'eurent plus d'autre

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