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champ de bataille que ces mots, répétés de mille manières : Vous ne savez pas la musique: pourquoi en parlez-vous? J'aurais pu répondre, ce que tout le monde savait, que Dubos avait fait un ouvrage généralement estimé sur la poésie, la musique et la peinture, « quoiqu'il ne sût pas un mot de musique, qu'il n'eût jamais fait un vers, et qu'il n'eût pas chez lui un tableau : » ce sont les termes de Voltaire. J'aurais pu ajouter que c'était la première fois qu'on avait incidenté sur ce point, et que jamais on n'avait dit à aucun de ceux qui, depuis tant d'années, avaient, dans les journaux, parlé en bien ou en mal des nouveaux opéra: «< Êtes-vous musicien? Si vous ne l'êtes pas, taisez-vous. » La plupart ne savaient pas plus de musique que moi, et n'avaient pas pris la peine de le dire. C'est qu'en effet ils n'avaient pas plus que moi parlé du technique de la musique, mais de ses effets au théâtre, et de son union avec le drame; toutes choses dont peut juger, suivant ses facultés, quiconque a de l'oreille et du sens. <«< La musique n'a besoin, pour être bien sentie, que de cet heureux instinct que donne la nature. »> C'est l'auteur des Mémoires qui nous le dit, et il ne fait qu'attester une vérité reconnue. Mais l'on avait besoin contre moi d'un subterfuge, pour éluder les raisons, et j'avais assez raisonnablement parlé du mélodrame, pour qu'il ne restât guère d'autre ressource que ce refrain mensonger: Vous parlez de musique sans la savoir.

Il y a dans les arts deux parties : l'une, élémentaire et mécanique, qui n'est connue que des artistes, et dont eux seuls ont le droit de parler; l'autre, qui est le résultat des opérations de l'art, a pour juge quiconque a des organes sensibles et quelque justesse dans l'esprit. Si l'on pouvait nier ce principe incontestable, il s'ensuivrait que les poëtes, les musiciens, les peintres, les sculpteurs, n'auraient de juges que leurs confrères. Je ne crois pas qu'ils voulussent admettre cette conséquence, ni qu'ils y gagnassent beaucoup. Je sais bien que les meilleurs juges en tout genre sont les bons faiseurs, pourvu qu'ils soient sans partialité; ce qui est la chose du monde la plus rare entre eux. Mais eux-mêmes seraient fort fâchés d'imposer silence aux amateurs exercés qui joignent le goût à l'habitude, et qui, s'ils peuvent se tromper comme tout le monde, du moins n'ont pas l'intérêt de tromper; ce qui est déja beaucoup. Un homme qui ne sait pas les règles du dessin ne saura pas en quoi pèche une figure mal dessinée, ni d'où vient le défaut de lumière ou d'ombre; mais il pourra dire que cette tête, cette attitude, ce groupe, manquent d'expression ou de convenance; que cette couleur n'est pas celle de la nature, et même pourquoi. De même, en musique, celui qui n'a pas étudié la composition ne dira pas si elle est correcte et savante, ou si elle ne l'est pas; il ne raisonnera pas sur les combinaisons harmoniques

ni sur les procédés d'une phrase musicale : ce sont là les moyens de l'art, et il n'y entend rien. Mais cet air a-t-il le caractère convenable? ce chant est-il agréable à l'oreille, ou ne l'est-il pas ? le motif établi se retrouve-t-il dans tout ce morceau? cette musique est-elle sèche ou mélodieuse, pauvre ou riche d'expression, monotone ou variée? ce duo est-il bien placé? produit-il l'effet analogue à la situation? ces questions et cent autres semblables appartiennent au goût naturel; et se décidant, comme toutes les autres du même genre, par l'expérience et le temps; la discussion en est permise à tout le monde.

Ces vérités sont si évidentes, qu'il est même honteux qu'on ait eu besoin de les rappeler: mais la honte est pour ceux qui nous y forcent. On ne s'avisa pas d'y répondre quand je fus obligé de les mettre en avant : il n'y avait pas moyen. On n'essaya pas non plus la méthode qui m'a toujours été familière dans toute controverse, et dans cet article comme dans tous les autres, celle des citations, infaillible quand l'adversaire est à moitié réfuté dès qu'il est fidèlement transcrit, mais impraticable quand on ne peut guère le citer sans que le lecteur lui donne raison. On appela au secours tous les enfants de choeur de l'Europe, qui en effet savaient le contre-point mieux que moi on les fit rire d'un homme de lettres qui, sans savoir la musique, ne trouvait pas celle de Gluck admirable en tout; et Gluck

même eut la maladresse de se charger de cette plate facétie en la signant.

Je me souviens que dans ce temps, ouvrant par hasard le Dictionnaire de musique de J. J. Rousseau, j'y retrouvai précisément tout ce que je venais d'écrire sans l'avoir jamais lu. C'étaient absolument les mêmes idées et les mêmes principes, sauf les différences de diction: d'ailleurs, la conformité était frappante. Elle embarrassa un peu les maîtres qui m'avaient si vertement réprimandé; car enfin j'en avais un pour moi, et ce n'était pas le seul. Mais on répondit qu'on ne trouvait pas tout dans les Dictionnaires; ce qui était vrai, mais ce qui n'empêchait pas que je n'y eusse trouvé tout ce qu'il fallait pour avoir raison.

C'est la même chose aujourd'hui : tout ce qui concerne ici l'opéra était écrit quand j'ai lu les Mémoires de l'auteur de Lucile et de Silvain, et j'ai encore eu cette fois le plaisir de m'assurer que, si je ne savais pas la musique, je la sentais du moins comme ceux qui ne réussissent pas mal à en faire. La lecture de cet ouvrage, dont je me suis heureusement avisé dans un moment de loisir, m'a fait éprouver une autre sorte de satisfaction. Je savais bien que l'auteur était, non-seulement un grand artiste, mais homme de beaucoup d'esprit; je ne savais pas qu'il fût écrivain, et il l'est. Il m'avait toujours paru celui de nos compositeurs qui avait eu le plus d'esprit en mu

sique; mais j'ai vu, en le lisant, qu'il en a aussi beaucoup dans son style, et je suis bien aise d'avoir cette occasion de l'en féliciter (1). Les lecteurs ne seront pas fâchés de suivre un moment avec moi un tel homme parlant de son art, et ils jugeront a des rapports entre ce qu'ils viennent de lire et ce que je vais mettre sous leurs yeux.

s'il

y

« Voulez-vous savoir si un individu quelconque est né sensible à la musique? Voyez seulement s'il a l'esprit simple et juste; si, dans ses discours, ses manières, ses vêtements, il n'a rien d'affecté ; s'il aime les fleurs, les enfants; si le tendre sentiment de l'amour le domine: un tel être aime passionnément l'harmonie et la mélodie qu'elle renferme, et n'a nul besoin de composer une

(1) Ce n'est pas que je pense comme lui dans ce qui ne regarde pas directement son art. C'est en musique que son avis est d'un grand poids, et que j'aime à m'en appuyer. Elle n'occupe proprement qu'une moitié de ses Mémoires : l'autre roule sur les passions et les caractères dans leurs rapports avec l'expression musicale, et ces rapports sont encore fort bien saisis. Mais c'est pour lui une occasion de se jeter dans des théories générales sur l'homme, et alors il n'a plus qu'un esprit d'emprunt, puisé dans les plus mauvaises sources. It répète tous les paradoxes de J. J. Rousseau, avec cette sorte de crédulité passionnée qui fait voir seulement que l'imagination est dupe, et que la raison n'a rien examiné; et, comme on ne voit ici ni amour-propre ni mauvaise foi, je suis persuadé qu'avec un peu d'attention il abjurerait des erreurs qui ne sont chères qu'à l'orgueil philosophique.

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