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Encore cette dernière n'est-elle pas sans beaucoup de fautes. Mais l'autre prouve qu'on a eu tort d'attribuer exclusivement à Panard l'adresse de tirer parti de ces vers monosyllabiques qui, bien placés dans la phrase, et d'accord avec le chant, ont d'autant plus d'effet qu'ils semblent moins aisés à encadrer. Vadé s'est souvent servi de ce petit artifice dans des chansons qui d'ailleurs ne valaient rien; mais il l'a employé ici tout aussi heureusement que Panard :

Tout bas le cœur

Dément sa rigueur.

Fille qui dit autrement,

Ment.

Peut-on avoir, quand on dort,
Tort.

Pour arrêter ce jeu-là,

Là.

Il ne reste donc que quelques chansons à ce Vadé, dont on a voulu faire, avec un sérieux très ridicule, le créateur d'un genre (1). On a

(1) On peut voir dans la préface des éditeurs d'un Vadé en six volumes, et à l'article de ce même Vadé dans la Bibliothèque des Théatres, comme on réprimande doctement ceux qui ne veulent pas reconnaître dans ce mime des guinguettes un peintre de la nature.

cru dire quelque chose en l'appelant le Téniers de la poésie quand on eût dit le Callot, cela. n'aurait pas eu plus de sens; et ce n'est pas ici que s'applique le ut pictura poesis, dont on a tant abusé. Il ne faut pas beaucoup de connaissances et de réflexion pour sentir que, si les Halles et les Porcherons peuvent fournir au pinceau et au burin, ils n'ont rien qui ne soit audessous de la poésie. Les arts qui parlent aux yeux ont toujours une ressource dans le mérite de l'exécution matérielle, dans la vérité des couleurs et des formes. Il n'y en a aucun à rimer des quolibets grossiers; ce qui ne suppose d'autre peine que celle de les apprendre. La ressemblance du langage n'est ici d'aucun prix, parce que, dans une nature si basse et à ce point dégradée, c'est précisément le langage qui se refuse à l'imitation, puisque les arts dont le but est d'imiter pour l'ame et l'esprit ont pour principe de ne jamais les révolter ni les dégoûter. Ainsi la tête d'un fort de la halle ou d'une marchande de poisson peut plaire dans un tableau ou dans une gravure, et peut aussi être rendue dans la poésie qui décrit; mais les discours de ces deux personnages-là sont insupportables dans la poésie qui fait parler, et encore plus qu'ils ne le sont par eux-mêmes; car qu'y a-t-il de pis que le travail d'imiter ce dont personne ne se soucie ? On objecte (et c'est le seul argument spécieux) le succès de ces pièces, et le concours qu'elles

attiraient; mais on ne fait pas attention au vrai motif de ce succès. Ce n'était nullement ce qui avait rapport à l'esprit, mais bien ce qui avait rapport aux yeux et aux oreilles: pour celles-ci, le chant des couplets et la gaieté des refrains; pour ceux-là, le masque et le jeu des acteurs ; et cela rentre dans ce qui a été ci-dessus établi. On peut s'amuser à voir la bassesse même et la grossièreté artistement contrefaites; la fidélité de l'imitation fait passer sur le dégoût de la chose; tant l'homme aime naturellement à voir imiter. C'est ainsi que Jeannot attira tout Paris par l'habitude acquise de faire de son visage un masque qui figurait toutes les sortes de nature ignoble, et par un accent qui l'avait rendu supérieurement populaire. Mais quelqu'un faisait-il cas de ce qu'il disait? Je ne le crois pas; et pourtant ses rôles valaient bien le Jérôme et les Racoleurs de Vadé, pour le moins et je ne parle que de ses rôles de jeannoterie; şes Pointus valaient beaucoup mieux. Mais tout cela, en dernier résultat, revient à ce que j'ai dit des arlequinades, et n'est point fait pour être lu, car on lit avec les yeux de l'esprit. En ce genre, acteurs et auteurs ne doivent point quitter les planches (1): des mimes et des bouf

(1) Encore ne peuvent-ils guère divertir qu'un moment. J'allai, comme tout le monde, voir Jeannot dans le temps de sa gloire, et dans la pièce qui fit sa célébrité. Il me fit tant rire, que j'y voulus revenir une seconde fois; car le rire m'a

fons ne sont pas des écrivains, et la sottise la mieux imitée n'est un genre (1) d'écrire que pour les sots.

A l'égard des pièces où Vadé est sorti du ton poissard, le fond en est si mince, elles sont si dénuées d'intrigue et d'action, qu'elles ont dû disparaître, ou se réfugier aux tréteaux des boulevards, quand l'opéra comique fit assez de progrès pour devenir enfin un genre, qu'on peut appeler le mélodrame comique; et il dut ses progrès à des hommes de talent qui l'enrichirent successivement de leurs productions diverses, Favart, Sedaine, Marmontel et d'Hèle, dont il est temps de parler.

toujours fait du bien. Il m'ennuya: c'est que l'étonnement 'était passé, et que je le savais par cœur. C'est bien assez que cette espèce de perfection amuse une fois; c'est tout ce qu'elle peut faire. Il en est de même des bouffons et des mimes de société : au bout d'un quart d'heure ils m'ennuyaient à la mort.

(1) Au moment où l'on imprimait cet article, un des philosophes du Journal de Paris me reprochait gravement de n'avoir point compté la Pipe cassée parmi les poëmes français dont je devais faire mention. Ce philosophe s'appelle Feydel; c'est tout ce que j'en sais, et par sa signature : personne n'a pu m'en apprendre davantage.

SECTION II.

Favart.

Favart est le premier qui ait tiré l'opéra comique de son ancienne et longue roture; et en cela il fit ce que n'avaient pu faire ni Le Sage, ni Piron, ni Boissi, ni Fagan, car ces deux derniers ont aussi laissé, mais dans un entier oubli, quantité d'opéra comiques. C'est une nouvelle preuve qu'il n'est pas toujours vrai que qui peut le plus peut le moins, puisque les auteurs de la Métromanie, de l'Homme du jour et de Turcaret n'ont pu faire un seul opéra comique qui ne fût loin, mais très-loin, de ceux de Favart. Cet homme vraiment estimable, autant par les qualités sociales que par celles d'écrivain, et à qui l'on ne peut au moins disputer la modestie et la douceur, puisqu'il se laissa si long-temps disputer ses ouvrages par l'opinion trompée, et que celui qu'elle lui donnait si malà-propos pour rival (1) ne cessa pas d'être son ami; cet auteur si fécond, sans être trop négligé, a réuni dans ses bonnes pièces, qui sont en assez grand nombre, le naturel, la finesse, la grace, la délicatesse et le sentiment.

Son chef-d'œuvre, qui est encore et peut-être

(1) L'abbé de Voisenon.

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