AGAR DANS LE DÉSERT, COMÉDIE. SCENE PREMIERE. AGAR, ISMAEL. AGAR, tenant fon fils par la main. QUELS triftes lieux!... quelle affreuse foli tude!... y IS MAE L. Maman, retournons chez mon pere; nous étions fi heureux ! AGAR. Hélas! mon enfant, la haine & la jaloufie nous en ont chaffés; & c'est pour toujours. A iv I'S MAE L. La haine ! & quel mal ai-je fait pour la mériter? Et vous, maman, comment peut-on vous haïr? AGAR. L'envie, mon fils, rend injufte & cruel; elle conduit à la haine, la plus odieufe, la plus noire de toutes les paffions. IS MA E LÄ Un cœur fenfible ne l'éprouvera donc jamais? AGAR. Un cœur fenfible peut s'égarer... l'orgueil, mon fils, peut corrompre l'ame la plus tendre, & la livrer à toutes les fureurs de la vengeance. ISMAE L. Ah! maman, fi j'ai de l'orgueil, mettez tous vos foins à m'en corriger. A GA R. La raifon feule doit nous en garantir. L'Auteur de la nature n'a rien fait que de bon; nous lui devons toutes nos vertus, & nos vices font notre ouvrage. ISMA E E. Nous naiffons donc fans orgueil? A. AGAR. Dieu imprima dans nos coeurs un defir falu taire qui nous porte à nous diftinguer, à rechercher la gloire. ISMAEL. C'est l'amour-propre? AGAR. Oui, mon fils, c'eft ce principe divin qui fait les héros & les grands hommes; alors il est pur & tel que Dieu nous l'a donné; mais l'homme corrompu abuse de ce don précieux, il le dénature, l'avilit, le tourne fur des objets vains & frivoles, enfin il en fait l'orgueil. IS MAE L. Maman, Dieu eft bon; quand nous fuivons fa loi, il doit nous aimer. AGA'R. Il est alors notre pere. IS MAE L. Pourquoi donc gémiffez-vous ? Pourquoi fommes-nous fans appui, fans fecours dans ce défert? AGAR. Il veille fur nous, & ne veut que nous éprou ver. IS MAE L. Et cependant la fatigue, le chagrin nous accablent: privés d'afyle & de nourriture, comment réfister à tant de maux? A GAR. Par le courage qui les méprife, par la réfigna tion qui s'y foumet fans murmure. Souffrir eft le partage de la vie : c'est un tems d'épreuve & d'orage,tems rapide & court, fuivi pour la vertu, de l'immortalité, de la gloire & du bonheur. Ceffons donc de nous plaindre. Songeons aux biens qui nous attendent, & tâchons de nous en rendre dignes. IS MAE L. Maman, vous ne craignez donc pas la mort ? Hélas! je ne crains que de vous furvivre. La mort n'eft rien !... c'eft un inftant!.. Mais fouffrir, endurer la faim, la foif, ah, maman!... AGAR. Mon fils, il eft encore un plus affreux tourment... c'est celui de ne pouvoir foulager ce qu'on aime. IS MAE L. Ne l'ai-je pas fenti?.. Je vous ai vu pleurer. AGAR. Ah! mon enfant, fi je pouvois, en donnant ma vie, fauver la tienne!... IS MAE L. Maman!... qu'en ferois-je fans vous?... |