Combien, avant votre sortie,
Un demi-jour m'eût-il duré sans vous parler? Et maintenant les mois, et les ans, et ma vie, Tout sans vous va donc s'écouler.
Seule et mortellement blessée,
Je parcours ce palais de l'un à l'autre bout, Et ne saurais bannir l'espérance insensée Que j'ai de vous trouver partout.
Qui le croirait? je revois, j'aime Les lieux où par le roi vous étiez resserré; Et je vous redemande à cette prison même D'où mon amour vous a tiré.
J'attends avec impatience
Que l'ombre de la nuit se répande sur nous; Ma tristesse redouble en ce vaste silence, Et ce temps m'en paraît plus doux.
Tout me peint l'objet que j'adore, Lorsqu'en mes yeux lassés le sommeil est entré ; En songe quelquefois (ce bien me reste encore) Je crois yous avoir recouvré.
Mais vous avouerai-je une crainte
Qui passe tous les maux de mon cœur agité? Je crains que votre amour n'ait été qu'une feinte Pour obtenir la liberté.
Je me représente sans cesse
Combien vous me pressiez d'ouvrir votre prison; Je ne me souviens point d'aucun trait de tendresse, Vous donniez tout à la raison.
Vous me parliez toujours d'un père
Dont il fallait servir la haine et le courroux; Jamais la liberté ne vous en fut moins chère, Quoiqu'elle m'arrachât à vous.
Hélas! d'où vient que ma mémoire • Repasse les discours et les soins d'un amant? Pour ne le voir jamais, est-il besoin de croire Qu'il m'aimât sans déguisement?
Oui, d'une absence si cruelle
Il faut que cette idée adoucisse l'ennui. J'ai besoin de penser, Marius est fidèle, Et je n'ai pas trop fait pour lui.
Triste plaisir ! douceur trompeuse!
Mes maux, si vous m'aimez, doivent s'en augmenter; Votre perte à mon coeur en est plus douloureuse, Cependant je veux m'en flatter.
Peut-être la fierté romaine
S'oppose aux sentimens que vous auriez pour Je suis une Numide, et votre ame hautaine Dédaigne d'être sous ma loi.
Se peut-il qu'un climat devienne
Pour l'empire d'amour un climat étranger? La beauté qui n'a pas le droit de citoyenne, A toujours celui d'engager.
D'ailleurs, je ne suis plus Numide;
De son propre intérêt mon amour est vainqueur : La naissance n'est rien où la vertu décide, Je suis Romaine par le cœur.
N'admirez plus tant la mémoire
Des plus fameux héros que Rome ait mis au jour; J'ai plus fait par l'effort, quoique moins pour la gloire, J'ai sacrifié mon amour.
Grands dieux! vous vîtes seuls mes peines, De l'excès de mes maux vous fûtes seuls témoins, Lorsqu'enfin arriva la nuit où de ses chaînes Marius sortit par mes soins.
Tandis qu'une troupe choisie.
Conduisait ce dessein sur mes ordres secrets; Tandis, pour dire mieux, qu'on m'arrachait la vie En exécutant mes projets;
Par une tendresse contrainte Je tâchais d'occuper ou d'amuser le roi. Dans l'état où j'étais, quelle cruelle feinte! Quel supplice qu'un tel emploi !
Avec combien d'inquiétude
Je sentais s'écouler et comptais les instans! Ciel disais-je tout bas, dans cette incertitude Sait-on bien se servir du temps?
Prend-on bien toutes ses mesures? Amour, dans ces périls tu m'as fait embarquer; Amour veille pour nous, veille en ces conjonctures, Un rien peut faire tout manquer.
Maintenant, ajoutais-je ensuite,
Des gardes du palais on a trompé les yeux. On vient à Marius, il sort, il prend la fuite, Il est déjà hors de ces lieux.
Alors de cette douce image
Mon esprit à tel point se
Que cet air inquiet dépeint sur mon visage Commençait à se dissiper.
Enfin, quand le roi m'eut quittée, Las de me voir distraite, et peut-être offensé, Je courus, et de crainte et d'espoir agitée, Savoir ce qui s'était passé.
On m'apprit une heureuse issue,
La nouvelle flattait tous les vœux de mon cœur ; Je brûlais de l'apprendre, et quand je l'eus reçue, J'en pensai mourir de douleur.
Tant qu'à me rendre malheureuse Moi-même j'employai mes soins et mes efforts, Je ne sais quel plaisir d'une âme généreuse Me soutint par de doux transports.
Mais cette ardeur de courage
Est, après son effet, prompte à se démentir! Dès que de mes malheurs j'eus achevé l'ouvrage Je commençai de les sentir.
Telle fut ou mon injustice,
Ou la vive douleur de vous avoir perdu, Que j'osai reprocher cet important service A ceux qui me l'avaient rendu.
Mon cœur à lui-même contraire,
De cet heureux succès jouit en gémissant: Je n'en rougirai point; ce qu'Arisbe a su faire Excuse assez ce qu'elle sent.
Que je crains qu'aucune faiblesse N'aide de votre part à me justifier! Libre, regrettez-vous les marques de tendresse Que vous reçûtes prisonnier?
* Vous dûtes vers Arisbe absente,
En sortant de ces lieux, envoyer un soupir;
les bienfaits d'une amante,
S'ils vous firent trop de plaisir.
Un autre amant eût fui moins vite, Pour tourner mille fois les yeux vers ce palais : C'est là que je la laisse, eût-il dit, je la quitte Pour ne la retrouver jamais.
Que sais-je ? un autre amant peut-être, En rompant ses liens, eût rendu des combats. Ah! si dans votre cœur ce sentiment put naître De quoi ne me paya-t-il pas ?
Mais, dieux ! quel bonheur j'envisage!
C'est un prix assez grand que mon amour reçoit, Si près d'une rivale on ne fait pas usage De la liberté qu'on me doit.
(On sait l'histoire de Cléopâtre. Il est besoin de se la rappeler un peu, pour bien entrer dans l'esprit de cette lettre ; car je suppose que Cléopâtre, après la mort d'Antoine, s'étant enfermée dans les tombeaux des rois d'Egypte, écrit à Auguste, et lui tourne le plus adroitement qu'elle peut, pour sa justification, les principaux événemens de sa vie. Surtout il faut se souvenir combien Cléopâtre était une princesse galante, et que dans l'état où elle se trouvait alors, il ne lui restait plus d'autre ressource auprès d'Auguste, qu'une coquetterie bien conduite.)
Je crois devoir, seigneur, vous épargner ma vue. En l'état où je suis j'évite tous les yeux; Je fuis le soleil même, et je suis descendue Dans les tombeaux de mes aïeux.
Ce funeste séjour, conforme à mes pensées Excite mes soupirs, et nourrit mes douleurs ; Ces morts m'offrent en vain leurs fortunes passées : Rien n'approche de mes malheurs.
Ne croyez pas, seigneur, que Cléopâtre y compte La gloire dont le ciel se plaît à vous charger; Dans l'univers entier elle aurait trop de honte D'être seule à s'en affliger.
Reine sans diadême, et n'attendant l'heure D'une prison affreuse ou d'un bannissement, Dans ses états conquis Cléopâtre ne pleure
Que la perte de son amant.
Quand cet amant, et moi par ses désirs guidée, Nous armions contre vous tant de peuples divers, Nous n'avions point conçu l'ambitieuse idée De vous disputer l'univers.
Et ne voyons-nous pas que toujours vers l'empire Le destin vous faisait quelque nouveau degré? Je me rendis à lui sur les mers de l'Épire, Avant qu'il se fût déclaré.
Rien ne nous annonçait encor notre disgrâce; J'en voulus en fuyant prévenir les arrêts; Et depuis, vous savez si l'Égypte eut l'audace De s'opposer à vos progrès.
Non, non, sans jalousie et d'un esprit tranquille De vos heureux succès nous regardions le cours ; Nous voulions seulement assurer un asile
A de malheureuses amours.
Marc-Antoine passait pour le second de Rome, Par mille heureux exploits ce nom fut confirmé. Ses manières, son air, tout était d'un grand homme, L'âme encor plus, et je l'aimai.
Je sais que son esprit violent, téméraire, Toujours aux passions se laissait prévenir: Et je craignais pour lui la fortune prospère Qu'il ne savait pas soutenir.
Je l'aimai cependant: c'est une loi fatale Que l'amour doit causer tous mes événemens; Je m'attache aux héros, je suis tendre, et j'égale Leurs vertus par mes sentimens.
Ah! seigneur, à vos yeux lorsque j'irai paraître, Prenez d'un ennemi le visage irrité;
Traitez-moi, s'il se peut, comme un superbe maître, Je craindrai trop votre bonté.
Je m'apprête à me voir en esclave traînée Dans ces murs orgueilleux des fers de tant de rois. La maison des Césars, telle est ma destinée, Doit triompher de moi deux fois.
César, dont les vertus ont été consacrées, Par mille aimables soins triompha de mon cœur : Et vous triompherez de moi, de ces contrées, Aussi juste, et plus grand vainqueur.
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