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paffions, & pour y peindre avec vérité leurs fymptômes.

Mais, diront les Partifans de l'efprit, ne doit-il pas y avoir plus de mérite à inventer des chofes qui ne furent jamais pensées, qu'à copier la Nature, ainfi que fait votre Peintre, qui excelle dans l'expreffion des paffions? Je leurs réponds qu'il faut favoir faire quelque chofe de plus que copier fervilement la Nature, ce qui eft déja beaucoup, pour donner à chaque paffion fon caractere convenable, & pour bien exprimer les fentimens de tous les perfonnages d'un tableau. Il faut, pour ainfi dire, favoir copier la Nature fans la voir. Il faut pouvoir imaginer avec jufteffe quels font fes mouvemens dans des cir conftances où on ne la vit jamais. Eft-ce avoir la Nature devant les yeux que de deffiner d'après un modéle tranquille, lorsqu'il s'agit de peindre une tête où l'on découvre de l'amour à travers la fureur de la jaloufie? On voit bien une partie de la Nature dans fon modéle, mais on n'y voit pas ce qu'il y a de plus important par rapport au fujet qu'on peint. On voit bien le fujet que la paffion doit animer, mais on ne le voit point dans l'état où la paffion doit le réduire, & c'eft dans cet état qu'il le faut peindre. II. faut

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que

que

le Peintre applique encore à la tête qu'il fait ce que les livres difent en général de l'effet des paffions fur le vifage, & des traits aufquels elles y font marquées. Toutes les expreffions doivent tenir du caractere de tête qu'on donne au perfonnage qu'on représente agité d'une certaine paffion. Il faut donc que l'imagination de l'ouvrier fuplée à tout ce qu'il a de plus difficile à faire dans l'expreffion, à moins qu'il n'ait dans fon attelier un modéle encore plus grand Comédien que

Baron.

SECTION X X V.

Des perfonnages & des actions allégoriques, par rapport à la Poëfie.

Parlons préfentement de l'ufage qu'on peut faire en Poëfie des perfonnages & des actions allégoriques. Les perfonnages allégoriques que la Poële employe, font de deux efpeces. Il en eft de parfaits, & d'autres que nous appellerons imparfaits.

Les perfonnages allégoriques parfaits font ceux que la Poëfie crée entièrement, aufquels elle donne un corps & une ame, & qu'elle

rend

rend capables de toutes les actions, & de tous les fentimens des hommes. C'est ainfi que les Poëtes ont perfonifié dans leurs vers la Victoire, la Sageffe, la Gloire, en un mot, tout ce que nous avons dit que les Peintres avoient perfonifié dans leurs tableaux.

Les perfonnages allégoriques imparfaits font les Etres qui exiftent déja réellement, aufquels la Poëfie donne la faculté de penfer & de parler qu'ils n'ont pas, mais fans leur prêter une exiflence parfaite, & fans leur donner un être tel que le nôtre. Ainfi la Poëfie fait des perfonnages allégoriques imparfaits, quand elle prête des fentimens aux bois, aux fleuves, en un mot, quand elle fait penfer & parler tous les êtres inanimés, ou quand, élevant les animaux audeffus de leur fphere, elle leur prête plus de raifon qu'ils n'en ont, & la voix articulée qui leur manque. Ces derniers perfonnages allégoriques font le plus grand ornement de la Poëfic, qui n'eft jamais fi pompeufe, que lorfqu'elle. anime & qu'elle fait parler toute la Nature. C'est en quoi confifte le fublime du Pfeaume In exitu Ifrael de Egypto, & de quelques autres, dont les perfonnes de goût font auffi touchées que des plus beaux endroits de l'Iliade & de l'Enéïde.

Mais ces perfonnages

imparfaits ne font point propres à jouer un rôle dans l'action d'un Poëme, à moins que cette action ne foit celle d'un Apologue. Ils peuvent feulement comme fpectateurs, prendre part aux actions des autres perfonnages, ainfi que les Chœurs prenoient part aux Tragédies des Anciens.

Je crois qu'on peut traiter dans la Poëfie les perfonnages allégoriques parfaits, cominė nous les avons traités dans la Peinture. Ils n'y doivent pas jouer un des rôles principaux d'une action, mais ils y peuvent feulement intervenir, foit comme les attributs des perfonnages principaux, foit pour exprimer plus noblement par le fecours de la fiction, ce qui paroîtroit trivial, s'il étoit dit fimplement. Voilà pourquoi Virgile perfonifie la Renommée dans l'Enéïde. On remarquera que ce Poëte fait entrer dans fon ouvrage un petit nombre de perfonnages de cette efpece, & je n'ai jamais entendu louer Lucain d'en avoir fait un ufage plus fréquent.

Le Lecteur fera de lui même la réflexion, que Venus, l'Amour, Mars & les autres divinités du Paganifine, font des perfonnages hiftoriques dans l'Enéïde. Les événemens dépeints dans ce Poëme, font arrivés en des tems où le commun des hommes étoit per

fuade

fuadé de leur exiftence. Ces divinités font même des perfonnages hiftoriques dans les Poëmes des Ecrivains modernes qui choififfent leur Scene & leurs Acteurs dans les tems du Paganifme. Ils peuvent donc, en traitant de pareils fujets, employer ces divinités comme des Acteurs principaux; mais qu'ils obfervent de ne point confondre avec elles les perfonnages, qui, comme la Difcorde & la Renommée, n'étoient déja que des perfonnages allégoriques dans ces tenis-là. Quant aux Poëtes qui traitent des actions qui ne fe font point paffées entre des Payens, ils ne doivent employer les divinités fabuleufes que comme des perfonnages allégoriques. Ainfi Minerve, l'Amour, & Jupiter même, ne doivent pas y jouer un rôle principal.

Quant aux actions allégoriques, les Poëtes n'en doivent faire ufage qu'avec un grand discernement. On peut s'en fervir avec fuccès dans les Fables & dans plufieurs autres ouvrages qui font deflinés pour inftruire l'efprit en le divertiffant, & dans lefquels le Poëte parle en fon nom, & peut faire luimême l'application des leçons qu'il prétend nous donner. C'eft à l'aide des actions allégoriques que plufieurs Poëtes nous ont dit, avec agrément, des vérités qu'ils n'auroient

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