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nouvelle pour nous plaire & pour nous toucher. Ces trois manieres font la fimple récitation, celle qui eft accompagnée des mouvemens du corps, laquelle on nomme déclamation, & le chant.

SECTION XL I.

De la fimple récitation & de la décla

mation.

Les premiers homines qui ont fait des vers, ont dû s'appercevoir que la récitation donnoit une force aux vers qu'ils n'ont pas, quand on les lit foi-même fur le papier où ils font écrits. Ils auront donc mieux aimé réciter leurs vers que de les donner à lire. L'harmonie des vers qu'on récite, flatte l'oreille, & augmente le plaifir que le fens des vers eft capable de donner. Au contraire, l'action de lire eft en quelque façon une peine. C'eft une operation que l'œil apprend à faire par le fecours de l'Art, & qui n'est pas accompagnée d'aucun fentiment agréable, comme eft celui qui naît de l'application des yeux fur les objets que nous

offrent des tableaux.

Ainfi que les mots font les fignes arbitrai res de nos idées, de même les différens caracteres qui compofent l'écriture, font les fignes arbitraires des fons dont les mots font compofés. Il est donc néceffaire, quand nous lifons des vers, que les caracteres des lettres réveillent d'abord l'idée des fons dont ils fe trouvent être les fignes arbitraires; & il faut enfuite que les fons des mots, qui ne fe trouvent être eux-mêmes que des fignes ar bitraires, réveillent les idées attachées à ces mots. Avec quelque viteffe & quelque facilité que ces opérations fe faffent, elles ne fauroient fe faire auffi promptement qu'une feule opération. C'eft ce qui arrive dans la récitation, où le mot que nous entendons réveille immédiatement l'idée qui eft liée avec

ce mot.

Je n'ignore pas qu'une belle édition, dont les caracteres bien taillés & bien noirs, font rangés dans une proportion élégante fur du papier d'un bel œil, ne faffe un plaifir senfible à la vuë; mais ce plaifir plus ou moins grand, fuivant le goût qu'on peut avoir pour l'art de l'imprimerie, eft un plaifir à part, & qui n'a rien de commun avec l'émotion que caufe la lecture d'un poëme. Ce plaifir ceffe même, dès qu'on applique fon atten

tion

tion à la lecture, & l'on ne s'apperçoit plus alors de la beauté de l'impreffion que par la facilité que les yeux trouvent à reconoître les caracteres, & à raffembler les mots. Confidérer le Virgile des Elzevirs comme un chef-d'œuvre d'impreffion, ou lire les vers de Virgile pour en fentir les charmes, ce font deux actions très-diftinctes & trèsdifférentes. Il s'agit ici de la derniere. Elle n'eft pas un plaifir par elle-même.

Elle eft fi peu un plaifir; elle nous fait fentir fi peu l'harmonie du vers, que l'instinct nous porte à prononcer tout haut les vers que nous ne lifons que pour nous mêmes, lorsqu'il nous femble que ces vers doivent être nombreux & harmonieux. C'eft un de ces jugemens que l'efprit fait par une opération qui n'eft pas préméditée, & que nous ne connoiffons même que par une réflexion qui nous fait retourner, pour ainfi dire, fur ce qui s'eft paffé dans nous-mêmes. Telles font la plupart des opérations de l'ame dont nous avons parlé, & la plupart de celles dont nous devons parler encore.

La récitation des vers eft donc un plaifir pour nos oreilles, au lieu leur lecture que eft un travail pour nos yeux. En écoutant réciter des vers, nous n'avons pas la peine

de

de lire, & nous fentons leur cadence & leur harmonie. L'auditeur eft plus indulgent que le lecteur, parce qu'il eft plus flaté par les vers qu'il entend, que l'autre par ceux qu'il lit. N'eft-ce pas reconnoître que le plaifir. d'entendre la récitation en impofe à notre jugement, que de remettre à prononcer fur le mérite d'un poëme qui nous a plû, en l'entendant réciter jufques à la lecture que nous en voulons faire, comme on dit, l'œil fur le papier? Il faut, disons-nous, ne point compromettre fon jugement; & fouvent la récitation en impofe. L'expérience que nous avons de nos propres fens, nous enseigne donc que l'œil eft un cenfeur plus févere, qu'il eft pour un poëne un fcrutateur bien plus fubtil que l'oreille, parce que l'œil n'est pas expofé dans cette occafion à fe laiffer féduire, par fon plaifir, comme l'oreille. Plus un ouvrage plaît, moins on est en état de reconnoître & de compter fes défauts. Or l'ouvrage qu'on entend réciter, plaît plus que l'ouvrage qu'on lit dans fon cabinet.

Auffi voyons-nous que tous les Poëtes, ou par instinct, ou par connoiffance de leurs intérêts, aiment mieux réciter leurs vers que de les donner à lire, même aux premiers confidens de leurs productions. Ils ont rai

fon,

fon, s'ils cherchent des loüanges plutôt que des confeils utiles.

tre.

pour

C'étoit la voie de la récitation que les par anciens Poëtes publioient ceux de leurs ouvrages qui n'étoient pas compofés pour le théâOn voit par les Satyres de Juvenal (*), qu'il fe formoit à Rome des affemblées nombreuses entendre réciter les poëmes que leurs Auteurs vouloient donner au public. Nous trouvons même dans les ufages de ce teins-là une preuve encore plus forte du plaifir que donne la fimple récitation des vers qui font riches en harmonie. Les Romains, qui joignoient fouvent d'autres plaifirs au plaifir de la table, faifoient lire quelquefois durant le repas Homere, Virgile & les Poëtes excellens, quoique la plupart des convives duffent favoir par cœur une partie des vers dont on leur faifoit entendre la lecture. Mais les Romains comptoient que le plaifir du rithme & de l'harmonie devoit fuppléer au mérite de la nouveauté qui manquoient à ces vers.

Juvenal (**) promet à l'ami qu'il invite à venir manger le foir chez lui, qu'il entendra lire les vers d'Homere & de Virgile durant le repas, comme on promet aujourd'hui aux

(*) Satyr. prim. & fept. (**) Satyr. 11.

con

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