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nage qu'ils veulent jouer. Ainfi quoique les hommes foient plus capables que les femmes d'une application forte & d'une attention fuivie; quoique l'éducation qu'ils reçoivent, les rende encore plus propres qu'elles à bien apprendre tout ce que l'art pent enfeigner, on avu néanmoins depuis foixante ans fur la Scène Françoife un plus grand nombre d'Actrices excellentes que d'excellens Acteurs. Depuis que le théâtre de l'Opera eft ouvert en France, on n'y a point vu d'hommes exceller dans l'art de la déclamation propre pour accompagner une récitation ralentie par le chant, autant que Mademoiselle Rochoix.

SECTION XLII.

De notre maniere de réciter la Tragédie & la Comédie.

Puisque le but de la Tragédie eft d'exciter la terreur & la compaffion; puifque le merveilleux eft de l'effence de ce Poëme, il faut donner toute la dignité poffible aux perfonnages qui la repréfentent. Voilà pourquoi l'on habille aujourd'hui communément ces perfonnages de vêtemens imaginés à plai

fir, & dont la premiere idée eft prife d'après l'habit de guerre des anciens Romains,habit noble par lui-même, & qui femble avoir quelque part à la gloire du peuple qui le portoit. Les habits des Actrices font ce que l'imagination peut inventer de plus riche & de plus majeftueux. Au contraire on fe fert des habits de ville, c'eft-à-dire, de ceux qui font communément en ufage, pour jouer la Comédie.

Les François ne s'en tiennent pas aux habits pour donner aux Acteurs de la Tragédie la nobleffe & la dignité qui leur conviennent. Nous voulons encore que ces Acteurs parlent d'un ton de voix plus élevé, plus grave & plus foutenu, que celui fur lequel on parle dans les converfations ordinaires. Toutes les négligences que l'ufage autorife dans la prononciation des entretiens familiers, leur font interdites. Cette maniere de réciter eft plus pénible, à la vérité, que ne le feroit une prononciation approchante de celles des converfations ordinaires: mais outre qu'elle a plus de dignité, elle eft encore plus avantageufe pour les fpectateurs, qui par fon moyen, entendent mieux les vers. Les fpeetateurs, qui la plupart font affez éloignés du théâtre, auroient trop de peine à bien entendre des vers tragiques dont le ftyle est Cc 3 figuré,

figuré, s'ils étoient récités plus vîte & plus bas, furtout lorfque ces fpectateurs verroient une piece pour la premiere fois. Une partie des vers leur échapperoit; & ce qu'ils auroient perdu, les empêcheroit fouvent d'être touchés de ce qu'ils entendroient. Il faut encore que les geftes des Acteurs tragiques foient plus mefurés & plus nobles; que leurs démarches foient graves; & que leur contenance foit plus férieufe, que les geftcs, les démarches & le maintien des perfonnages de Comédie. Enfin nous exigeons des Acteurs de Tragédie, de mettre un air de grandeur & de dignité dans tout ce qu'ils font, comme nous exigeons du Poëte qui les fait parler, de le mettre dans tout ce qu'il leur fait dire.

Auffi voyons-nous qu'au fentiment général des peuples de l'Europe, les François font ceux qui réuffiffent le mieux aujourd'hui dans la représentation des Tragédies (*). Quoties difceffit emulatio, fuccedit humanitas. Les Italiens qui nous rendent juftice fans trop de répugnance, quand il s'agit des arts & des talens, où ils ne fe piquent pas d'exceller, difent que notre déclamation tragique leur donne une idée du chant ou de la déclamation

(*) Quint. 1. 11. cap. prim.

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théâtrale des Anciens, que nous avons perdue. En effet, à juger de la déclamation des Romains, & par conféquent de celle des Grecs fur la Scène, par ce qu'en dit Quintilien, la récitation des Anciens devoit être quelque chofe d'approchant de notre déclaination tragique. La Scène des Romains

s'étoit formée fur celle des Grecs.

C'eft de quoi nous parlerons plus au long dans le traité de la Mufique des Anciens, qu'on trouvera à la fin de cet Ouvrage.

Il eft affez établi en Europe, comme je l'ai déja dit, que les François, qui depuis cent ans compofent les meilleures pieces dramatiques qui paroiffent aujourd'hui, font auffi ceux qui récitent le mieux les Tragédies, & qui favent les représenter avec le plus de décence. En Italie, les Acteurs récitent la Tragédie du même ton & avec les mêmes geftes qu'ils récitent la Comédie. Le Cothurne n'y eft prefque pas différent du Socque. Dès que les Acteurs Italiens veulent s'animmer dans les endroits pathétiques, ils font outrés auffitôt. Le Héros devient un Capitan. Je ne dirai qu'un mot des Tragé dies des Poëtes Italiens faites pour être décla mées. Elles font autant au-deffous des pieces de Corneille & de Racine, que les moins Cc 4

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mauvais de nos Poëmes épiques font au-deffous du Roland furieux de l'Ariofte & de la Férufalem délivrée du Taffe. Ou par défespoir d'y réuffir, ou par d'autres motifs que je ne devine point, il paroît que les Italiens négligent depuis longtems la Poëfie dramatique. La Mandragore de Machiavel, l'une des meilleures Comédies qui ayent été faites depuis Térence, & qu'on ne prendroit jamais pour une production d'efprit née dans le même cerveau, où font éclofes tant de réflexions fi profondes fur la guerre, fur la politique, & principalement fur les conjurations, eft demeurée en Italie une pièce unique en fa claffe. La Clitie du même Auteur lui eft bien inférieure. Je ne crois pas que durant le cours du dix-feptiéme fiècle, les Preffes d'Italic nous ayent donné plus d'une trentaine de Tragédies faites pour être déclamées; elles, qui dans ce tems-là mirent au jour tant d'ouvrages d'efprit. Du moins n'en ai-je pas trouvé un plus grand nombre dans les Catalogues de ces fortes d'ouvrages, que des Italiens illuftres dans la République des Lettres ont donnés depuis vingt ans, à l'occafion des difputes qu'ils ont foutenues pour l'honneur de leur Nation.

Les

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