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De tous les talens qui donnent de l'empire fur les autres hommes, le talent le plus puiffant n'eft pas la fupériorité d'efprit & de lumieres: c'eft le talent de les émouvoir à fon gré; ce qui fe fait principalement en paroiffant foi-même ému, & pénétré des fentimens qu'on veut leur infpirer. C'eft le talent d'être comme Catalina, Cujus rei libet fimulator, qu'on appellera, fi on veut, le talent d'être grand Comédien. Ceux des Anglois qui font le mieux informés de l'hifthoire de leur pays, ne parlent pas d'Olivier Cromwel avec la même admiration que le commun de la Nation; ils lui refufent ce génie étendu, pénétrant & fupérieur que lui donnent bien des gens, & ils lui accordent pour tout mérite la valeur du fimple foldat, & le talent d'avoir fu paroitre pénétré des fentimens qu'il vouloit feindre, & auffi ému des paffions qu'il vouloit infpirer aux autres, que s'il les avoit fenties véritablement. Turlow, difent-ils, lui expliquoit dans le tems, & comme on l'explique à une femme qu'on veut faire agir dans une affaire importante, quelles perfones il falloit gagner pour faire réuffir un projet, & par quel endroit il falloit les attaquer. Olivier leur parloit enfuite si pathétiquement, qu'il les gagnoit. L'EuC 4

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rope furprise de le voir détourner à fon avantage l'évenement qu'on avoit cru le devon perdre, lui faifoit honneur pour ce faccès de plufieurs vertus qu'il n'avoit pas : c'est ainfi que fa réputation s'eft établie. Quelques contemporains d'un Miniftre des plus illuftres que la France ait eu dans le dernier fiecle, difoient de lui quelque chofe d'approchant

Quand nous fommes dans un de ces reduits ou plufieurs joueurs font affis autour de différentes tables, pourquoi un inftinc fecret nous fait-il prendre place auprès des joueurs qui rifquent de plus groffes femmes, bien que leur jeu ne foit pas auffi digne de curiofité celui que qui fe joue fur les autres tables? Quel attrait nous ramene auprès d'eux, quand un mouvement de curiofité nous a fait aller voir ce que la fortune décidoit fur les théâtres voifins? C'eftque l'émotion des autres nous émeut nous-mêmes, & ceux qui jouent gros jeu nous émeuvent davantage, parce qu'eux-mêmes ils font plus émus.

Enfin il eft facile de concevoir comment les imitations que la Peinture & la Poëfic nous préfentent, font capables de nous émouvoir, quand on fait réflexion qu'une coquille, une fleur, une inédaille où le tems n'a laiffé que des phantômes de lettres & de figures,

excitent des paffions ardentes & inquiétes: le défir de les voir, & l'envie de les pofféder. Une grande paffion allumée par le plus petit objet, eft un événement ordinaire. Rien n'eft furprenant dans nos paffions qu'une longue durée.

SECTION V.

Que Platon ne bannit les Poëtes de fa République qu'à caufe de l'impreffion trop grande que leurs imitations peuvent faire:

L'impreffion que les imitations font fur nous en certaines circonftances paroît même fi forte, & par conféquent fi dange reufe à Platon, qu'elle eft caufe de la réfolution qu'il prend de ne point fouffrir l'imitation Poëtique, ou la Poëfie proprement dite, dans cette République idéale dont il regle la conftitution avec tant de plaifir. Il craint que les peintures & les imitations qui font l'effence de la Poëfie, ne faffent trop d'effet fur l'imagination de fon peuple favori, qu'il fe repréfentoit avec la conception auffi vive & d'un naturel auffi fenfible que les Grecs fes compatriotes. Les Poëtes, dit

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Platon, ne fe plaisent point à nous décrire la tranquillité de l'intérieur d'un homme fage, qui conferve toujours une égalité d'efprit à l'épreuve des peines & des plaifirs. Ils ne font fervir le talent de la fiction à nous pas peindre la fituation d'un homme qui fouffre avec conftance la perte d'un fils unique

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Ils n'introduisent pas fur les théâtres des per fonnages qui fachent faire taire les paffions devant la raifon. Les Poëtes n'ont pas tort fur ce point. Un Stoïcien joueroit un rôle bien ennuieux dans une tragédie. Les Poëtes qui veulent nous émouvoi c'eft Platon qui reprend la parole, préfentent des objets bien différens: ils introduifent dans leurs Poëmes des hommes livrés à des defirs violens, des hommes en proie à toutes les agitations des paffions, ou qui luttent du moins contre leurs fecouffes. En effet les Poëtes favent fi bien que c'est l'agitation d'un acteur qui nous fait prendre plaifir à l'entendre parler, qu'ils font difparoître les perfonnages dès qu'il eft décidé s'ils feront heureux ou malheureux, dès que leur destinée eft fixée. Or, fuivant le fentiment de Platon, l'habitude de fe livrer aux paffions, même à ces paffions artificielles, que la Poë

(*) De Rep. lib. 10, p. 604. Edit. Serrani.

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fie excite, affoiblit en nous l'empire de l'ame fpirituelle, & nous difpofe à nous laiffer aller aux mouvemens de nos appétits. un dérangement de l'ordre que ce Philofophe voudroit établir dans les actions de l'homme qui, felon lui, doivent être reglées par fon intelligence, & non pas gouvernées par les appétits de l'ame fenfitive."

Platon (*) reproche encore un autre inconvénient à la Poëfie: c'est ques les Poëtes, en fe mettant auffi fouvent qu'ils le font à la place des hommes vicieux dont ils veulent exprimer les fentimens, contractent à la fin les mœurs vicieufes dont ils font tous les jours des imitations. Il eft trop à craindre que leur efprit ne fe corrompe à force de s'entretenir des idées qui occupent les hommes corrompus. Frequens imitatio, a dit depuis Quintilien (**) en parlant des Comédiens, tranfit in mores.

Platon (***) appuie de fa propre expérien ce les raisonnemens qu'il fait fur les mauvais effets de la Poëfie. Après avoir avoué que fouvent il s'eft trop laiflé féduire à fes charil compare la peine q'uil fent à fe fé

mnes,

(*) De Rep. lib, 3. p. 396.
(**). Inft. Or. lib. 1. c. 11.
(***) De Rep. lib. 10. p. 607.

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