페이지 이미지
PDF
ePub

copient ce que leur nation peut avoir de fingulier dans le gefte, dans le maintien & dans la prononciation. Il faut qu'ils fe moulent d'après leurs compatriotes. Généralement parlant, il eft des peuples qui varient davantage leurs tons de voix, qui mettent des accens plus aigus & plus fréquens dans leur prononciation, & qui gefticulent avec plus d'activité que d'autres. Comme le naturel de certaines nations eft plus vif que le naturel d'autres nations, l'action des unes eft plus vive que l'action des autres. Leurs fentimens, leurs paffions s'échappent avec une impétuofité qu'on n'apperçoit pas en d'autres nations. Les François n'ufent point de certains geftes, de certaines démonftrations avec les doigts, ils ne rient point comme les Italiens. Les François ne varient pas leur prononciation par de certains accens qui font ordinaires en Italie, inême dans les converfations familieres. Or un Acteur de Comédie, qui dans fa décla mation imiteroit la prononciation & la gefticulation d'un peuple étranger, pécheroit contre la regle que nous avons rapportée. Par exemple, un Comédien Anglois qui metteroit autant de vivacité dans fes geftes; qui marqueroit autant d'inquiétude dans fa

con

contenance, autant de contention dans fon visage; qui placeroit des exclamations auffi fréquentes dans fa prononciation, qui les feroit auffi marquées qu'un Florentin; un Comédien Anglois enfin qui joueroit comme un Comédien Italien, joueroit mal. Les Anglois qui doivent lui fervir de modéle, ne fe comportent pas ainfi. Ce qui fuffit pour agiter un Italien, n'eft pas fuffifant pour remuer un Anglois. Un Anglois, à qui l'on prononce l'arrêt qui le condamne à la mort, montre moins d'agitation qu'un Italien que fon juge condamne à un écu d'a

mende.

Le meilleur Acteur de Comédie eft donc celui qui réuffit le mieux dans l'imitation théâtrale de fes originaux, tels que puiffent être les originaux qu'il copie. Si les Comédiens d'un pays plaifent plus aux étrangers

les Comédiens des autres pays, c'eft que que ces premiers Comédiens feront formés d'après une nation, qui naturellement aura plus de gentilleffe dans les manieres, & plus d'agrément dans l'élocution, que les autres

nations.

SECTION XLI I I.

Que le plaifir que nous avons au Théâtre, n'eft point produit par l'illufion.

Pillu

Des perfonnes d'efprit ont cru que fion étoit la premiere caufe du plaisir que nous donnent les fpectacles & les tableaux. Suivant leur fentiment, la représentation du Cid ne nous donne tant de plaifir que par l'illufion qu'elle nous fait. Les vers du grand Corneille, l'appareil de la Scène & la déclamation des Acteurs nous en impofent affez pour nous faire croire, qu'au lieu d'affifter à la représentation de l'événement, nous affiftons à l'événement même, & que nous voyons réellement l'action, & non pas une imitation. Cette opinion me paroît infoutenable.

Il ne fauroit y avoir d'illufion dans l'efprit d'un homine qni eft en fon bon fens, à moins que précédemment il n'y ait eu une illufion faite à fes fens. Or il est vrai que tout ce que nous voyons au théâtre, concourt à nous émouvoir; mais rien n'y fait illufion à nos fens, car tout s'y montre com

[ocr errors]

me imitation. Rien n'y paroît, pour ainfi dire, que comme copie. Nous n'arrivons pas au théâtre dans l'idée que nous y verrons véritablement Chimene & Rodrigue. Nous n'y apportons point la prévention avec laquelle celui qui s'eft laiffé perfuader par un Magicien qu'il lui fera voir un spectre, entre dans la caverne où le phantôme doit apparoître. Cette prévention difpofe beaucoup à l'illufion, mais nous ne l'apportons point au théâtre. L'affiche ne nous a promis qu'une imitation ou des copies de Chimene & de Phedre. Nous arrivons au théâ tre, préparés à voir ce que nous y voyons; & nous y avons encore perpétuellement cent chofes fous les yeux, lefquelles d'inftant en inftant nous font fouvenir du lieu où nous fommes, & de ce que nous fommes. Le fpectateur y conferve donc fon bon fens, malgré l'émotion la plus vive. C'eft fans. extravaguer qu'on s'y paffionne. Il fe peut faire tout au plus qu'une jeune personne d'un naturel très-fenfible, fera tellement transportée par un plaifir encore nouveau pour elle, que fon émotion & fa furprise lui feront faire quelque exclamation ou quelques geftes involontaires, qui montreront qu'elle ne fait point une attention actu

Tome I.

Dd

elle

elle à la contenance qu'il convient de garder dans une affemblée publique. Mais bien-tôt elle s'appercevra de fon égarement momentanné, ou, pour parler plus jufte, de fa diftraction. Car il n'eft pas vrai qu'elle ait cru, durant fon raviffement, voir Rodrigue & Chimene. Elle a feulement été touchée prefque auffi vivement qu'elle l'auroit été, fi réellement elle avoit vu Rodrigue aux pieds de fa maîtresse dont il vient de tuer le pere.

Le

Il en eft de même de la Peinture. tableau d'Attila peint par Raphaël, ne tire point font mérite de ce qu'il nous en impofe affez pour nous féduire & pour nous faire croire que nous voyons véritablement faint Pierre & faint Paul en l'air, & inenaçant l'épée à la main ce Roi barbare entouré des troupes qu'il nenoit faccager Rome. Mais dans le tableau dont je parle, Attila repréfente fi naïvement un Scythe épouvanté, le Pape Leon qui lui explique cette vifion, montre une affurance fi noble & un maintien fi conforme à fa dignité; tous les affiftans reffemblent fi bien à des hommes qui fe rencontreroient chacun dans la même circonftance où Raphaël a fuppofé fes différens perfonnages, les chevaux même concou

rent

« 이전계속 »