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vous m'avez fait penser à vous malgré moi; & ce que vous m'avez mandé de votre belle voifine, a fait malgré le péril retourner mon amour en France avec plus de précipitation qu'il n'en étoit forti. Eft-ik poffible, Madame, qu'elle ait du chagrin de mon absence, & qu'elle fouhaite fr impatiemment mon retour? Cette nouvelle m'a donné toute la joye dont je fuis capable; mais pourquoi ne me laiffiezvous pas goûter un peu cette joie? Fal Joit-il ajoûter enfuite qu'elle fouhaite mon retour, afin que je puiffe voir les foins & les affiduités qu'a préfentement pour elle Monfieur de...? Dois-je croire qu'elle vous ait priée de me donner une nouvelle fi fâcheufe? S'imagine-t'elle que fa conquête feroit imparfaite, fi elle n'avoit le plaifir de triompher en ma préfence? Quoi donc, cette cruelle perfécu tera les gens jufques hors du Royaume & je ne ferai pas à couvert de fes rigueurs,. dans un lieu où je ferois à couvert de la colere du Roi, quand même je l'aurois offenfé? Eft il poflible qu'il n'y ait point de pays qui foit exempt de fa tyrannie, & qu'en quelque lieu qu'on fuie, on ne puiffe pas fuir fon efclavage? Affurez-là, je vous fupplie, qu'il n'eft pas néceffaire que je retourne à... pour avoir l'afflic tion de me voir un Rival de cette impor

i tance ; & que fa fatisfaction doit être entiere, puifque fans être le témoin de mon malheur, j'en ai un déplaifir fi grand que peut-être il m'obligera de me précipiter dans la mer, quand nous, retourneBons en France. Peut-être auffi que je n'en ferai rien; car fi je penfe à la triftef fe que vous en auriez, & à la joye qu'elle en recevroit, j'aimerai mieux vous exempter de cette trifteffe, que de lui donner cette joye. Sans doute que j'y trouverai mieux mon compte, & que pour cette fois il y aura plus de plaifir à fatisfaire l'Amitié que l'Amour. Ne lui dites pourtant pas que je fuis prefque réfolu à n'en pas mourir; car je crois qu'elle en mourroit elle-même de dépit. Dites-lui, s'il vous plaît, que mon nouveau Rival me donne toute la jaloufie, & toute l'affliction. qu'elle fouhaite, & qu'il n'y a point d'apparence que j'en échappe. Dites à Madame de... que j'ai ici pensé à elle, & qu'y trouvant des Bas fort propres & de trèsbelles Jarretieres, j'en ai fait provifion pour les lui porter à mon retour ; & quand une fois elle en fera parée, elle se pourra vanter d'avoir la jambe la plus mignonede la Province, quelque chofe qu'en puif fe dire le Préfident de... Dites auffi à Mademoiselle D...... que je lui fuis toujours, fidéle à conferver le fecret qu'elle:

me confia; que je n'ai pas parlé à un feuf Anglois depuis que je fuis à Londres, & qu'il n'y a pas ici un Chevalier qui porte fur le cœur plus fortement gravé que moi Honni foit qui mal y penfe. Après cela, Madame, dites-vous un peu à vous-mê me ce que je vous fuis, & prenez bien garde de ne rien diminuer à cette vérité.

Si vous me faites l'honneur de m'écrire à Paris, & de vous fervir de l'adresse que je vous ai donnée, vos Lettres viendront me trouver en Hollande. Beaucoup de gens y vont chercher fortune; mais pour moi je croirai l'y avoir trouvée, fij'y trouve quelqu'une de vos Lettres. Je fuis, &c.

A Madame de ***, fur les louanges finceres

MADAME,

N

E croyez point que ceci foit une exagération; je vous exprime mes véritables fentimens, quand je compare vos Vers aux chofes du monde les plus précieuses. Il me femble que ma fincérité vous eft affez connue, pour ne plus douter de mes paroles, & que je vous ai fait voir affez clairement qu'il ne me feroit pas poffible de louer de méchans Vers, quand ils feroient dans les ouvrages d'Ho

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mere, dans ceux de Virgile ou de Corneille. La maniere avec laquelle je vous parlai une fois de quelques légeres taches que j'apperçus en des Stances que vous aviez faites, vous doit bien perfuader de cette vérité.Si votre Idylle n'étoit à mon goût auffi excellent qu'il peut être, je vous le dirois préfentement avec la même liberté. Peut-être que cette liberté, vous parut un peu étrange, & que vous conclutes de mon procédé, que je ne fçavois gueres le monde, puifque j'avois fi peu de complaifance pour une perfonne qui mérite celle de tous les honnêtes gens. Peut-être même que cette liberté a été la caufe de l'interruption de notre commerce: mais fans mentir, Madame, c'est une mauvaife habitude que j'ai prife depuis long-tems, & que je ne puis plus furmonter. Il m'eft impoffible de louer ce qui ne me femble pas digne de loüange, & je ne fuis pas le premier qui ait été fujet à cette foibleffe. Dès le tems que, Denis le Tyran regnoit à Syracuse, il avoit à fa Cour un Poëte qui étoit encore moins complaifant que moi. Ce Prince com ne vous fçavez, fe picquoit de faire des Vers; & quoiqu'il les fit fort mal, il les récitoit publiquement, & en rompoit, la téte à tous fes Courtifans, qui étoient obligés de les louer aveuglément, à moins

que de vouloir s'expofer à la colere de l'homme du monde le plus cruel. Toutefois un certain Poëte nommé Philoxene, ayant été un jour du nombre de fes Auditeurs, malgré les applaudiffemens publics, ne pût s'empêcher de dire tout haut, que les Vers qu'il venoit d'entendre, étoient infupportables

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&

ni

qu'il n'y avoit ni efprit, ni invention, éloquence. Le Prince n'entendit point raillerie, il reçût cette liberté comme un outrage, & condamna fur l'heure Philoxene à aller travailler aux Carrieres pour le refte de fes jours.. Et cela, Madame, n'étoit pas moins que de le condamner aux Galeres à perpétuité. Philoxene n'en témoigna pas le moindre chagrin; ily

alla

gayement, & jura qu'il trouvoit plus doux de tirer des pierres à la fueur de fon corps le refte de fa vie, que d'être contraint de louer de méchans Vers. Pendant fon abfence, Denis le regretta: car comme il étoit idolâtre de fes propres ouvrages, & que Philoxene paffoit pour le plus excellent Poëte de la Sicile, il fouhaitoit avec paffion d'en être approuvé, fe perfuadant que l'approbation d'un Poëte li eftimé, mettroit fa Poëfie en réputation. C'est ce qui l'obligea d'envoyer dix fois des Commiffaires aux Carrieres, avec ordre d'en retirer Philoxene, pour

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