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le théâtre mieux qu'aucun auteur anglais, me fit l'honneur de traduire ma pièce, dans le dessein d'introduire sur votre scène quelques nouveautés, et pour la manière d'écrire les tragédies, et pour celle de les réciter. Je parlerai d'abord de la représentation.

L'art de déclamer était chez vous un peu hors de la nature; la plupart de vos acteurs tragiques s'exprimaient souvent plus en poëtes saisis d'enthousiasme qu'en hommes que la passion inspire. Beaucoup de comédiens avaient encore outré ce défaut; ils déclamaient des vers ampoulés avec une fureur et une impétuosité qui est au beau naturel ce que les convulsions sont à l'égard d'une démarche noble et aisée.

Cet air d'empressement semblait étranger à votre nation, car elle est naturellement sage; et cette sagesse est quelquefois prise pour de la froideur par les étrangers. Vos prédicateurs ne se permettent jamais un ton de déclamateur. On rirait chez vous d'un avocat qui s'échaufferait dans son plaidoyer. Les seuls comédiens étaient outrés. Nos acteurs, et surtout nos actrices de Paris, avaient ce défaut il y a quelques années : ce fut mademoiselle le Couvreur qui les en corrigea. Voyez ce qu'en dit un auteur italien de beaucoup d'esprit et de sens :

<< La legiadra Couvreur sola nou trotta
« Per quella strada dove i suoi compagni

« Van di galoppo tutti quanti in frotta;
«Se avvien ch'ella pianga, o che si lagni
<<< Senza quegli urli spaventosi loro,

« Tu muove sì che in pianger l'accompagni. >>

Ce même changement que mademoiselle le Couvreur avait fait sur notre scène, mademoiselle Cibber vient de l'introduire sur le théâtre anglais. dans le rôle de Zaïre. Chose étrange, que, dans tous les arts, ce ne soit qu'après bien du temps qu'on vienne enfin au naturel et au simple!

Une nouveauté qui va paraître plus singulière aux Français, c'est qu'un gentilhomme de votre pays, qui a de la fortune et de la considération, n'a pas dédaigné de jouer sur votre théâtre le rôle d'Orosmane. C'était un spectacle assez intéressant de voir les deux principaux personnages remplis, l'un par un homme de condition, et l'autre par une jeune actrice de dix-huit ans, qui n'avait pas encore récité un vers en sa vie.

Cet exemple d'un citoyen qui a fait usage de son talent pour la déclamation n'est pas le premier parmi vous. Tout ce qu'il y a de surprenant en cela, c'est que nous nous en étonnions.

Nous devrions faire réflexion que toutes les choses de ce monde dépendent de l'usage et de l'opinion. La cour de France a dansé sur le théâtre avec les acteurs de l'Opéra, et on n'a rien trouvé en cela d'étrange, sinon que la mode de ces divertissements ait fini. Pourquoi sera-t-il plus étonnant

de réciter que de danser en public? Y a-t-il d'autre différence entre ces deux arts, sinon que l'un est autant au-dessus de l'autre, que les talents où l'esprit a quelque part sont au-dessus de ceux du corps? Je le répète encore, et je le dirai toujours : aucun des beaux arts n'est méprisable; et il n'est véritablement honteux que d'attacher de la honte aux talents.

Venons à présent à la traduction de Zaïre, et au changement qui vient de se faire chez vous dans l'art dramatique.

Vous aviez une coutume à laquelle M. Addisson, le plus sage de vos écrivains, s'est asservi lui-même: tant l'usage tient lieu de raison et de loi! Cette coutume peu raisonnable était de finir chaque acte par des vers d'un goût différent du reste de la pièce; et ces vers devaient nécessairement renfermer une comparaison. Phèdre, en sortant du théâtre, se comparait poétiquement à une biche, Caton à un rocher, Cléopâtre à des enfants qui pleurent jusqu'à ce qu'ils soient endormis.

Le traducteur de Zaïre est le premier qui ait osé maintenir les droits de la nature contre un goût si éloigné d'elle. Il a proscrit cet usage; il a senti que la passion doit parler un langage vrai, et que le poëte doit se cacher toujours pour ne laisser paraître que le héros.

C'est sur ce principe qu'il a traduit, avec naïveté et sans aucune enflure, tous les vers simples de la

pièce, que l'on gâterait si on voulait les rendre beaux.

On ne peut désirer ce qu'on ne connaît pas.

***

J'eusse été près du Gange esclave des faux dieux,
Chrétienne dans Paris, musulmane en ces lieux.

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Non, la reconnaissance est un faible retour,
Un tribut offensant, trop peu fait pour l'amour.

***

Je me croirais haï d'être aimé faiblement.

***

Je veux avec excès vous aimer et vous plaire.

L'art n'est pas fait

* * *

pour toi, tu n'en as pas besoin.

***

L'art le plus innocent tient de la perfidie.

Tous les vers qui sont dans ce goût simple et vrai sont rendus mot à mot dans l'anglais. Il eût été aisé de les orner; mais le traducteur a jugé autrement que quelques-uns de mes compatriotes: il a aimé et il a rendu toute la naïveté de ces vers. En effet, le style doit être conforme au sujet. Alzire, Brutus et Zaïre demandaient, par exemple, trois sortes de versifications différentes.

Si Bérénice se plaignait de Titus, et Ariane de Thésée, dans le style de Cinna, Bérénice et Ariane ne toucheraient point.

Jamais on ne parlera bien d'amour, si l'on cherche d'autres ornements que la simplicité et la vérité.

Il n'est pas question ici d'examiner s'il est bien de mettre tant d'amour dans les pièces de théâtre. Je veux que ce soit une faute; elle est et sera universelle et je ne sais quel nom donner aux fautes qui font le charme du genre humain.

Ce qui est certain, c'est que, dans ce défaut, les Français ont réussi plus que toutes les autres nations anciennes et modernes mises ensemble. L'amour paraît sur nos théâtres avec des bienséances, une délicatesse, une vérité qu'on ne trouve point ailleurs. C'est que, de toutes les nations, la française est celle qui a le plus connu la société.

Le commerce continuel, si vif et si poli des deux sexes, a introduit en France une politesse assez ignorée ailleurs.

La société dépend des femmes. Tous les peuples qui ont le malheur de les enfermer sont insociables; et des mœurs encore austères parmi vous, des querelles politiques, des guerres de religion, qui vous avaient rendus, farouches, vous ôtèrent, jusqu'au temps de Charles II, la douceur de la société, aụ milieu même de la liberté. Les poëtes ne devaient donc savoir, ni dans aucun pays, ni même chez les Anglais, la manière dont les honnêtes gens traitent l'amour.

La bonne comédie fut ignorée jusqu'à Molière,

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