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comme l'art d'exprimer sur le théâtre des sentiments vrais et délicats fut ignoré jusqu'à Racine; parce que la société ne fut pour ainsi dire dans sa perfection que de leur temps. Un poëte, du fond de son cabinet, ne peut peindre des mœurs qu'il n'a point vues; il aura plus tôt fait cent odes et cent épîtres qu'une scène où il faut faire parler la nature.

Votre Dryden, qui d'ailleurs était un très grand génie, mettait dans la bouche de ses héros amoureux, ou des hyperboles de rhétorique, ou des indécences, deux choses également opposées à la tendresse.

Si M. Racine fait dire à Titus :

«Depuis cinq ans entiers chaque jour je la vois,
« Et crois toujours la voir pour la première fois, »>

votre Dryden fait dire à Antoine :

<< Ciel! comme j'aimai! Témoins les jours et « les nuits qui suivaient en dansant sous vos pieds. « Ma seule affaire était de vous parler de ma pas<«<sion: un jour venait et ne voyait rien qu'amour ; <«<< un autre venait, et c'était de l'amour encore. « Les soleils étaient las de nous regarder, et moi << je n'étais point las d'aimer. »>

Il est bien difficile d'imaginer qu'Antoine ait en effet tenu de pareils discours à Cléopâtre.

Dans la même pièce, Cléopâtre parle ainsi à Antoine :

« Venez à moi, venez dans mes bras, mon cher «< soldat; j'ai été trop long-temps privée de vos <«< caresses. Mais quand je vous embrasserai, quand << vous serez tout à moi, je vous punirai de vos <«< cruautés, en laissant sur vos lèvres l'impression << de mes ardents baisers. >>

Il est très vraisemblable que Cléopâtre parlait souvent dans ce goût; mais ce n'est point cette indécence qu'il faut représenter devant une audience respectable.

Quelques-uns de vos compatriotes ont beau dire : c'est là la pure nature. On doit leur répondre que c'est précisément cette nature qu'il faut voiler avec soin.

Ce n'est pas même connaître le cœur humain, de penser qu'on doit plaire davantage en présentant ces images licencieuses; au contraire, c'est fermer l'entrée de l'âme aux vrais plaisirs. Si tout est d'abord à découvert, on est rassasié; il ne reste plus rien à chercher, rien à désirer, et on arrive tout d'un coup à la langueur en croyant courir à la volupté. Voilà pourquoi la bonne compagnie a des plaisirs que les gens grossiers ne connaissent pas.

Les spectateurs, en ce cas, sont comme les amants qu'une jouissance trop prompte dégoûte : ce n'est qu'à travers cent nuages qu'on doit entrevoir ces idées, qui feraient rougir présentées de trop près. C'est ce voile qui fait le charme des

honnêtes gens; il n'y a point pour eux de plaisir sans bienséance.

Les Français ont connu cette règle plus tôt que les autres peuples, non parce qu'ils sont sans génie et sans hardiesse, comme le dit ridiculement l'inégal et impétueux Dryden, mais parce que, depuis la régence d'Anne d'Autriche, ils ont été le peuple le plus sociable et le plus poli de la terre; et cette politesse n'est point une chose arbitraire, comme ce qu'on appelle civilité, c'est une loi de la nature qu'ils ont heureusement cultivée plus que les autres peuples.

Le traducteur de Zaïre a respecté presque partout ces bienséances théâtrales, qui vous doivent être communes comme à nous; mais il y a quelques endroits où il s'est livré encore à d'anciens usages.

Par exemple, lorsque dans la pièce anglaise Orosmane vient annoncer à Zaïre qu'il croit ne la plus aimer, Zaïre lui répond en se roulant par terre. Le sultan n'est point ému de la voir dans cette posture ridicule et de désespoir, et le moment d'après il est tout étonné que Zaïre pleure. Il lui dit cet hémistiche:

Zaïre, vous pleurez !

Il aurait dû lui dire auparavant :

Zaïre, vous vous roulez par terre!

Aussi ces trois mots, Zaïre, vous pleurez, qui font un grand effet sur notre théâtre, n'en ont fait

aucun sur le vôtre, parce qu'ils étaient déplacés. Ces expressions familières et naïves tirent toute leur force de la seule manière dont elles sont amenées. Seigneur, vous changez de visage, n'est rien par soi-même; mais le moment où ces paroles si simples sont prononcées dans Mithridate fait frémir.

Ne dire que ce qu'il faut, et de la manière dont il le faut, est, ce me semble, un mérite dont les Français, si vous m'en exceptez, ont plus approché que les écrivains des autres pays. C'est, je crois, sur cet art que notre nation doit être crue. Vous nous apprenez des choses plus grandes et plus utiles : il serait honteux à nous de ne le pas avouer. Les Français qui ont écrit contre les découvertes du chevalier Newton sur la lumière en rougissent; ceux qui combattent la gravitation en rougiront bientôt.

Vous devez vous soumettre aux règles de notre théâtre, comme nous devons embrasser votre philosophie. Nous avons fait d'aussi bonnes expériences sur le cœur humain que vous sur la physique. L'art de plaire semble l'art des Français, et l'art de penser paraît le vôtre. Heureux, monsieur, qui comme vous les réunit! etc.

A MADEMOISELLE GAUSSIN,

JEUNE ACTRICE QUI A REPRÉSENTÉ LE RÔLE DE ZAÏRE AVEC BEAUCOUP DE SUCCÈS.

JEUNE Gaussin, reçois mon tendre hommage;
Reçois mes vers au théâtre applaudis ;
Protège-les: Zaïre est ton ouvrage;

Il est à toi, puisque tu l'embellis.

Ce sont tes yeux, ces yeux si pleins de charmes,
Ta voix touchante et tes sons enchanteurs
Qui du critique ont fait tomber les armes.
Ta seule vue adoucit les censeurs.
L'illusion, cette reine des cœurs,
Marche à ta suite, inspire les alarmes,
Le sentiment, les regrets, les douleurs,
Et le plaisir de répandre des larmes.

Le dieu des vers, qu'on allait dédaigner,
Est par ta voix aujourd'hui sûr de plaire;
Le dieu d'amour, à qui tu fus plus chère,
Est par tes yeux bien plus sûr de régner.
Entre ces dieux désormais tu vas vivre :
Hélas! long-temps je les servis tous deux;
Il en est un que je n'ose plus suivre.
Heureux cent fois le mortel amoureux

Qui tous les jours peut te voir et t'entendre,

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