L'IMPROMPTU DE L'AMOUR.

Comédie en un acte, en profe,
19 Novembre 1759.

UNE jeune Américaine, nommée

Agathine, nouvellement arrivée en France, infpire de l'amour à Cliton, frere de Bélife, laquelle s'eft chargéed'Agathine. Cliton pour s'en faire aimer, fe traveftit en Jardinier,& prend le nom de Lucas; fous ce déguisement, il plaît à Agathine, qui lui avoue naïvement fon penchant. Cliton a formé le deffein de l'époufer; mais il craint que cette jeune Américaine ne refufe fa main s'il fe découvre à elle, parce qu'elle voit que les Epoux riches ne s'aiment point en France; ce qui lui donne une grande répugnance pour époufer un homme riche. Cliton pour détruire cette répugnance, imagine de faire venir des Acteurs de Paris, qui exécuteront une fcène entre l'Amour & la Sageffe, dont l'effet doit faire revenir Agathine de fa prévention. On fait croire à cette jeune fille que l'Amour doit venir dans ce lieu pour fe juftifier aux yeux de la

Sageffe, de tous les torts qu'on lui impute. Elle fe prête avec docilité à cette invention, & après avoir écouté la juftification de l'Amour, elle demande confeil à ce Dieu fur le parti qu'elle doit prendre. Elle aime Lucas, dit-elle; mais elle lui trouve une ame ambitieuse; il veut devenir riche, & elle craint que leur amour ne puiffe fubfifter avec les richeffes. L'Amour la raffure, & lui dit qu'il veut faire leur fortune, qu'elle peut l'accepter de lui fans crainte, & que la tendreffe de Cliton n'y perdra rien. Agathine fe rend; elle donne fa main à Lucas, qu'elle reconnaît enfuite pour Cliton, & la Piece finit par un Ballet.

On a trouvé dans cette Piece peu d'action & le dénouement romanefque ; mais on y a remarqué bien des chofes agréables & beaucoup de facilité dans le ftile. Monfieur de Moiffy en eft l'Auteur; elle a eu bien moins. de fuccès que la Nouvelle Ecole des Femmes, qui lui fait tant d'honneur.

Mort de Zanetta Rofa Benozzi.

De toutes les pertes que le Théâtre Italien fit cette année, la plus fenfi

ble & la plus confidérable fans doute, fut celle de Zanetta Rofa Benozzi, connue fous le nom de Silvia. Cette Actrice inimitable était venue avec la Troupe en 1716. Elle joua pendant quarante-deux ans les rôles d'Amou reuses, avec la même vivacité, la même finefle, & la même illufion; jamais le Public inconftant ne fe refroidit pour elle; elle jouit des applaudiffemens jufqu'au moment de fa mort, & emporta les plus vifs regrets. Elle excellait furtout dans les Pieces de Monfieur de Marivaux, dont elle avait parfaitement faifi le dialogue fin & fpirituel; un volume fuffirait à peine pour contenir tous les éloges qu'elle a reçus, tant en profe qu'en vers; nous nous contenterons de rapporter cette Fable, qui nous a paru digne de lui avoir été adreffée.

PROTH É E.

Depuis qu'on a banni de la fcène ennoblie; Le comique groffier, les obfcènes couleurs Des premiers pinceaux de Thalie; Depuis que l'efprit feul produit de vrais Ac

teurs,

Qui de nos mœurs fi bien nous traça la pein

ture

Tant d'agrément fur la fcène employa,
Sauva mieux l'art, rendit mieux la nature,
Que fait l'aimable Silvia ?

D'un talent fi nouveau je connais le modele,
C'eft un fecret qu'amour m'a déclaré,

Non qu'en ce point le Dieu m'ait préféré,
A qui l'amour ne parle-t-il point d'elle ?
Or voila le fecret, peut-il être ignoré?
Sur une plage où regne Cytherée,
Une des Graces un beau jour,

Se promenait de fes fœurs féparée,
Prothée alors parut aux rives d'alentour,

Il la voit, il la fuit; qui ne fuivrait les Graces!

Elle fuit, & le Dieu de voler fur fes

traces;

Il approche, admire, aime, héfite, ofe parler.
Avec colere Eglé répond à cet hommage;
Le refufer fans fe troubler,

Peut-être aurait été d'un plus mauvais préfage.

Que fait Prochée: il change de langage;
Sait varier fes foins; cache fes déplaifirs;
Encore qu'amoureux on ne réuffit guère;
Devenez féduifans, épargnez les foupirs,
Amans, tout eft prouvé d'abord qu'on a fu
plaire.

Il plut auffi, bientôt un mutuel amour,

Dans le fein des plaifirs éternifa leur chaîne, Ce fut ainfi pour l'honneur de la scène, Que Silvia reçut le jour.

Qui pourrait s'y tromper? Elle a du Dieu fon

pere,

Cet ingénieux caractere
D'enjouement, de variété,

Et la naïveté de fa charmante mere.

Silvia était née à Toulouse en & elle époufa en 1720, Jofeph Baletti, qui jouait les feconds Amoureux fous le nom de Mario; elle a eu de ce mariage Antoine-Etienne Louis Baletti reçu en 1742, & qui remplit actuelle. ment le même emploi. Louis Baletti, fecond fils, Danfeur, & Jeanne Baletti, époufe de M. Blondel, Architecte du Roi.

DEBUT DU SIGNOR ZANUZZI.

Le Signor Zanuzzi débuta le 25 Juillet 1759, par le rôle d'Amoureux dans le Chevalier d'Induftrie, Canevas Italien en trois actes, qu'il joua avec beaucoup d'intelligence & de vivacité; il fut reçû à part, & continue de remplir cet emploi à la fatisfaction du Public.