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mais dans la sottise de ceux qui l'ont détourné de son sens et qui niaisement, continuent à l'admirer et à l'adorer, quand, faute de comprendre l'intention de son auteur, ils l'ont plié à des interprétations qui le rendent simplement absurde.

On me dira peut-être que dans le monde du surnaturel, l'absurde est impossible à distinguer, puisque le propre du surnaturel est d'être inintelligible. Comme le répète Paul à chaque page, l'absurde et le divin sont tout un. Si l'on se place comme Jésus, comme l'Eglise, sur le terrain de l'omnipotence divine, absolue, sans limites possibles ni concevables, oui, la théorie de Jésus sur le travail, telle que l'interprètent les orthodoxes, peut s'appliquer à toutes les sociétés. Il suffit pour cela d'un miracle permanent. Or qu'est-ce qu'un miracle pour le Dieu des chrétiens? Il n'a qu'a vouloir, et non seulement les sociétés pourront subsister sans travailler, mais même, si cela lui plaît, sans manger.

Oui, mais malheureusement il parait que cela ne lui plaît pas; et si l'on se place au point de vue de l'orthodoxie, on est obligé de conclure que Jésus a trop présumé de son crédit auprès de Dieu. Il a promis en son nom qu'il pourvoirait à la nourriture de ceux qui obéiraient à son commandement de ne rien faire, et il se trouve en réalité que ceux qui l'observent meurent de faim ou vivent aux dépens de ceux qui travaillent. On a beau dire que

Dieu prodigue ses biens

A ceux qui font vou d'être siens;

tain qu'il la condamne en tout état de cause. L'esclavage, qu'il maintient en ce monde, disparaîtra nécesairement dans le royaume messianique, puisque tous les justes, seuls appelés, y seront égaux, et que le travail, suite du péché, n'existera plus, non plus que la maladie et la mort.

la vérité, c'est que ce sont les biens des autres qu'il leur prodigue. Les couvents, les monastères, les ordres mendiants ont bien pu en effet subsister sans rien faire et même subsister largement, mais ç'a toujours été grâce aux tributs et aux subventions de ceux qui travaillent. C'est done toujours au travail en dernière analyse qu'il en faut revenir, ce qui nous permet de conclure que, si le précepte de ne rien faire était appliqué par tout le monde, les fidèles observateurs de la volonté divine se trouveraient, en dépit de l'évangile, dans une situation lamentable.

Par conséquent de deux choses l'une ou Jésus n'avait en vue qu'une situation transitoire, exceptionnelle, comme nous en sommes convaincu, et dans ce cas son précepte, bien que fondé sur une illusion, est parfaitement intelligible; ou bien il a prétendu l'appliquer à tout et partout, à nos sociétés modernes comme à celles de son temps, ainsi que le veulent ceux qui tiennent à trouver dans l'Évangile la règle immuable de toute l'humanité, et alors il s'est grossièrement trompé en s'imaginant que Dieu ferait un miracle pour justifier ses singulières théories sociales. Entre ces deux alternatives, il faut choisir, mais je demande à tout homme de bonne foi de me dire quelle est celle des deux qui est la plus respectueuse pour Jésus.

En dehors, je ne vois qu'une échappatoire possible, c'est de dire que Jésus, n'ayant nulle part condamné l'esclavage, a compté précisément sur le travail des esclaves pour nourrir les hommes libres. Cette doctrine s'accorderait du reste assez bien avec la pratique constante de l'Église, mais je crois, malgré tout, qu'elle y regarderait à deux fois avant de la proclamer hautement. Il a bien pu se rencontrer parmi les fidèles des esprits audacieux dont la logique inflexible ne recule pas devant les conséquences les

plus extrêmes des principes admis par l'Église, qui n'hésitent pas, comme Paul, Augustin, Pascal, Bossuet, à sacrifier la justice à la grâce ou à reconnaître, comme Joseph de Maistre, que dans la théorie chrétienne, la société tout entière repose sur le bourreau. Mais le temps de ces hardiesses est passé, et je mets au défi les successeurs des Dupanloup et des Veuillot eux-mêmes de déclarer que, dans la pensée de Jésus, il devait y avoir jusqu'à la fin des siècles une race d'hommes condamnée à nourrir de son travail les dévots oisifs, et que les sociétés modernes se sont mises en révolte avec la volonté divine par cela seul qu'elles ont réhabilité le travail et enfin supprimé la hideuse iniquité de l'esclavage.

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§ VI. JESUS N'A RIEN INNOVÉ PAR RAPPORT AUX CROYANCES ET AUX INSTITUTIONS RELIGIEUSES NON PLUS QUE DANS LES DOCTRINES MORALES.

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Voilà ce qui dans le christianisme appartient à Jésus! Encore ne peut-on pas dire qu'il l'ait inventé; tout cela, -à quelques exceptions près, se retrouve soit chez les Juifs, soit chez les autres nations avec lesquelles les Juifs se sont trouvés en contact. Jésus n'a fait que donner plus d'autorité aux habitudes d'esprits, aux préjugés, aux erreurs qui dominaient de son temps, le tout pour plaire au juge souverain dont il a toujours prêché et affirmé la venue prochaine. C'est ce jugement qui a été sa constante, son unique préoccupation; et c'est ce qui explique le caractère de son enseignement.

Quant à l'intention d'instituer une religion nouvelle, il n'y en a pas trace dans sa pensée.

Qu'est-ce en effet qu'une religion? Toute religion se

compose nécessairement de deux parties : la théorie et la pratique, la métaphysique et le rite. La première contient une conception particulière des conditions d'existence et de gouvernement du monde. Les unes, comme la religion juive, supposent une création primitive, qui fait du monde l'œuvre propre de la Divinité; d'autres, comme la religion grecque, bornent l'action divine à l'organisation d'une matière préexistante; celles-ci considèrent l'univers comme résultant de la fécondation spontanée d'une vierge mère ou d'une pondeuse divine qui a pondu et couvé l'œuf primitif; pour celles-là les deux grands-parents sont le ciel et la terre ou l'Océan et Téthys, dont l'action génératrice a produit toutes les choses existantes. Les panthéistes, enfin expliquent le monde par la doctrine de l'émanation, l'univers n'étant que le corps même de la Divinité. Voilà pour les conditions d'existence.

Quant aux modes de gouvernement, ils varient en raison même des croyances relatives aux origines: fétichisme, chthonisme, polythéisme, dualisme, monothéisme. Il n'y a pas de religion en dehors de ces doctrines, car que peut être une religion qui ne déterminerait ni les rapports du monde ni ceux des hommes avec la divinité?

Qui donc pourra nous dire et nous montrer où et quelle est la doctrine nouvelle qu'a apportée Jésus à ce double point de vue? Qu'a-t-il appris au monde qui n'existât autour de lui dans quelqu'une des sectes du judaïsme contemporain? Rien, absolument rien. Encore une fois toute la prédication de Jésus se borne à deux point uniques : le royaume de Dieu approche, — préparez-vous au jugement.

Il ne voit rien au delà, et nul n'est plus loin de se douter que de cette prédication il sortira une religion nouvelle, qui aura la prétention de régénérer le monde.

Sa doctrine métaphysique est exactement celle du judaïsme : un Dieu unique qui crée et gouverne l'univers à sa guise. Quant à la pratique, l'Évangile mème est rempli de cette démonstration: «< Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes; je ne suis pas venu les abolir, mais les accomplir. Car en vérité je vous le dis, jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, un seul iota ou un seul point de la loi ne passera pas que tout ne soit accompli. Celui donc qui violera l'un de ces moindres commandements et enseignera ainsi aux hommes sera appelé très petit dans le royaume des cieux; mais celui qui les accomplira et les enseignera, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. » (Matth., v, 17, 18, 19.)

La même affirmation se retrouve dans l'évangile de Luc (XVI, 17). « Le ciel et la terre passeront plutôt qu'il ne tombe un seul point de la loi. » .

L'identité de ces deux textes dans deux évangélistes dont l'un incline vers le judéo-christianisme tandis que l'autre est disciple de Paul, prouve clairement que tous deux l'ont emprunté à un document antérieur dont l'autorité était irrécusable. Jésus est donc bien certainement partisan de l'accomplissement intégral de la loi mosaïque. Cela ressort du reste d'un grand nombre d'autres paroles et d'autres faits. Comment concilier ces textes et ces faits avec l'intention de fonder une nouvelle religion? C'est là une prétention insoutenable, pour quiconque ne se fait pas un jeu des textes évangéliques et prend au sérieux les affirmations de Jésus-Chrit 1. Tout ce qu'il recommande

4 Mais cela n'a pas empêché l'Église chrétienne de rejeter une bonne partie de la loi mosaïque, dont Jésus ordonne le respect. Elle n'a du reste fait que suivre l'exemple donné par les premiers disciples de Jésus.

On sait que Paul ne se gêne pas pour proclamer en plus d'une cir

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