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répondis-je, bien vîte, ce n'eft pas un plaifir comme celui que vous auriés à une Comedie de Moliere; c'en eft un qui eft je ne fçai où dans la raison, & qui ne fait rire que l'efprit. Quoi donc, reprit-elle,croyes-vous qu'on foit incapable des plaifirs qui ne font que dans la raifon? Je veux tout à l'heure vous faire voir le contraire, apprenés-moi vos Etoiles. Non, repliquai-je, il ne me fera point reproché que dans un Bois, à dix heures du Soir, j'aye parlé de Philofophie à la plus aimable perfonne que je connoiffe. Cherchés ailleurs vos Philofophes.

J'eus beau me deffendre encore quelque tems fur ce ton-là, il fallut ceder. Je lui fis du moins promettre pour mon honneur, qu'elle me garderoit le fecret, & quand je fus hors d'état de m'en pouvoir dédire, & que je voulus parler, je vis que je ne fçavois par où commencer mon difcours: car avec une perfonne comme elle, qui ne fçavoit rien en matiere de Phyfique, il falloit prendre les chofes de bien loin, pour lui prouver que la Terre pouvoit être une Planete, & les Planetes autant de Terres, & toutes les Etoiles

autant

autant de Soleils qui éclairoient des Mondes. J'en revenois toujours à lui dire qu'il auroit mieux valu s'entretenir de bagatelles, comme toutes perfonnes raifonnables auroient fait en notre place. A la fin cependant, pour lui donner une idée générale de la Philofophie, voici par où je commen

cai.

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Toute la Philofophie, lui dis - je, n'eft fondée que fur deux chofes, fur ce qu'on a l'efprit curieux & les yeux mauvais; car fi vous aviés les yeux meilleurs, que vous ne les avés, vous verriés bien files Etoiles font des Soleils qui éclairent autant de Mondes, ou fi elles n'en font pas ; & fi d'un autre côté vous étiés moins curieufe vous ne vous foucieriés pas de le fçavoir, ce qui reviendroit au même; mais on veut fçavoir plus qu'on ne voit, c'eft-là la difficulté. Encore, fi ce qu'on voit, on le voyoit bien, ce feroit toujours autant de connu, mais on le voit tout autrement qu'il n'eft. Ainfi les vrais Philofophes paffent leur vie à ne point croire ce qu'ils voyent, & à tâcher de deviner ce qu'ils ne voyent point, & cette condition n'est Tome II.

B

pas, ce me femble, trop à envier. Sur cela je me figure toujours que laNature eft un grand Spectacle qui reffemble à celui de l'Opera. Du lieu où vous êtes à l'Opera, vous ne voyés pas le Théatre tout-à-fait comme il eft; on a difpofé les Décorations & les Machines, pour faire de loin un effet agréable, & on cache à votre vûë ces roues & ces contrepoids qui font tous les mouvemens. Auffi ne vous embarraffes-vous gucre de deviner comment tout cela joue. Il n'y a peut-être que quelque Machinifte caché dans le Parterre, qui s'inquiéte d'un Vol qui lui aura paru extraordinaire, & qui veut abfolument déméler comment ce Vol a été exécuté. Vous voyés bien que ce Machinifte-là eft affés fait comme les Philofophes. Mais ce qui, à l'égard des Philofophes, augmente la difficulté, c'eft que dans les Machines que la Nature préfente à nos yeux, les cordes font parfaitement bien cachées, & elles le font fi bien, qu'on a été long-tems à deviner ce qui caufoit les mouvemens de l'Univers. Car repréfentésvous tous les Sages à l'Opera, ces Pithagores, ces Platons, ces Ariftotes,

& tous ces gens dont le nom fait aujourd'hui tant de bruit à nos oreilles ; fuppofons qu'ils voyoient le Vol de Phaeton que les Vents enlevent, qu'ils ne pouvoient découvrir les cordes, & qu'ils ne fçavoient point comment le derriere du Théatre étoit difpofé. L'un d'eux difoit; C'est une certaine Vertu secrette qui enleve Phaeton. L'autre, Phaeton eft composé de certains nomb; es qui le font monter. L'autre, Phaeton a une certaine amitié pour le haut du Théatre ; il n'est point à fon aife quand il n'y eft pas. L'autre,Phaeton n'eft pas fait pour voler, mais il aime mieux voler, que de laiffer le haut du Théatre vuide; & cent autres rêveries que je m'étonne qui n'ayent perdu de répu tation toute l'Antiquité. A la fin Def cartes, & quelqu'autres Modernes font venus, qui ont dit : Phaeton monte, parce qu'il eft tiré par des cordes, & qu'un poids plus pefant que lui defcend. Ainfi on ne croit plus qu'un corps fe remuë, s'il n'eft tiré, ou plûtôt pouffé par un autre corps; on ne croit plus qu'il monte ou qu'il defcende, fi ce n'est par l'effet d'un contrepoids ou d'un reffort; & qui verroit la Nature telle qu'elle eft, ne verroit que le derriere du Théa

tre de l'Opera. A ce conte, dit la Marquife, la Philofophie eft devenue bien méchanique? Si méchanique, répondis-je, que je crains qu'on en ait bientôt honte. On veut que l'Univers ne foit en grand, que ce qu'une Montre eft en petit, & que tout s'y conduise par des mouvemens réglés qui dépendent de l'arrangement des parties. Avoués la vérité. N'avés-vous pas eu quelquefois une idée plus fublime de l'Univers, & ne lui avés-vous point fait plus d'honneur qu'il ne méritoit? J'ai vu des gens qui l'en eftimoient moins, depuis qu'ils l'avoient connu. Et moi, repliqua-t-elle, je l'en estime beaucoup plus, depuis que je fçai qu'il reffemble à une Montre. Il est surprenant que l'ordre de la Nature, tout admirable qu'il eft, ne roule que fur des chofes fi fimples.

Je ne fçai pas, lui répondis-je, qui vous a donné des idées fi faines; mais en vérité, il n'eft pas trop commun de les avoir. Affes de gens ont toujours dans la tête un faux Merveilleux envelopé d'une obfcurité qu'ils refpectent. Ils n'admirent la Nature,que parce qu'ils la croyent une efpece de Ma

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