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CHAPITRE VII.

Que de grandes Sectes de Philofophes Payens n'ont point crû qu'il y eût rien de furnaturel dans les Oracles.

SIau milieu de la Grece même où

tout retentiffoit d'Oracles, nous avions foutenu que ce n'étoient que des impoftures, nous n'aurions étonné perfonne par la hardieffe de ce Paradoxe, & nous n'aurions point eu befoin de prendre des mesures pour le debiter fecretement. La Philofophie s'étoit partagée fur le fait des Oracles; les Platoniciens & les Stoïciens tenoient leur parti; mais les Ciniques, les Peripateticiens, & les Epicuriens s'en moquoient hautement. Ce qu'il y avoit de miraculeux dans les Oracles ne l'étoit pas tant que la moitié des Sçavans de la Grece ne fuffent encore en liberté de n'en rien croire, & cela malgré

malgré le préjugé commun à tous les Grecs, ce qui merite d'être conté pour quelque chofe. Eufebe nous dit que fix cens perfonnes d'entre les Payens avoient écrit contre les Oracles, mais je croi qu'un certain Oenomais, dont il nous parle, & dont il nous a confervé quelques Fragmens, eft un de ceux dont les Ouvrages meritent le plus d'être regretés.

Ili y a plaifir à voir dans fes Fragmens qui nous restent, cet Oenomaŭs plein de la liberté Cinique, argumenter fur chaque Oracle contre le Dieu qui l'a rendu, & le prendre lui-même à partic. Voici, par exemple, comment il traite le Dieu de Delphes fur ce qu'il avoit répondu à Créfus. Créfus en paffant le Fleuve Halis renverfera un grand Empire.

En effet, Créfus en paffant le Fleuve Halis attaqua Cirus, qui, comme tout le monde fçait, vint fondre fur lui & le dépouilla de tous fes Etats.

Tu t'étois vanté dans un autre Oracle rendu à Créfus, dit Oenomais à Apollon, que tu fçavois le nombre des grains de fable * L.4. de la Prép. Evang.

Tome II

Y

tu t'étois bien fait valoir fur ce que tu voyois de Delphes cette Tortue que Créfus faifois cuire en Lidie dans le même moment. Voilà de belles connoiffances pour en être fi fier. Quand on te vient confulter fur le fuccès qu'aura la Guerre de Créfus & de Cirus, tu demeures court. Car fi tu lis dans l'avenir ce qui en arrivera, pourquoi te fers-tu de façons de parler qu'on ne peut entendre? Ne fçais-tu point qu'on ne les entendra pas ? Si tu le fçais, tu te plais donc à te jouer de noust fi tu ne le fçais point, apprens de nous qu'il faut parler plus clairement, & qu'on ne t'entend point. Je te dirai même que fi tu as voulu te fervir d'équivoques, le mot Grec par lequel tu exprimes que Créfus renverfera un grand Empire, n'eft pas bien choifi, & qu'il ne peut fignifier que la victoire de Créfus fur Cirus. S'il faut néceffairement que les chofes arrivent, pourquoi nous amufer avec tes ambiguités? Que fais-tu à Delphes, malheureux, occupé, comme tu es,' à nous chanter des Prophéties inutiles? Pourquoi tous ces Sacrifices que nous te faifons? Quelle fureur nous poffede?

Mais Ocnemaüs eft encore de plus mauvaise humeur, fur cet Oracle que rendit Apollon aux Atheniens, lors que Xerxès fondit fur la Grece avec

toutes les forces de l'Afie. La Pithie leur donna pour réponse, que Minerve, protectrice d'Athenes, tâchoit en vain par toutes fortes de moyens d'appaifer la colere de Jupiter; que cependant Jupiter en faveur de fa Fille vouloit bien fouffrir que les Atheniens fe fauvaffent dans des murailles de bois, & que Salamine verroit la perte de beaucoup d'Enfans chers à leurs Meres, foit quand Cerés feroit difperfée, foit quand elle feroit ramaffée.

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Sur cela Oenomaüs perd entierement le respect pour le Dieu de Delphes. Ce combat du Pere & de la Fille dit-il, fied bien à des Dieux, il eft beau qu'il y ait dans le Ciel des inclinations & des interêts fi contraires. Jupiter eft couroucé contre Athenes, il a fait venir contre elle toutes les forces de l'Afie; mais s'il n'a pas ̧ pû la ruiner autrement, s'il n'avoit plus de foudres, s'il a été réduit à emprunter des forces étrangeres, comment a-t-il eu le pouvoir de faire venir contre cette Ville toutes les forces de l'Afie? Après cela cependant il permet qu'on fe fauve dans des murailles de bois; fur qui donc tombera fa colere? Sur des pierres? Beau Devin, tu ne fçais point à qui feront ces Enfans dont Salamine verra la per→

te, s'ils feront Grecs ou Perfes ; il faut bien qu'ils foient de l'une ou de l'autre Armée ; mais ne fçais tu point du moins qu'on verra que tu ne le fçais point? Tu caches le tems de la Bataille fous ces belles expreffions poetitiques, foit quand Cerés fera difperfée, soit quand elle fera ramaffée ; tu veux nous éblouir par ce langage pompeux, mais ne sçait-on pas bien qu'il faut qu'une Bataille navale fe donne au tems des Semailles ou de la Moiffon? Apparemment ce ne fera pas en Hyver. Quoi qu'il arrive, tu te tireras d'affaire par le moyen de ce Jupiter que Minerve tâche d'appaifer. Si les Grecs perdent la Bataille, Jupiter a été inexorable ;, s'ils la gagnent, Ju» piter s'eft enfin laiffé flechir. Tu dis, Apolton, qu'on fuje dans des murs de bois, tu confeilles, tu ne devines pas. Moi qui ne sçai point deviner, j'en eusse bien dit autant, j'euffe bien jugé que l'effet de la Guerre feroit tombé fur Athenes, & que puisque les Atheniens avoient des Vaiffeaux, le meilleur pour eux étoit d'abandonner leur Ville, & de fe mettre tous fur la Mer.

Telle étoit la véneration que de grandes Sectes de Philofophes avoient pour les Oracles, & pour les Dieux mêmes qu'on en croyoit auteurs. Il cft affés plaifant que toute la Religion

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