1 Mes vives douleurs, le transport qul me guide, un si juste courroux, ne sont pas des fautes, mais c'est accumuler trop près les uns des autres des hémistiches mille fois rebattus. Pour punir les forfaits d'une race funeste, C'est parler bien froidement de l'objet le plus intéressant pour elle, et prendre bien vîte son parti sur la plus chere de ses espérances. Nous verrons dans Voltaire, que la seule idée de la mort d'Oreste jette sa sœur dans le plus violent désespoir. Et vous, mânes sanglans du plus grand roi du Monde..... Elle a d'abord apostrophé la Nuit, puis les dieux actuellement les mânes: ces apostrophes redoublées sentent plus le rhéteur que le poëte drama tique. Triste et cruel objet de ma douleur profonde. Ces épithetes, triste et cruel, qui disent la même chose, une douleur profonde après mes vives douleurs, forment un amas de chevilles, Mon pere, s'il est vrai que sur les sombres bords Ah! combien doit frémir ton ombre infortunée, Imitation faible de ce beau vers de Phédre : C'était peu que les tiens altérés de ton sang, , Cette longue période, commençant par ces mots c'était peu, qui annoncent une progression d'idées, les dément à la fin. On se sert de cette tournure quand ce qui précede est moins fort que ce qui suit, comme dans Athalie : C'est peu que le front ceint d'une mitre étrangere, etc. Ici la phrase va en croissant : quitter le dieu d'Israël pour Baal est une impiété : c'en est une plus grande de vouloir anéantir le temple et le culte du dieu qu'on a quitté. Mais l'hymen d'Itis est certai→ nement beaucoup moins horrible pour Électre, que le meurtre de son pere assassiné par sa mere. Pour employer avec choix les constructions d'une langue, il faut en connaître l'esprit; il ne faut pas dire non plus qu'Égiste, qui traite Électre en esclave, est sans respect; c'est joindre le plus et le moins, et affaiblig l'un par l'autre. Des dieux et des mortels Électre abandonnée, Doit ce jour à sor, sort s'unir par l'hymenée. S'unir par l'hymenée est en lui-même prosaïque ; mais de plus, cette expression, qui conviendrait à un récit indifférent, est ici faible et froide dans la bouche d'Électre, qui ne doit parler qu'avec horreur d'un semblable hymen. Sans l'accord soutenu de la pensée et de l'expression, il n'y a point de style. Si ta mort, m'inspirant un courage nouveau, N'en éteint par mes mains le coupable flambeau. Que de fautes en deux vers! D'abord en devait, par les regles de la construction, se rapporter au dernier substantif qui est courage, et alors ce serait le flambeau du courage; mais le sens indique que c'est le flambeau de l'hymen. Ainsi elle dit à Agamemnon = Je vais m'unir à Itis par l'hymenée si ta mort n'en éteint le flambeau. Si cette phrase pouvait avoir un sens raisonnable, ce serait dans le cas où Électre parlerait de quelqu'un qu'elle voudrait faire périr pour ne pas épouser Itis, encore ne pourrait - on dire en français, dans aucun cas, si ta mort n'éteint le flambeau; mais il s'agit d'une mort qui a précédé de seize ans cet hymen! On se doute bien. qu'elle veut dire : « Si le souvenir de ta mort ne m'inspire assez de courage pour éteindre de mes mains le flambeau d'un si coupable hymen. » Mais combien ce qu'elle dit est loin de ce qu'elle veut dire? Mais qui peut retenir le courroux qui m'anime? A quoi pense-t-elle donc ? Quoi! le moindre effort digne de son courage, c'est d'immoler Itis qu'elle aime! et que pourrait-elle faire de plus? Tous ces contre-sens dans l'expression sont d'un écrivain qui se sert au hasard des tournures connues, lors même qu'elles sont le plus contraires à sa pensée. Le récit rapide des acteurs les dérobe au plus grand nombre de ceux qui écoutent; mais ils révoltent ceux qui lisent avec quelque connaissance et quelque réflexion. Il est tems de chercher une autre langue dans Voltaire, et l'examen d'Oreste va nous mettre à portée d'asseoir des résultats en achevant le pa rallele. Oreste. Voltaire ne pouvait faire plus d'honneur à Sophocle qu'en l'imitant, ni s'en faire plus à luimème qu'en le surpassant. L'auteur d'Oreste a mis en œuvre toutes les beautés que Crébillon avait méconnues, au point d'imaginer qu'on ne pouvait pas en faire une tragédie française. J'en ai déjà parlé en rendant compte de la piece grecque il me reste à développer l'heureux usage qu'en a fait le poëte français, et ce qu'il a su y ajouter. : Le choix du lieu de la scene et des circonstances qui marquent le jour de l'action, nous place déjà dans le sujet, et l'exposition le montre tout entier. Le théâtre présente d'un côté le tombeau d'Agamemnon près du rivage de la mer, et le palais où il a été massacré; de l'autre un temple où habite Pamméne, vieillard attaché à la famille des Atrides et au culte des autels: on voit dans le lointain la ville d'Argos. Ce jour même Égiste doit venir dans ces lieux avec Clytemnestre, y célébrer, selon sa coutume, les jeux annuels destinés à rappeler le meurtre d'Agamemnon et les noces de sa venve avec son assassin. C'est la fète du crime; c'est une insulte sacrilége qu’Égiste vient faire tous les ans à sa victime, aux dieux et aux mânes, et c'est aussi |