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Et je ne puis comprendre,

Dans vos yeux interdits, ce que je dois attendre.

Je ne puis comprendre dans vos yeux ce que je dois attendre ne me paraît pas une phrase française.

17 J'ai pris dans l'horreur même où je suis parvenue, Une force nouvelle, etc.

Les exemples de ces abus du mot d'horreur sont sans nombre dans Voltaire. Quelles phrases que cellesci! Prendre une force dans l'horreur, et parvenir à une horreur !

18 Éteignez dans mon sang votre inhumanité.

On ne peut en aucun sens éteindre l'inhumanité. On n'éteint que ce qui offre des rapports avec l'éclat, le feu, la lumiere, etc.

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Quel soin m'abaisse et me transporte !

Mauvais assemblage de mots : un soin peut abais

ser,

mais il ne transporte pas, et ce n'est pas d'un

soin qu'il s'agit ici.

20 J'ai tremblé que ma main mal affermie encore,

1

Ne portât sur moi-même un coup mal assuré.

Mal affermie, mal assuré : négligence et battologie.

SECTION XIV.

Tancrede.

L'aventure d'Ariodant et de Genevre dans le poëme de l'Arioste, traitée depuis sous une autre forme dans un roman très-agréable de madame de Fontaine, intitulé la Comtesse de Savoie, a fourni à Voltaire le sujet de Tancrede. J'entends par le sujet l'idée principale, l'idée-mere, qui dans toute espece de drame est si décisive pour l'intérêt et le succès: celle-ci était une des plus heureuses dont le génie dramatique pût s'emparer. C'est un amant qui combat pour sauver l'honneur et la vie de sa maitresse, en même tems qu'il la croit coupable de la plus odieuse infidélité. C'est là tout ce que Voltaire a pris à l'Arioste; il a d'ailleurs inventé tout le reste; mais cela seul était tout pour le génie. Caracteres, fable, développemens, tout devient facile pour lui quand il est sûr du fonds qu'il a dans les mains: rien ne le prouve mieux que Tancrede. Je ferai voir que l'auteur, vivement frappé du grand intérêt dont ce sujet était susceptible, a vaincu les plus étonnantes difficultés que jamais un poëte tragique ait eues à combattre ; et, ce qui arrive toujours au talent supérieur, il s'est élevé d'autant plus haut, qu'il lui avait fallu, pour prendre son

essor, partir de plus loin et surmonter plus d'obstacles.

Un ouvrage de théâtre conçu hardiment est souvent une espece de problême à résoudre ; voici celui de Tancrede. Il faut trouver le moyen de fonder l'intérêt de cinq actes uniquement sur l'amour, et cependant les deux amans ne pourront se voir et se parler qu'un seul moment au quatrieme acte, entourés de témoins, et comme étrangers et inconnus l'un à l'autre. Sans cette condition il n'y a point de piece; et quoiqu'elle soit toute d'amour, il est de l'essence du sujet que les deux amans ne puissent s'expliquer qu'à la derniere' scene, Cette espece de donnée dramatique paraît d'abord insoluble : comment occuper, toujours de la passion réciproque des deux personnages, sans les faire paraître ensemble? Il n'y a aucun exemple d'une pareille intrigue, parce que, dans quelque situation qu'on les suppose, quel que soit l'objet qui les occupe ou l'erreur qui les divise, c'est toujours lorsqu'ils sont en scene l'un avec l'autre, que leur amour produit le plus d'effet sur le spectateur, et l'intérêt des scenes où ils sont séparés, tient même à celui où on les a réunis. Il ne suffic pas qu'ils parlent l'un de l'autre ; ce qu'on desire le plus, c'est de les entendre se parler T'un à l'autre, Ce desir est dans la nature, et

de quelque maniere que l'amour soit malheureux, ou repoussé, ou combattu, ou jaloux, ou trompé, dans toutes les pieces où il domine, il met souvent en scene les deux personnages qu'il occupe, dans celles même où la vérité n'est reconnue qu'au dénoûment. Dans Zaïre, par exemple, Orosmane est très-souvent près de sa maitresse, et c'est entre eux que l'amour se montre sous toutes les formes possibles. Le grand effet de Tancrede est fondé, comme celui de Zaïre, sur une fatale méprise. Voltaire, qui avait reconnu combien ce ressort était puissant, ne demandait pas mieux que de l'employer une seconde fois, et la fable de l'Arioste le lui offrait. Mais il est démontré en rigueur que c'était sous les deux conditions. que je viens d'exposer, les plus faciles du monde dans un récit épique, les plus onéreuses dans une action théâtrale. Ce ne sont point ici des combinaisons gratuites, imaginées pour relever le mérite d'un auteur: on va voir que c'est le fait tout simple, et je puis d'avance en ajouter un autre qui l'appuie et que je tiens de Voltaire lui-même, c'est que dans l'espace de trois ans il renonça et revint trois fois à Tancrede, et ne l'exécuta qu'après l'avoir cru long-tems impraticable.

Quel est le nœud de l'intrigue? N'est-ce pas

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l'erreur où est Tancrede, qui croit et doit croire que la lettre qu'Aménaïde a écrite pour lui, s'adressait à Solamir? Mais quelques trompeuses apparences qui puissent l'abuser, dès qu'Aménaïde pourra lui parler, sa justification est si facile la vérité a tant de force par elle-même, et en aura tant dans sa bouche, qu'il sera bientôt convaincu de son innocence, et la piece est finie. Voilà la premiere pensée qui a dû se présenter à Voltaire, et qui se présenterait nécessairement à tout poëte tragique un peu instruit de son art: il faut avouer qu'elle est effrayante. Donner à l'amante des raisons pour ne pas dire la vérité à son amant, était impossible: c'eût été faire Zaire une seconde fois, et de plus, ce qui est très-plausible dans la situation de Zaïre, qui ne sait pas qu'Orosmane croit avoir en main la preuve d'une trahison, serait inadmissible dans la situation d'Aménaïde, qui, sachant qu'elle est publiquement accusée, ne doit avoir rien de plus pressé que de se justifier. Quel parti prendre? S'ils se voient, tout est infailliblement éclairci, jet, dès que tout s'éclaircit, le dénoûment est tour près, et ce qu'il y a de pis, un dénoûment sans effet; car qu'est-ce, dans une tragédie, qu'une erreur de jalousie qui ne produit qu'une explication? Il faut donc de toute nécessité faire

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