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que j'ai perdues, celle que je regrette le plus; comme me voilà fagoté, la ridicule figure! Je marchais il n'y a qu'un moment sur quatre jambes, j'étais fort et assuré sur mes pieds, et me voilà à présent huché sur deux comme une poule, craignant même que le vent ne me fasse tomber; j'avais une voix mâle, à l'heure qu'il est, je l'ai efféminée et variée par des sons qui me fatiguent; que suis-je donc devenu? Mais quoi! ma raison se développe je suis homme, oui j'en suis un voilà un nez, une bouche, des yeux, et enfin une figure semblable à celle de mon maître et presque aussi ridicule; mais que vois-je quel chaos d'idées que je n'avais jamais eues, l'esprit humain se développe chez moi?.. Ah! ahah! le plaisant galimatias que l'esprit de l'homme! Ah! ah! ah! la drôle de chose! quoi que j'aie grand'peur d'être plus sot sous cette peau que sous ma première : la nouveauté me divertit, et je ne suis pas fâché de ce changement; quand ce ne serait que pour connaître ce que mon maître a dans Î'ame, et les raisons des impertinences que je lui ai vu faire.

TIMON.

Ce début est charmant, et mon âne, à ce que je vois, est aussi misantrope que moi; qui êtes-vous, mon ami?

ARLEQUIN.

Je suis ce que je n'étais pas il y a un moment.

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TIMON.

Il veut dire qu'il n'est plus âne.

ARLEQUIN.

Que dis-tu là? Est-ce que tu sais que je l'ai été ?

TIMON.

Oui, mon cher Arlequin, c'est moi qui suis cause que tu es homme; tù es à présent le roi des animaux.

ARLEQUIN.

Le roi des animaux, dis-tu ?

TIMON.

Oui, mais tu ne connais pas encore les idées que nous attachons à ce terme.

ARLEQUIN.

Ho que si! j'entends tout ce que tu me dis, et je meurs si je sais comme cela s'est fait; car je ne me souviens pas de l'avoir jamais appris.

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Mercure le lui a inspiré, ce dieu me l'avait promis.

ARLEQUIN.

Puisque je suis le roi des animaux, je puis donc dormir sans crainte dans les forêts; les loups et les lions respecteront mon sommeil,

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et ils viendront me rendre leurs hommages, n'est-ce pas ?

TIMON.

Je ne te conseille pas de t'y fier, ils te dévoreraient comme si tu n'étais encore qu'un

âne.

ARLEQUIN.

Voilà des sujets bien impertinens, et à ce que je vois, l'empire des hommes sur le reste des animaux ressemble assez à celui des ânes, ils font peur à ceux qui sont plus faibles et plus timides qu'eux, et ils se sauvent devant les plus forts et les plus hardis.

TIMON.

J'aime mieux mon âne que Solon, il parle plus juste.

ARLEQUIN

Si je n'ai gagné que cet empire dans ma métamorphose, le profit n'est pas grand.

TIMON.

Tout ce que tu vois est à présent fait pour toi, au lieu que tu étais auparavant fait pour l'homme; témoins les services que tu m'as rendus.

ARLEQUIN.

Ah ah, ah, ah!

De quoi ris-tu?

TIMON.

ARLEQUIN.

De ta sottise; de ne voir pas que c'était toi qui étais fait pour moi.

TIMON.

Moi!

ARLEQUIN.

Sans doute. N'avais-tu pas le soin de pourvoir à ma subsistance, de venir tous les matins me panser, de me donner à manger, de me mener boire, de nettoyer mon écurie, de me changer de paille, et le reste?

TIMON.

Cela est vrai. Qu'en conclus-tu?

ARLEQUIN.

Que tu me servais, et par conséquent que tu étais fait pour moi.

TIMON.

Il a raison, par Jupiter! J'étais son valet sans le savoir,

ARLEQUIN.

Mais laissons-là ces discours, et dis-moi pourquoi es-tu si mal vêtu et si mal logé aujourd'hui ? Il y a long-tems que je suis curieux de le savoir.

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TIMON.

C'est que je suis pauvre.

ARLEQUIN.

Et pourquoi es-tu pauvre ?

TIMON.

Pour avoir été trop bon. J'ai mangé mon bien pour faire plaisir à des ingrats qui m'ont abandonné dès que je n'ai plus éu de quoi leur faire bonne chère.

ARLEQUIN.

Voilà de grands coquins; pauvre homme, je te plains bien. Eh!quoi! seras-tu toujours pauvre ?

TIMON.

Il ne tient qu'à moi de cesser de l'être ; et le dieu des Richesses m'offre de grands trésors que je refuse.

Pourquoi ?

ARLEQUIN.

ΤΙΜΟΝ.

Pour n'être jamais à portée de faire du bien à personne.

ARLEQUIN.

Tu as raison de n'en vouloir point faire à ces coquins qui t'ont abandonné; mais tu dois les accepter pour moi qui ne t'ai jamais trahi

Comédies en prose. 2.

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