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sorte de sitôt... Je reconnais là mon imprimeur; quel papier! quel caractère !

FRONTIN.

Les doigts me démangent dès que je vois écrire; c'est une rage: aussi porté-je toujours avec moi mon papier. Allons, cédons au noble transport qui nous anime, écrivons, instruisons l'univers... Trouvons d'abord un titre heureux : (Le parfait domestique.) Fort bien! (L'histoire curieuse et véritable du cėlėbre Frontin.) Charmant début!

SCÈNE XI.

LUCINDE, ÉRASTE, FRONTIN.

LUCINDE, part.

LISETTE vient de m'étonner. Les sentimens que ce garçon fait paraître annonceraient en lui des inclinations plus relevées. Mais j'ai des soupçons sur sa naissance que je veux éclaircir. Le voilà, si je ne me trompe, dans quelque occupation sérieuse. Approchons doucement, et sachons ce que ce peut-être.

ÉRASTE.

Le désagréable métier que celui de corriger des ouvrages! Voilà déjà plus de dix fautes dans le premier feuillet. Tu lui diras, de ma part, que je suis tout-à-fait mécon

tent.

Comédies en prose. 2.

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LUCINDE.

Je n'y manquerai pas.

FRONTIN.

Comment diable! J'écris comme un ange! Si cela continue l'ouvrage sera court; je n'en ai fait que trois pages, et me voilà presqu'à la fin. Eh bien, il ennuiera moins.

ÉRASTE,

Si tu voulais bien ne pas parler si haut.

FRONTIN.

Au reste, c'est une belle qualité, et même assez rare, que de savoir être laconique; mais aussi ne faut-il rien omettre des principales actions de ma vie. Récapitulons un peu. Dans les circonstances de ma naissance, je n'ai rien oublié que le nom de mon père; mais ce n'est pas ma faute; que ne s'est-il fait connaître ? Voilà mes campagnes sur mer: de Toulon à Marseille, et de Marseille à Toulon.

ÉRASTE.

On a bien raison de dire qu'un ouvrage n'est pas encore achevé, quand il est entre les mains d'un imprimeur.

FRONTIN.

Chapitre troisième » Comme quoi Frontin » paraît à la cour; rend de grands services à

» un jeune seigneur, et le met dans le monde, » au moyen des bonnes connaissances qu'il >> lui donne. »

LUCINDE, à part.

Votre style me paraît beau.

ÉRASTE.

Trouvez-vous cela, M. Frontin ? Je suis fort aise qu'il soit de votre goût.

FRONTIN.

>> Frontin reçu valet-de-chambre de Mon» sieur ***. » Il faut avoir de la discrétion et »> ne point nommer les masques. «Il vole son >> maître qui s'en aperçoit, et ne le chasse » point. » Je connaissais mon homme; il m'aurait chassé, si je l'avais servi fidèlement. ÉRASTE.

Il n'est pas permis de tenir contre tant de sottises. Demande-lui s'il se moque de moi. LUCINDE, à part.

Cela suffit, je lui dirai.

ÉRASTE.

M. Frontin fait l'agréable; il adoucit sa voix: il en est, sans doute, à quelque endroit tendre de son roman.

FRONTIN.

Me voici à l'infidélité de ma coquette. Allons, broyons du noir, barbouillons-la des

plus affreuses couleurs; que ce tableau effraie tout son sexe, qu'il soit semé de réflexions; les réflexions sont la rocambole des romans.

LUCINDE, à part.

Son héroïne ne ressemble guère au portrait qu'il en fait.

FRONTIN.

« J'entre dans un bosquet pour rêver à la » perfide, je la trouve sur un lit de gazon, > en pet-en-l'air. »

ÉRASTE.

Frontin! Frontin!

FRONTIN.

Attendez Monsieur, je n'ai plus qu'un mot à écrire. « Je lui jette un coup-d'œil assez » farouche, elle veut fuir mes reproches ; » mais un orage épouvantable inonde tout-à» coup le jardin. Déjà le bosquet est entouré » d'eau, ma perfide en a jusqu'à mi-jambe; » je ne daigne pas lui donner le moindre » secours, et je monte sur un arbre. » Quelle magnifique description!

Frontin !

ÉRASTE.

FRONTIN.

Je suis à vous... (A percevant Lucinde.) Ah! nous sommes perdus!

(Il tousse, et fait des signes à Éraste.)

ÉRASTE.

Qu'as-tu donc ? Que veux-tu dire?

LUCINDE.

L'Orange, sais-tu bien qu'il est ridicule de me faire attendre si long-tems pour une bagatelle semblable?

ÉRASTE, se retournant.

Ah ciel!... Madame, je vous fais mille excuses; je ne vous croyais pas si près.

LUCINDE.

A quoi étiez-vous donc occupé ?

FRONTIN.

Madame, il est inutile de vous rien déguiser. J'ai quelque goût pour les relations, et je m'amuse de tems en tems à en donner au public. Cela ne doit point vous surprendre; car je suis petit-fils en ligne directe de ce cocher fameux qui a tant fait de bruit dans Paris. Mais j'ai toujours négligé l'orthographe, et L'Orange, mon camarade, me sert pour ces minuties. Nous partageons les profits.

ERASTE, bas à Frontin.

Misérable! Qu'as-tu fait ? M'avoir ainsi laissé surprendre!

FRONTIN.

C'est l'effet de la composition; j'étais dans l'enthousiasme. Adieu, camarade.

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