LE MARQUIS. Ils sont fort bien, dit-on? JULIE. Eh oui! c'est le meilleur ; Qu'en dites-vous? Je veux lui dérober son cœur. Eh! mais oui : ce serait un service à leur rendre. Depuis près de dix jours ils ne se quittent plus. LE COMTE. Mais dix jours, c'est bien peu pourtant. JULIE. Pour moi, j'ignore Ce qu'au bout de dix jours on peut se dire encore. Ah! madame, on se dit... LE COMTE. JULIE. Mon cher comte, entre nous Je doute que jamais je l'apprenne de vous. (Elle donne la main au comte et au marquis, et fait, en sortant avec eux, une révérence à Clitandre.) SCÈNE IX. CLITANDRE, seul. Avec quelle finesse elle a tendu le piége! Vingt regards... Pas un mot. Je veux à son manége Monsieur, par ordre exprès, ne quittez point ces lieux. CLITANDRE. Je n'ai pas le loisir. ROSETTE. La réponse est jolie! Mais je vous parle au moins de la part de Julie. CLITANDRE. A la bonne heure: mais... ROSETTE. Elle va revenir. CLITANDRE, lui donnant un billet. Rends ce billet... ROSETTE. C'est vous qu'on vout entretenir. Quelque esprit, quelque amour que vous puissiez y mettre, Tête à tête on dit mieux que ne dit une lettre. CLITANDRE. Mais vraiment, ce billet, je ne l'ai point écrit ; Il vient d'elle. ROSETTE. Comment ? CLITANDRE. Un valet mal instruit A sans doute oublié sa véritable adresse, Mais il n'est pas pour moi: tiens, rends-le à ta maîtresse. Vous savez fort mal vivre, au moins, monsieur Clitandre. CLITANDRE. Adieu. ROSETTE. Demeurez donc vous me ferez gronder. CLITANDRE. Une affaire me presse, et je ne puis tarder. SCÈNE XI. ROSETTE, seule. (Il sort.) Oui! c'est donc là le ton de ces gens raisonnables, A ces gens dont la tête est faite pour penser, FIN DU PREMIER ACTE. ACTE SECOND. SCÈNE PREMIÈRE. ROSETTE, JULIE. JULIE. Mais je n'y comprends rien. Quoi! tout de bon? Clitandre, Malgré mon ordre exprès, n'a pas voulu m'attendre? ROSETTE. Pour la première fois, non sans étonnement, A ce beau procédé, l'air, le ton était joint, (Julie, piquée, rougit.) Vous rougissez, je crois. JULIE. L'aventure est nouvelle. ROSETTE. N'allez pas accuser au moins mon peu de zèle : J'ai prié, j'ai grondé, JULIE. Clitandre a de l'esprit ; Il a cru me piquer en rendant cet écrit ; ROSETTE. Je ne vois là-dedans artifice ni piége. 11 ne vous aime point, voilà tout son manége. Il ne m'aime point! JULIE. ROSETTE. Non. JULIE. Mais y penses-tu bien? ROSETTE. Vous êtes adorable... oui; mais il n'en voit rien. JULIE. Soit caprice ou raison, sa conquête me tente : Je veux, pour quelques jours, l'emprunter à ma tante. ROSETTE. Ils s'aiment donc ? JULIE. Tout juste. ROSETTE. Ah! quelle trahison! Ils s'aiment sans votre ordre? JULIE. Oh! j'en aurai raison. |