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ami Despréaux, en dînant ensemble avec mademoiselle Ninon de Lenclos et madame de la Sablière.

Dans la même pièce, l'apothicaire Fleurant, brusque jusqu'à l'insolence, vient, une seringue à la main, pour donner un lavement au malade. Un honnête homme, frère de ce prétendu malade, qui se trouve là dans ce moment, le détourne de le prendre. L'apothicaire s'irrite, et lui dit toutes les impertinences dont les gens de sa sorte sont capables. A la première représentation, l'honnête homme répondait à l'apothicaire : « Allez, Monsieur, on voit bien que vous n'avez coutume de parler qu'à des culs. » Tous les auditeurs qui étaient à la première représentation s'en indignèrent, au lieu qu'on fut ravi à la seconde d'entendre dire : « Allez, Monsieur, on voit bien que vous n'avez pas coutume de parler à des visages.

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Le mari de mademoiselle de Beauval était un faible acteur : Molière étudia son peu de talent, et lui donna des rôles qui le firent supporter du public. Celui qui lui fit le plus de réputation fut le rôle de Thomas Diafoirus, dans le Malade imaginaire, qu'il jouait supérieurement. On dit que Molière, en faisant répéter cette pièce, parut mécontent des acteurs qui y jouaient, et principalement de mademoiselle de Beauval, qui représentait le personnage de Toinette. Cette actrice, peu endurante, après lui avoir répondu assez brusquement, ajouta : « Vous nous tourmentez tous et vous ne dites mot à mon mari! J'en serais bien fàché, répondit Molière ; je lui gâterais son jeu; la nature lui a donné de

meilleures leçons que les miennes pour ce rôle. » Peu de jours avant les représentations du Malade imaginaire, les mousquetaires, les gardes-du-corps, les gendarmes et les chevau-légers entraient à la Comédie sans payer, et le parterre en était toujours rempli. Molière obtint de Sa Majesté un ordre pour qu'aucune personne de la maison du Roi n'eût ses entrées gratis à son spectacle. Ces messieurs ne trouvèrent pas bon que les comédiens leur fissent imposer une loi si dure, et prirent pour un affront qu'ils eussent eu la hardiesse de le demander. Les plus mutins s'ameutèrent et résolurent de forcer l'entrée : ils allèrent en troupe à la Comédie et attaquèrent brusquement les gens qui gardaient les portes. Le portier se défendit pendant quelque temps; mais enfin, étant obligé de céder au nombre, il leur jeta son épée, se persuadant qu'étant désarmé, ils ne le tueraient pas. Le pauvre homme se trompa. Ces furieux, outrés de la résistance qu'il avait faite, le percèrent de cent coups; et chacun d'eux, en entrant, lui donna le sien. Ils cherchaient toute la troupe, pour lui faire éprouver le même traitement qu'aux gens qui avaient voulu défendre la porte; mais Béjart, qui était habillé en vieillard pour la pièce qu'on allait jouer, se présenta sur le théâtre : « Eh! Messieurs, leur dit-il, épargnez du moins un pauvre vieillard de soixante-quinze ans, qui n'a plus que quelques jours à vivre. » Le compliment de cet acteur, qui avait profité de son habillement pour parler à ces mutins, calma leur fureur. Molière leur parla aussi très-vivement de l'ordre du Roi; de sorte

que, réfléchissant sur la faute qu'ils venaient de commettre, ils se retirèrent. Le bruit et les cris avaient causé une alarme terrible dans la troupe. Les femmes croyaient être mortes; chacun cherchait à se sauver. Quand tout ce vacarme fut passé, les comédiens tinrent conseil pour prendre une résolution dans une occasion si périlleuse. « Vous ne m'avez point donné de repos, dit Molière à l'assemblée, que je n'aie importuné le Roi pour avoir l'ordre qui nous a mis tous à deux doigts de notre perte; il est question présentement de voir ce que nous avons à faire. » Plusieurs étaient d'avis qu'on laissât toujours entrer la maison du Roi; mais Molière, qui était ferme dans ses résolutions, leur dit que, puisque le Roi avait daigné leur accorder cet ordre, il fallait en presser l'exécution jusqu'au bout, si Sa Majesté le jugeait à propos. « Et je pars dans ce moment, ajouta-t-il, pour l'en informer. » Quand le Roi fut instruit de ce désordre, il ordonna aux commandants de ces quatre corps de les faire mettre sous les armes le lendemain, pour connaître, faire punir les coupables, et leur réitérer ses défenses. Molière, qui aimait fort la harangue, en alla faire une à la tête des gendarmes, et leur dit que ce n'était ni pour eux ni pour les autres maisons du Roi qu'il avait demandé à Sa Majesté un ordre pour les empêcher d'entrer à la Comédie; que sa troupe serait toujours ravie de les recevoir, quand ils voudraient les honorer de leur présence; mais qu'il y avait un nombre infini de malheureux qui, tous les jours, abusant de leurs noms et de la bandoulière de MM. les gardes-du

corps, venaient remplir le parterre et ôter injustement à la troupe le gain qu'elle devait faire; qu'il ne croyait pas que des gentilshommes, qui avaient l'honneur de servir le Roi, dussent favoriser ces misérables contre les comédiens de Sa Majesté; que, d'entrer au spectacle sans payer, n'était point une prérogative que des personnes de leur caractère dussent ambitionner jusqu'à répandre du sang pour se la conserver; qu'il fallait laisser ce petit avantage aux auteurs qui en avaient acquis le droit et aux personnes qui, n'ayant pas le moyen de dépenser quinze sols, ne voyaient le spectacle que par charité. Ce discours fit tout l'effet que l'orateur s'était promis; et, depuis ce temps-là, la maison du Roi n'est point entrée gratis à la Comédie.

Le rang qui convient à Molière, dans les lettres, est fixé depuis longtemps, c'est le premier. Ses ouvrages ne sont comparables qu'aux plus parfaites productions de l'antiquité. Ses premiers maîtres furent les anciens; plus tard, la nature et les ridicules de son siècle lui parurent une source inépuisable.

Il en tira cette foule de tableaux si différents les uns des autres et si admirables. Sous son habile pinceau, la comédie prit une forme nouvelle et une noblesse qu'elle n'avait encore jamais eue en France. Il étudia la cour et la ville, fit rire grands seigneurs et bourgeois en leur présentant l'image de leurs défauts. Philosophe et observatenr judicieux, rien n'échappait à ses regards. Il est peu de conditions humaines où il n'ait porté sa loupe investigatrice, peu de ridicules qu'il n'ait mis en scène avec une vérité

saisissante. Il s'emparait de la folie des humains et allait la chercher où personne ne l'eût soupçonnée. Grâce à son théâtre moralisateur, bien des abus existant à son époque lui ont dû des réformes sinon totales, du moins partielles. Les Précieuses ridicules firent cesser le stupide jargon de l'hôtel de Rambouillet, les Femmes savantes firent tomber des prétentions absurdes chez un sexe fait pour aimer et être aimé. La Cour et la ville cessèrent, grâce à ses comédies à caractères, l'une de s'arroger le droit exclusif de critique, l'autre de conserver une morgue fatigante.

Certainement, les comédies de Molière ne firent pas et ne feront jamais disparaître les avares et les hypocrites, parce que le vice est plus difficile à déraciner que le ridicule ne l'est à réformer, mais elles servirent à attacher les avares et les faux dévots au pilori de l'opinion. On doit convenir, il est vrai, que Molière, même dans ses chefs-d'œuvre, a quelquefois un langage un peu trivial, et que ses dénouements ne sont pas toujours des plus heureux. Il est un reproche qu'on lui adressa souvent à l'époque où il vivait, c'est d'avoir beaucoup trop donné de pièces populaires, de ces comédies composées pour faire rire son parterre; mais il faut se souvenir que Molière était chef d'une troupe de comédiens, qu'il fallait à ces comédiens des recettes et que la meilleure manière de leur en donner, c'était de plaire à la multitude. Or, ce qui plaît à la multitude n'est pas toujours le nec plus ultra de l'art. Que de directeurs de théâtre disent encore de nos jours sans doute cette pièce est détestable, sans doute elle est ridicule, sans

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