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DISCOURS

SUR

L'HISTOIRE ECCLESIASTIQUE,
Depuis l'an 600. jufques à l'an 1100.

L

ES beaux jours de l'églife font paffez: mais Dieu n'a pas
rejetté fon peuple, ni oublié fes promeffes. Regardons
avec crainte les tentations dont il a permis que fon églife
fut attaquée, pendant les cinq ficcles qui ont fuivi les fix
premiers ; & confiderons avec actions de graces les
moïens qu'il a emploïez pour la foutenir. Ce font des
objets dignes de nôtre attention.

I. Inondation

Mœurs des

Apocal.

Rome idolâtre fouillée de tant de crimes & enyvrée du fang de tant de martyrs, devoit être punie, & la vengeance divine devoit éclater fur elle, à la face de toutes les nations. Saint Jean l'aiant appris de J. C. des barbares, même, avoit dépeint dans fon Apocalypfe par des Images affreufes, la chûte de cette nouvelle Babylone. L'execution fuivit en fon tems: Rome ceffa d'être la capitale de l'empire, depuis que Conftantin en eut transferé le Chreft. c. 56. fiege à Byzance; & depuis que l'empire fut partagé, les empereurs d'Occident refiderent à Ravenne, à Milan & par tout ailleurs qu'à Rome. Ainfi elle perdit peu-à-peu fon éclat, fes richefles, fon peuple. Nous avons vû la trifte peinture qu'en faifoit Saint Gregoire. Cependant elle fut prife & pillée Hift. liv.xxv. plufieurs fois par les barbares, qui ravagerent & mirent en pieces tout l'em- ».40. pire d'Occident. Or je compte cette inondation des barbares pour la la premiere tentation exterieure de l'églife, depuis les perfecutions des em- Ezech pereurs païens.

Car ces barbares dans les commencemens de leurs courfes remplif foient tout de fang & de carnage: brûloient les villes entieres, maffacroient les habitans, ou les emmenoient efclaves, jettoient par tout la terreur & la defolation. Les perfecutions les plus cruelles fous l'empire Romain, n'étoient ni continuelles, ni univerfelles; & il reftoit un peuple de païens, de même langue & de même nation que les Chretiens. Ils les écoutoient fouvent, & fe convertiffoient de jour en jour. Mais où il ne refte plus d'hommes, il n'y a plus d'églifes. Et comment convertir des brutaux toûjours armez, toûjours courant au pillage, & dont on n'entend pas la langue?

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Hom. 18, in

Deplus ces barbares qui ruinerent l'empire Romain, étoient ou païens ou heretiques: enforte que même aprés les premieres fureurs, quand ils furent allez apprivoifez avec les Romains pour s'entendre l'un l'autre & fe parler de fang froid, les Romains leur étoient toûjours odieux, par la Hift. liv. xxx. diverfité de religion. Vous avez vû la cruelle perfecution des Vandales en 3.9.10. &c. Atrique.

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Ces barbares, il eft vrai, fe convertirent, les uns plûtôt, les autres plus tard; & dans leur converfion, Dieu ne fit pas moins éclatter sa mifericorde, que dans la punition des Romains il avoit fignalé fa jufMœurs, Chret, tice. Mais les barbares en devenant Chrétiens ne quitterent pas entierement leurs anciennes mœurs : ils demeurerent la plûpart legers, changeans, emportez, agiffant plus par paffion que par raifon. Vous avez vû quels Chrétiens c'étoit que Clovis & fes enfans. Ces peuples continuoient dans leur mépris pour les lettres & pour les arts, ne s'occupant que de la chaffe & de la guerre. De-là vint l'ignorance, même chez les Romains leurs fujets. Car les mœurs de la nation dominante prevalent toûjours, & les études languiffent, fi l'honneur & l'interêt ne les foûtient.

des.

II.

Nous voïons la decadence des études dans les Gaules dés la fin du fixiéChute des étu- me fiecle, c'est-à-dire, environ cent ans aprés l'établiffement des Francs. Nons en avons un éxemple fenfible dans Gregoire de Tours. Il reconnoît lui-même qu'il avoit peu étudié la grammaire & les lettres humaines ; & quand il ne l'avoüeroit pas, on le verroit affez. Mais le moindre défaut de fes écrits eft le ftile, on n'y trouve ni choix de matiere, ni arrangement. C'eft confufément l'hiftoire ecclefiaftique & la temporelle: ce font la plû part de petits faits de nulle importance, & il en releve fouvent des circonftances baffes & indignes d'une hiftoire ferieuse. Il paroît credule jusqu'à l'excés fur les miracles.

J'attribue ces défauts à la mauvaise éducation, plûtôt qu'au naturel; au、 trement il faudroit dire que pendant plufieurs fiecles il ne feroit prefque pas né d'homme qui eut un fens droit & un jugement exact. Mais les meilleurs efprits fuivent aisément les prejugez de l'enfance & les opinions vulgaires, quand ils ne font pas exercez à raifonner, & ne fe propofent pas de bons modelles. Les études ne tomberent donc pas entierement avec l'empire Romain, la religion les conferva: mais il n'y eut plus que les ecclefiaftiques qui étudierent, & leurs études furent groffieres & imparfaites. Je parle des Hift.l.xx. n. 7. sciences humaines: car pour les dogmes de la religion, ils fuivoient l'autorité certaine de l'écriture & de la tradition des peres. Le pape Agathon le 10m. 6. conc. p. témoigne dans la lettre dont il chargea fes legats pour le fixiéme concile. Nous ne les envoïons pas, dit-il, par la confiance que nous avons en leur fçavoir. Car comment pourroit-on trouver la fcience parfaite des écritures, chez des gens qui vivent au milieu des nations barbares, & gagnent à grande peine leur fubfiftance chaque jour par leur travail corporel? feulement nous gardons avec fimplicité de cœur la foi que nos peres nous ont laiffez.

681,

Dans les fiecles fuivans, les hommes les plus éclairez, comme Bedes

Alcuin, Hincmar, Gerbert fe fentoient du malheur des tems: voulant embraffer toutes les sciences, ils n'en approfondiffoient aucune, & ne savoient rien exactement. Ce qui leur manquoit le plus étoit la critique, pour diftinguer les pieces fauffes des veritables. Car il y avoit dés-lors quantité d'écrits fabriquez fous des noms illuftres, non-feulement par des heretiques, mais mais par des catholiques, & même à bonne intention. J'ai marqué que Vigile de Thafpe avoüe lui-même avoir emprunté le nom de Saint Athanafe, pour fe faire écouter des Vandales Ariens. Ainfi quand on n'avoit pas les actes d'un martyr pour lire au jour de fa fête, on en compofoit les plus vrai femblables ou les plus merveilleux que l'on pouvoit ; & par là P'on croïoit entretenir la pieté des peuples. Ces fauffes legendes furent principalement frabriquées à l'occafion des tranflations de reliques, fi frequentes dans le neuviéme fiécle.

Hift.l.xxx .8

n. 22.

On faifoit auffi des titres, foit à la place des veritables que l'on avoit per- Hift.l. L..141 dus, foit abfolument fuppofez: comme la fameufe donation de Constantin, dont on ne doutoit pas en France au neuviéme fiecle. Mais de toutes ces pieces fauffes les plus pernicieufes furent les decretales attribuées aux papes des quatre premiers ficcles: qui ont fait une playe irreparable à la difci- Hjft liv. XLIV. pline de l'églife, par les maximes nouvelles qu'elles ont introduites touchant les jugemens des évêques & l'autorité du pape. Hincmar tout grand canonifte qu'il étoit, ne put jamais démêler cette fauffeté: il favoit bien que ces decretales étoient inconnues aux fiecles precedens, & c'eft lui qui nous apprend quand elles commencerent à paroître : mais il ne favoit pas affez de critique pour y avoir les preuves de fuppofition, toutes fenfibles qu'elles font; & lui-même allegue ces decretales quand elles lui font favorables.

Un autre effet de l'ignorance eft de rendre les hommes credules & fuperftitieux, faute d'avoir des principes certains de créance & une conoiffance exacte des devoirs de la religion. Dieu est tout puiffant, & les Saints ont un grand credit auprés de lui, ce font des veritez qu'aucun catholique ne contefte: donc je dois croire tous les miracles, qui ont été attribuez à l'interceffion des Saints, la confequence n'eft pas bonne. Il faut en éxaminer les preuves: & d'autant plus exactement, que ces faits font plus incroïables & plus importans. Car affurer un faux miracle, ce n'eft rien moins felon Saint Paul que porter faux témoignage contre Dieu, comme remarque trésjudicieufement Saint Pierre-Damien. Ainfi loin que la pieté engage à les croire legerement, elle oblige à en examiner les preuves à la rigueur. Il en eft de même des revelations, des apparitions d'efprits, des operations du démon, foit par le ministere des forciers ou autrement: en un mot de tous les faits furnaturels : quiconque a du bon fens & de la religion, doit être trés-refervé à les croire.

Ceft par cette raifon que j'ai rapporté trés peu de ce nombre infini de miracles, que racontent les auteurs de ces ficcles moins éclairés. Il m'a paru que chez eux le goût du merveilleux l'emportoit fur celui du vrai; & je ne voudrois pas répondre qu'en quelques-uns il n'y eût des motifs d'interêt, foit d'attirer des offrandes par l'opinion des guerifons miraculeuses, foit de con

1. Cor. xv. 15.

Petr. Dam.vita
S Domin, Loric,

n. 1.

III.

Menaces & promeffes tem poreles.

a. Civit, c. 8.

6. 9.

ferver les biens des églifes, par la crainte des punitions divines. Car c'eft à quoi tendent la plupart des hiftoires rapportées dans les recueils de miracles de faint Martin, de faint Benoît & des autres faints les plus fameux. Comme fi ceux qui font faints pour avoir méprifé les richeffes fur la terre, étoient devenus intereffez dans le ciel; & emploient leur crédit auprés de Dieu pour fe venger de ceux qui pilloient les trefors de leurs églifcs.

Je voi bien le principal motif qui engageoit à relever avec tant de foin ces prétendus miracles. On vouloit retenir au moins par la crainte des peines temporelles, ceux qui étoient peu touchez des éternelles : mais on ne s'aperçevoit pas que c'étoit introduire une erreur dangereufe, en raifonnant fur ce faux principe, que Dieu punit ordinairement les méchans en cette vie. C'étoit ramener les Chrétiens à l'état de l'ancien teftament, où les promeffes & les menaces étoient temporelles. C'étoit exposer au mépris l'autorité de la religion, dont on prétendoit appuyer ces menaces: puifqu'elles étoient fouvent démenties par l'experience; & que l'on voïoit tous les jours les ufurpateurs des biens de l'églife demeurer impunis, & vivre dans une fanté & une profperité parfaite.

Auffi n'étoit-ce pas la doctrine de l'antiquité éclairée, & faint Auguftin a prouvé folidement le contraire. Il a plû, dit-il, à la divine providence de préparer à l'avenir des biens pour les juftes, dont les injuftes ne jouiront point; & pour les impies des maux, dont les bons ne feront point tourmentez. Mais quant à ces biens & ces maux temporels, il a voulu qu'ils fuffent communs aux uns & aux autres : afin que l'on ne defire pas trop ardemment des biens, que l'on voit auffi entre les mains des méchans; & que l'on ne faffe rien de honteux, pour éviter des maux que les bons mêmes fouffrent le plus fouvent. Et encore: Si tout peché étoit maintenant puni d'une peine manifefte, on croiroit que rien ne feroit réfervé au dernier jugement; & fi Dieu ne puniffoit maintenant aucun peché évidemment, on croiroit qu'il n'y auroit point de providence. De même pour les biens de cette vie, fi Dieu ne les donnoit à quelques-uns de ceux qui les demandent, il fembleroit que ces biens ne dépendroient pas de lui: & s'il les donnoit à tous ceux qui les demandent, nous croirions ne le devoir fervir que pour ces recompenfes, & au lieu d'être pieux nous fe

rions avares.

Il montre enfuite que les plus gens de bien ne laiffent pas de commettre des pechez, pour lefquels ils meritent des peines temporelles; & qu'il y a une autre raifon pour les faire fouffrir en cette vie comme Job, afin qu'ils connoiffent le fond de leur cœur, & qu'ils apprennent par experience, s'ils aiment Dieu par une piété fincere & defintereffée. Il v. Civit. c. 13. enfeigne auffi que Dieu recompenfe en cette vie les vertus purement hu

maines, comme celles des anciens Romains, parce qu'il ne leur referve xx. Civit. c. 2. point d'autre recompenfe. Enfin il ajoûte: Nous aprenons maintenant à foufrir patiemment les maux que fouffrent même les bons, & à ne pas beaucoup eftimer les biens que les méchans même obtiennent. Ainfi Dieu nous donne une inftruction falutaire, en nous cachant fa justice. Car nous ne

fçavons par quel jugement de Dieu, cet homme de bien eft pauvre & ce méchant riche: pourquoi l'innocent eft condamné & le criminel abfous. Que cette abfurdité, pour ainfi dire, avoit toûjours lieu en cette vie, on y pourroit trouver quelque raifon de juftice: mais il arrive fouvent du mal aux méchans & du bien aux bons: ce qui rend les jugemens de Dieu plus impenetrables.

Il femble qu'on cût oublié cette doctrine, quand les évêques & les papes mêmes emploioient fi hardiment les promeffes temporelles pour en

gager les princes a les proteger; comme entre autre le pape Eftienne II. Steph. epift. s. dans la lettre écrite aux François au nom de faint Pierre. Ces promeffes Hift.liv, 11111. & ces menaces peuvent impofer quelque tems à des ignorans : mais # 17 quand ils voient qu'elles font fans effet, comme il arrive le plus fouvent, elles ne font propres qu'à les fcandalifer & à ébranler leur foi: les faifant douter de la folidité des promeffes & des menaces qui regardent l'autre vie. Cependant on a continué jufques dans les derniers fiecles à fuivre cette vieille prevention; & je ne puis affez m'étonner qu'un homme auffi éclairé que le cardinal Baronius releve avec tant de foin les mauvais fuccés arrivez aux ennemis de l'églife, particulierement du faint. fiege, comme autant de punitions divines, & les avantages des princes pieux, comme des preuves qu'ils foûtenoient la bonne caufe. Toutefois la verité de 1 hiftoire l'oblige fouvent à recourir à la profondeur des jugemens de Dieu, pour fauver les difgraces arrivées aux plus zelés catholiques; & il ne s'apperçoit pas qu'une preuve qui n'eft pas toûjours concluante ne l'eft jamais.

IV.

Reliques.

Je reviens aux effets de l'ignorance & de la credulité mal reglée. Il faut y compter la facilité à recevoir des reliques, dont l'éxamen demande à proportion du jugement & de la précaution, commme celui des miracles. Il eft certain en general que les reliques des faints meritent d'être honorées; Maurs Chret & vous en avez vû la pratique dés les premiers fiecles de l'églife, dans c. zz. les actes des martyrs les plus authentiques & dans les écrits des peres. Souvenez-vous entre autres de ce que dit faint Auguftin des reliques de faint Etienne & des miracles qui s'y faifoient. Mais il témoigne que dés fon tems on debitoit de faufles reliques ; & il n'eft pas toûjours aifé de les diftinguer des vrayes. On ne s'y feroit jamais trompé, fi l'on n'avoit toûjours gardé la fage précaution de ne point toucher aux fepulchres des faints; & de laiffer leurs corps entiers bien avant dans la terre, comme font encore à Rome ceux des faints apôtres ; & vous avez vû avec quelle fermeté faint Gregoire refufa à l'imperatrice même le chef de faint Paul. On se contentoit alors d'envoier pour reliques, ou des linges qui avoient tou- III. epift. soi ché les fepulchres des SS. où des tapis qui les avoient couverts, ou qui avoient couverts les autels.

Ce fut en Orient que l'on commença à transferer & à divifer les reliques, & ce fut l'occafion des impoftures. Car pour affurer des reliques; il eut fallu les fuivre exactement depuis leur origine, & connoître toutes les mains par lesquelles elles avoient paflé : ce qui n'étoit pas fi difficile dans les commencemens. Mais aprés plufieurs fiecles il fut bien plus aifé d'im

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