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LXI.
Odon abbé de

Tournai.

Narrat. to. 12,

Spicil. p. 360.

En ce tems-là fut rétabli le monaftere de S. Martin de A N. 1091. Tournai, par les foins du docteur Odon, qui en fut le premier abbé. Il nâquit à Orleans, & dès fon enfance, Saint Martin de s'appliqua à l'étude avec un tel fuccés, qu'étant encore jeune il paffoit pour un des premiers docteurs de France. Il enfeigna premierement à Toul: puis les chanoines de la cathedrale de Tournai l'y appellerent pour gouverner leur école, comme il fit pendant cinq ans. Il y acquit une telle reputation, que les clercs venoient en troupes pour l'écouter: non-feulement de France, de Flandre, de Normandie : mais des païs éloignez, de Bourgogne, d'Italie, de Saxe. La ville de Tournai étoit pleine d'étudians, que l'on voïoit disputer dans les ruës, & fi on approchoit de l'école, on les trouvoit tantôt se promener avec Odon, tantôt affis autour de lui; & le foir devant la porte de l'église il leur montroit le ciel, & leur apprenoit à connoître les conftellations.

Quoiqu'il fçût fort bien tous les arts liberaux, il excelloit principalement dans la dialectique, fur laquelle il compofa trois livres ; & il s'y nommoit Oudart, parce qu'il étoit plus connu fous ce nom, que fous celui d'Odon. Il fuivoit dans la dialectique la doctrine de Boëce & des anciens : foutenant que l'objet de cet art font les chofes & non pas les paroles, comme prétendoient quelques modernes, qui fe vantoient de fuivre Porphyre & Ariftote. De ce nombre étoit Rainbert, qui enfeignoit alors la dialectique à Lifle, & s'efforçoit de décrier la doctrine d'Oudart Ces deux fectes porterent depuis les noms de Realistes & de Nominaux.

Oudart n'étoit pas moins eftimé pour fa vertu que pour fa fcience. Il conduisoit à l'églife fes difciples au nombre d'environ deux cens, marchant le dernier, & Xxx iij

AN. 1091.

leur faisant observer une difcipline aufli exacte que dans le monaftere le plus regulier. Aucun n'eût ofé parler à fon compagnon, rire, ou regarder à droit ou à gauche; & quand ils étoient dans le chœur, on les eût pris pour des moines de Clugni. Il ne leur fouffroit ni fre-. quentation avec les femmes, ni parure dans leurs habits ou leurs cheveux : autrement il les eût chassez de fon école, ou l'eût abandonnée lui-même. A l'heure de fes leçons il ne permettoit à aucun laïque d'entrer dans le cloître des chanoines, qui étoit auparavant le rendezvous des nobles & des bourgeois pour terminer leurs affaires. Il ne craignit pas de choquer par cette défense Everard châtelain de Tournai: car il difoit qu'il étoit honteux à un homme fage, de fe détourner tant foit peu du droit chemin par la confideration des grands. Toute cette conduite le faifoit aimer & eftimer, nonfeulement des chanoines & du peuple, mais de Rabod évêque de Noïon & de Tournai : toutefois quelques-uns difoient, que fa regularité venoit plus de philosophie que de religion.

Il gouvernoit l'école de Tournai depuis près de cinq ans, quand un clerc lui aïant apporté le livre de S. Auguftin du libre arbitre, il l'acheta, seulement pour garnir fa biblioteque ; & le jetta dans un coffre avec d'autres livres, aimant mieux alors lire Platon que S. Auguf tin. Environ deux mois après, expliquant à fes difciples le traité de Boëce, de la confolation de la philofophie, il vint au quatriéme livre, ou l'auteur parle du libre arbitre. Alors se souvenant du livre qu'il avoit acheté, il se le fit apporter ; & après en avoir lû deux ou trois pages, il fut charmé de la beauté du ftile, & aïant appellé fes difciples, il leur dit : J'avouë que j'ai ignoré jufques à

prefent, que S. Auguftin fût fi éloquent & fi agréable. A N. 1091. Auffi-tôt il commença à leur lire cet ouvrage ce jour-là & le suivant, leur expliquant les paffages difficiles.

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pour

Arb. c. 9. n.27.

Il vint à l'endroit du troifiéme livre, où S. Auguftin Aug. 111. de lib. compare l'ame pechereffe à un esclave condamné ses crimes à vuider la cloaque, & contribuer ainsi à sa maniere à l'ornement de la maison. A cette lecture Oudard foupira du fond du cœur, & dit: Helas! que cette penfée eft touchante Elle femble n'être écrite que pour nous. Nous ornons ce monde corrompu de peu de fcience que nous avons, mais après la mort nous ne ferons pas dignes de la gloire celefte: parce que nous ne rendons à Dieu aucun service, & que nous abufons de nôtre science pour la gloire du monde & la vanité. Aïant ainsi parlé il se leva, & entra dans l'église fondant en larmes : toute fon école fut troublée, & les chanoines remplis d'admiration. Deflors il commença infenfiblement à ceffer ses leçons, aller plus souvent à l'église & diftribuer aux pauvres, principalement aux pauvres clercs, l'argent qu'il avoit amaffé, car fes difciples lui faifoient de grands prefens. Il jeûnoit si rigoureufement, que fouvent il ne mangeoit que ce qu'il pouvoit tenir de pain dans fa main fermée de forte qu'en peu de jours il perdit fon embonpoint, & devint fi maigre & fi attenué, qu'à peine étoit-il connoifable.

:

Le bruit fe répandit auffi-tôt dans tous le païs, que le docteur Oudart alloit renoncer au monde : quatre de fes difciples lui promirent de ne le point quitter, & lui firent promettre de ne rien faire que de concert avec eux. Les abbez de toute la province, tant de moines que de chanoines, vinrent à Tournai, & chacun invitoit Odon de venir à son monaftere : mais fes difciples aimoient

A N. 1091.

P.377.

mieux la regle des chanoines, la trouvant plus tolera. ble que

celle des moines.

Il y avoit près la ville de Tournai une église demi ruinée, que l'on difoit être le refte d'une ancienne abbaïe détruite par les Normans : les bourgeois de Tournai voïant la résolution d'Odon, prierent l'évêque Rabod de lui donner cette église avec les terres qui en dépendoient & qui avoient été ufurpées. Odon eut de la peine à l'accepter, mais enfin il y acquiesça; & l'évêque l'en mit en poffeffion lui & cinq clercs, qui le fuivirent le dimanche second jour de Mai 1092. Ils y vêcurent p. 394· d'abord dans une extrême pauvreté, & fubfifterent pendant un an de la quête que quelques bons laïques faifoient pour eux, portant tous les jours des facs par la ville. Leur nombre ne laiffoit pas de s'acroître, en forte que la seconde année ils fe trouverent dix-huit. Mais l'année suivante, à la persuasion d'Haimeric abbé d'Anchin, ils embrasserent la vie monaftique, & Odon étant élû abbé tout d'une voix, reçût en cette qualité la benediction de l'évêque,

nioient, fans préjudice du jour de Pâques. Le jeudi on AN. 1091. lavoit les pieds à autant de pauvres qu'il y avoit de freres dans la maison, & l'abbé y en ajoûtoit pour les amis autant qu'il jugeoit à propos. Avant le repas on donnoit à chaque pauvre une oublie en figne de com

munion.

c. 13

Le vendredi faint tous les freres s'affembloient nuds pieds dans le cloître, & recitoient tout le pfeautier entre prime & tierce. Leur repas n'étoit que du pain & des herbes cruës, & pour collation ils goûtoient feulement un peu de vin. A ces paroles de la paffion: ils ont partagé mes vêtemens, deux moines tiroient, chacun de fon côté, deux pieces d'étoffe de deffus l'autel; mais Ulric trouvoit ces representations peu conformes à l'efprit de l'évangile. Il loue l'abbé Hugues d'avoir retranché de l'office du famedi faint ces mots : O heureuse faute, & peché d'Adam neceffaire : que toutefois nous difons. Ce jour on permettoit de dire des meffes baffes aprés l'évangile de la grande messe. Le jour de Pâques avoit fes premieres vêpres entieres & Brew.clun. p 412fes vigiles à trois nocturnes, comme l'ordre de Clugni 423. l'obferve encore.

6. 14.

c.

c. 25.

v. Baillet feft.

mob. Trin. n. 4.

6. 41.

Le dimanche de l'octave de la Pentecôte, on faifoit à Clugni l'office de la fainte Trinité, qui n'étoit encore alors qu'une devotion particuliere; & qui n'a été reçu par l'église Romaine que fous le pape Jean XXII plus de deux cens ans aprés. A la faint Pierre, qui eft la fête de patron, les nocturnes & les laudes étoient plus longues que la nuit: elles commençoient & finiffoient de jour, en forte qu'on ne dormoit point. A l'exaltation de la fainte Croix, on faifoit l'adoration folemnelle, comme le vendredi faint. Entre ces lon-3

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