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LETTRES INTÉRESSANTES

DU PAPE

CLÉMENT XIV.

LETTRE LXXXII A M. le Prince SAN-SEVERO.

EXCELLENCE,

Les pétrifications que je vous ai fait par fer, font beaucoup au-deffous de vos remerciements. J'en connois tout le prix, ainfi que l'avantage d'entrer en relation avec un Philofophe qui fe plaît à étudier P'Hiftoire de la nature, & qui n'en admire les phénomenes & les jeux, qu'avec connoiffance de caufe.

Les oifeaux que vous faites venir du nouveau monde pour l'Empereur, feront des_pieces très-curieufes; mais je doute Tome II

A

que, malgré toutes les précautions, ils puiffent arriver vivants jufques dans nos climats. Mille fois on a tenté de paffer l'oifeau-mouche & le colibri; & on a eu le défagrément de les voir expirer à quelque diftance de nos ports.

paon,

La Providence, en nous donnant le nous a affez richement pourvus fans aller chercher ailleurs des beautés aîlées. L'Amérique en effet n'a rien de plus magnifique que nos plus fuperbes oifeaux; mais on préfere ordinairement ce qui eft étranger, par la feule raifon qu'il vient de loin.

Vous devez, mon Prince, être enchanté de l'entreprise de M. de Buffon, Académicien François, & de fes premiers tomes qui paroiffent. Je ne les connois encore que pour les avoir lus très-rapidement; mais cela me paroît admirablement vu. Je fuis feulement fâché de ce que l'Auteur d'une Hiftoire Naturelle fe déclare pour un fyftême. C'eft le moyen de faire douter de plufieurs chofes qu'il avance, & d'avoir des guerres à foutenir contre ceux qui ne font pas de fon avis. D'ailleurs tout ce qui s'écarte de la Genese fur la Créa tion du monde, n'a pour appui que des pa radoxes, ou tout au moins des hypotheses.

Il n'y avoit que Moïfe, comme Auteur infpiré, qui pût bien nous apprendre la formation du monde & fon développement. Ce n'eft point un Epicure qui a recours à des atômes; un Lucrece qui croit

la matiere éternelle; un Spinofa qui admet un Dieu matériel; un Defcartes qui balbutie fur les loix du mouvement; mais un Législateur qui annonce à tous les hommes, fans héfiter, fans craindre de fe méprendre, comment le monde a été créé. Rien de plus fimple & de plus fublime que fon début : Au commencement Dieu créa le ciel & la terre. Il ne parleroit pas plus affirmativement, quand il en auroit été le spectateur; &, par ces paroles, la mythologie, les fyftêmes, les abfurdités croulent, & ne paroiffent plus que des chimeres aux yeux de la raison.

Quiconque n'entre voit pas la vérité dans ce que rapporte Moïfe, n'eft pas fait pour la connoître. On s'attache tous les jours à des hypothefes qui ne font pas même vraisemblables; & l'on ne veut pas ajouter foi à ce qui donne la plus haute idée de la puiffance & de la fageffe de Dieu.

Un monde éternel offre mille fois plus de difficultés qu'une intelligence éternelle; & un monde coéternel eft une abfurdité qui ne peut exifter, parce que rien ne peut être auffi ancien que Dieu.

Outre que Dieu eft néceffaire, & que l'univers ne l'eft pas; de quel droit la matiere, chofe tout-à-fait contingente chofe abfolument inerte, prétendroit-elle aux mêmes prérogatives qu'un efprit toutpuiffant, qu'un efprit entiérement immatériel? Ce font des extravagances qui n'ont pu naître que dans les accès d'une ima

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gination délirante, & qui prouvent l'éton nante foibleffe de l'homme, quand il ne veut plus entendre que lui-même.

L'Hiftoire de la Nature eft un livre fermé pour toutes les générations, fi elles n'entrevoient pas un Dieu Créateur & Confervateur; car rien n'eft plus fenfible que fon action. Le foleil, tout magnifique & tout imposant qu'il eft, le foleil quoiqu'adoré par diverfes nations, n'a ni intelligence, ni difcernement; &, fi fon cours eft tellement régulier, que jamais il ne l'interrompt d'un feul inftant, c'eft qu'il reçoit l'impulfion d'un Agent suprême, dont il exécute les ordres avec la plus grande ponctualité.

On a beau promener les yeux fur la vafte étendue de cet univers, on le voit renfermé dans l'immenfité d'un Etre devant qui le monde entier eft comme s'il n'étoit pas. Il feroit bien fingulier que le plus petit ouvrage ne pouvant exifter fans un ouvrier, le monde eût le privilege de ne devoir qu'à lui-même fon existence & fa beauté.

La raison fe creufe des précipices effroyables, quand elle n'écoute plus que les paffions & les fens; & la raison fans la Foi fait pitié. Toutes les Académies de l'univers peuvent imaginer des systêmes fur la Création du monde; mais, après toutes leurs recherches, toutes leurs conjectures, toutes leurs combinaifons, après des multitudes de volumes, elles m'en di

ront beaucoup moins que Moïfe n'en a dit dans une fimple page; & encore elles ne me diront que des chofes qui n'auront aucune vraisemblance. Et telle eft la différence qui fe trouve entre l'homme qui ne parle que d'après lui-même, & l'homme qui eft infpiré.

L'Eternel fe rit au haut des cieux de tous ces fyftêmes infenfés qui arrangent le monde à leur gré; qui tantôt lui donnent le hazard pour pere, & tantôt le fuppofent éternel.

On aime à fe perfuader que la matiere fe gouverne elle-même, & qu'il n'y a pas d'autre Divinité; parce qu'on fait bien que la matiere eft abfolument inerte & ftupide & qu'on n'a point à redouter fes effets; au-lieu que la juftice d'un Dieu qui voit tout, qui pese tout, eft accablante pour le pécheur.

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Rien de plus beau que l'Hiftoire de la Nature, quand elle eft liée à celle de la: Religion. La nature n'eft rien fans Dieu; & par l'opération de Dieu, elle produit tout, elle vivifie tout fans être rien de ce qui compofe l'univers, Dieu en eft le mouvement, la feve & la vie. Otez fon action, & il n'y a plus d'activité dans les éléments, plus de végétation dans les plantes, plus de reffort dans les caufes fecondes, plus de révolutions dans les aftres. Des ténebres éternelles prennent la place. de la lumiere, & l'univers devient à luimême fon propre tombeau.

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