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députer vers lui cinq des académiciens pour savoir si ces deux propositions lui étaient également agréables. M. le chancelier témoigna qu'il voulait laisser une entière liberté à la compagnie. Mais lorsqu'elle commençait à délibérer sur ce sujet, M. l'abbé de Cérizy lui présenta une lettre de M. de Ballesdens, pleine de beaucoup de civilités pour elle et pour M. Corneille, qu'il priait la compagnie de vouloir préférer à lui, protestant qu'il lui déférait cet honneur comme lui étant dû par toutes sortes de raisons 1. D

Ce qu'il y a de curieux, c'est que ce récit des difficultés qu'éprouva l'admission de Corneille ne se trouve que dans la première édition de l'ouvrage de Pellisson, et que cet historien le retrancha dans les éditions suivantes. Peut-être se figurait-il, comme le dit D'Olivet; que ces deux refus étaient peu honorables pour celui qui les essuya, et cette précaution dénoterait en ce cas une grande bonhomie; ou peut-être aussi supprima-t-il ce passage d'après quelque réclamation de Corneille, par intérêt pour le corps dont il était enfin devenu membre, car nous lisons dans Guy Patin : « M. Pellisson, tout habile homme qu'il est, s'est bien fait des ennemis par son Histoire de l'Académie. M. Corneille, illustre faiseur de comédies, écrit contre lui. » Nous ne trouvons nulle autre part mention

'Histoire de l'Académie française, par Pellisson et D'Olivet, édit. de 1743, t. I, p. 207 et suiv.

2 Ibid., t. I, p. 206, note. D'Olivet rétablit ce passage dans son édition. La première de Pellisson a pour titre Relation contenant l'Histoire de l'Académie françoise; Paris, Courbé, 1653, in-8°.

de cet ouvrage projeté, demeuré inconnu à tous les éditeurs de notre tragique, auxquels sans doute aussi ce passage de Guy Patin aura échappé '.

Le discours de réception de Corneille, que l'on pourrait citer à coup sûr comme un des plus mauvais morceaux de ce genre, s'il ne rachetait ses défauts par le rare mérite d'être fort court, est écrit de telle sorte que Palissot a cru y reconnaître le mépris secret du récipiendaire pour le corps qui avait censuré le Cid et lui avait préféré deux compétiteurs indignes de lui. Ce n'est peut-être qu'une obligeante interprétation, mais on serait tenté de l'adopter quand on entend l'orateur parler des «admirables chefs-d'œuvre >> de ses nouveaux collègues, célébrer « le grand génie qui n'a fait que des miracles, feu M. le cardinal de Richelieu » (persécuteur de Chimène), « qui, de la même main dont il sapait les fondements de la monarchie d'Espagne, a jeté ceux de l'établissement de l'Académie » Toutefois, comme il parle en même temps de sa propre « incapacité » et des « heureux talents dont la nature l'a favorisé », comme il s'appelle un «< indigne mignon de la fortune », et peint « l'épanouissement de son cœur », la « liquéfaction intérieure qui relâche toutes les puissances de son âme, on est forcé de reconnaître qu'il y a négligence et ridicule sans préméditation. Corneille, toujours sublime quand il est animé, devait nécessaire

1 Lettres choisies de feu M. Guy Patin, Rotterdam, 1725, t. I, p. 210; lettre du 21 octobre 1653.

ment être lourd et guindé dans un genre qui ne comporte qu'une froide déclamation. Au reste, Racine ne fut pas beaucoup plus heureux à sa réception. Peu content sans doute de lui-même, il prononça son discours d'une voix si basse, que Colbert, qui était venu pour l'entendre, ne put en saisir un mot; aussi s'empressa-t-il de supprimer cette harangue, qui ne parut jamais dans les recueils de l'Académie, et qui ne se trouva pas dans ses papiers à sa mort. Corneille, en imitant cet exemple, eût agi dans les intérêts de sa gloire académique.

Peu avant cette réception, il fit jouer Héraclius 2, que Pellegrin appelait le désespoir des auteurs tragiques, et que Boileau nommait un logogriphe 3. Il obtint un grand succès; mais la complication, et, en quelque sorte, l'embarras de la fable, n'échappèrent ni à ceux dont l'intérêt et les belles situations de cette tragédie enlevaient les suffrages, ni à l'auteur luimême. Un compilateur d'anecdotes a prétendu que celui-ci, assistant à une reprise de son ouvrage, quelques années après qu'il l'eut composé, ne comprit plus rien à la conduite de l'action, C'est tout au moins une exagération poussée jusqu'à l'invraisemblance; mais cependant Corneille, on peut en être

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1 Mémoires sur la vie de Jean Racine (par L. Racine), Lausanne, 1747, p. 100.

2 Lettres familières de M. Conrart à M. Félibien, 1681, in-12; lettre du 16 août 1647, p. 30.

3 Bolæana, 1742, p. 111.

Anecdotes dramatiques, t. I, p. 422.

certain, ne se dissimulait pas cet inconvénient. « J'ai vu, dit-il dans son Examen, de fort bons esprits et des personnes des plus qualifiées de la cour se plaindre de ce que sa représentation fatiguait autant l'esprit qu'une étude plus sérieuse. Elle n'a pas laissé de plaire; mais je crois qu'il l'a fallu entendre plus d'une fois pour en remporter une entière intelligence. » Des admirateurs trop exclusifs de Corneille n'ont voulu voir dans cette multiplicité de ressorts qu'une preuve de plus d'une grande force de composition; il faut convenir qu'il y en a davantage encore à produire de grands effets avec des moyens très-simples, comme dans les trois premiers actes d'Horace1. Boileau a émis cette dernière opinion avec une absence de ménagements qui ne lui est que trop ordinaire quand il parle de Corneille. C'est à l'occasion d'Héraclius qu'il a dit:

Je me ris d'un acteur qui, lent à s'exprimer,

De ce qu'il veut d'abord ne sait pas m'informer,
Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue,
D'un divertissement me fait une fatigue 2.

Calderon composa également alors une pièce sur ce même sujet 3. On a plus d'une fois débattu la question de savoir lequel des deux auteurs avait produit l'original. Les emprunts que l'auteur français avait déjà faits aux Espagnols ont porté quelques écrivains à

1 Cours de littérature, par La Harpe, édit. de Verdière, t. V, p. 283. 2 Art poétique, ch. III. · Anecdotes dramatiques, t. I, p. 422.

3 En esta vida todo es verdad, y todo mentira.

croire qu'il avait encore été imitateur en cette circonstance'; mais d'autres critiques, dont nous croyons devoir adopter l'opinion, en ont soutenu une contraire. Le père Tournemine dit que Calderon vint à Paris à peu près à l'époque du succès d'Héraclius, et si ce n'est pas là une preuve irrécusable de la priorité du nôtre, c'est toutefois un indice, corroboré d'ailleurs par l'Examen de Corneille lui-même. « Cette tragédie, dit-il, a encore plus d'effort d'invention que celle de Rodogune, et je puis dire que c'est un heureux original dont il « s'est fait beaucoup de belles copies, sitôt qu'il a paru ». Le caractère de Corneille ne permet pas de douter, après cette déclaration, qu'il ne soit l'inventeur de ce sujet; et si, par une dissimulation dont il n'est pas possible de le soupçonner, il avait voulu s'attribuer injustement ce mérite, ses envieux et ses rivaux n'eussent pas laissé échapper l'occasion de diminuer sa gloire et sa réputation, en démontrant la fausseté de ce qu'il avançait.

Nous n'avons pas parlé, en 1646, de la publication de Théodore, dont la dédicace n'avait rien de remarquable. Rodogune fut livrée à l'impression au commencement de 1647, et dédiée par l'auteur au prince de Condé. Héraclius, publié quelques mois plus tard (44), est adressé au chancelier Séguier. Le nouveau membre de l'Académie exprime sa reconnaissance pour le protecteur de cette compagnie ; mais si

I Voir une lettre au Mercure de France, mai 1724, p. 846.

? Avertissement du Théâtre de P. Corneille, édit. de 1738, t. I, p. xxxix.

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