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la table de marbre du Palais de Rouen, fonctions honorables, peu exigeantes et assez lucratives (4).

On s'est généralement accordé à dire que l'amour l'avait enlevé aux travaux du barreau, et était venu lui révéler sa vocation pour la poésie; mais les historiens du théâtre et ses biographes ne sont pas tous d'accord sur l'occasion et l'époque de cette révélation.

Fontenelle, neveu du grand écrivain dont nous avons entrepris d'écrire la vie, et qui lui a consacré une notice non moins spirituelle que toutes les autres productions de cet esprit universel, Fontenelle a dit : << Un jeune homme mène un de ses amis chez une fille dont il était amoureux; le nouveau-venu s'établit chez la demoiselle sur les ruines de son introducteur; le plaisir que lui fait cette aventure le rend poëte, il en fait une comédie, et voilà le grand Corneille '. Mélite fut jouée en 1625... La demoiselle qui en avait fait naître le sujet porta pendant longtemps dans Rouen le nom de Mélite, nom glorieux pour elle, et qui l'associait à toutes les louanges que reçut son amant 2. » L'anecdote était assez piquante pour qu'elle fût accueillie avec empressement. Sous la plume d'un neveu elle acquérait de plus un caractère de vraisemblance, mérite surabondant pour les auteurs d'ana. Cependant l'autorité de Fontenelle était loin de devoir être regardée comme irrécusable, et l'erreur

Histoire du Théâtre français de Fontenelle, t. II, p. 331 de l'édition de ses OEuvres, Paris, Belin, 1818.

Vie de Corneille, par Fontenelle, p. 332.

qu'il commettait déjà en indiquant la date de 1625 comme celle de la représentation de cette première comédie aurait bien dû éveiller les soupçons des biographes qui venaient après lui, et les faire hésiter à ajouter quelque confiance à toute cette partie du récit. Né cinquante et un ans après son oncle (1657), Fontenelle n'avait recueilli dans sa famille que des traditions incertaines, que des souvenirs effacés, sur la jeunesse et les premiers essais de celui qui, d'avocat malgré lui, devint poëte immortel. Sa mère et Thomas Corneille, beaucoup plus jeunes que leur frère, n'avaient pu lui être que d'un bien faible secours pour des particularités qu'ils n'avaient pas connues par eux-mêmes (5); et si, par la suite, nous avons occasion de faire ressortir dans son récit des assertions parfois plus que hasardées, il nous paraît certain qu'en cette circonstance il méritait moins encore qu'en toute autre de voir adopter sa version.

Corneille a dit dans son Excuse à Ariste :

J'ai brûlé fort longtemps d'une amour assez grande,
Et que jusqu'au tombeau je dois bien estimer,
Puisque ce fut par là que j'appris à rimer...
J'adorai donc Philis, et la secrète estime

Que ce divin esprit faisait de notre rime,
Me fit devenir poëte aussitôt qu'amoureux ;

Elle eut mes premiers vers, elle eut mes premiers feux.

Or, un de ses éditeurs les plus soigneux, qui a fait connaître de lui plusieurs morceaux ignorés, ré

tabli le texte altéré dans plusieurs autres, et démontré l'inexactitude d'un grand nombre des récits de ceux qui avaient raconté sa vie, dit, à l'occasion de ces vers : « Il avait aimé très-passionnémeut une dame de Rouen, nommée madame Du Pont, femme d'un maître des comptes de la même ville, parfaitement belle. Il l'avait connue toute petite fille pendant qu'il étudiait à Rouen, au collège des Jésuites, et fit pour elle plusieurs petites pièces de galanterie qu'il n'a jamais voulu rendre publiques, quelques instances que lui aient faites ses amis; il les brûla lui- · même environ deux ans avant sa mort. Il lui communiquait la plupart de ses pièces avant de les mettre au jour, et, comme elle avait beaucoup d'esprit, elle les critiquait fort judicieusement, en sorte que M. Corneille a dit plusieurs fois qu'il lui était redevable de plusieurs endroits de ses premières pièces '.>> Ceci s'accorde parfaitement avec les vers de Corneille, qu'on expliquerait difficilement à l'aide du passage de Fontenelle. En vain objecterait-on, pour la défense de l'anecdote de ce dernier, qu'un cœur de poëte n'est pas moins changeant qu'un autre, et que Mélite aurait bien pu succéder à madame Du Pont. Corneille rejette lui-même cet accommodement, et établit l'unité de son amour, en ajoutant à ce que nous avons déjà cité : Après beaucoup de vœux et de soumissions,

Un malheur rompt le cours de nos affections;

' OEuvres diverses de P. Corneille (publiées par l'abbé Granet), Paris, 1738, p. 144, note.

Mais, toute mon amour en elle consommée,
Je ne vois rien d'aimable après l'avoir aimée :
Aussi n'aimai-je plus, et nul objet vainqueur
N'a possédé depuis ma veine ni mon cœur.

Comme il écrivait cette Excuse à Ariste vers 1637, après le succès du Cid, ses amours romanesques tombent d'eux-mêmes, et avec eux la révélation si soudaine de son génie poétique (6).

A la suite de Clitandre, imprimé en 1632, se trouvent seize pièces diverses que l'on peut regarder, à bien peu d'exceptions près, comme antérieures à sa première comédie, peut-être même à l'année 1625. Dans une courte préface, l'auteur dit au lecteur : « Quelquesunes de ces pièces te déplairont; sache aussi que je ne les justifie pas toutes, et que je ne les donne qu'à l'importunité du libraire, pour grossir son livre. » Cet avis n'était pas une précaution inutile, et l'on ne sait guère d'autre gré aux sollicitations du libraire que celui de nous avoir fait connaître le point de départ de Corneille.

Dans la première, qui est adressée à un ami pour l'engager à secouer le joug de l'amour, notre auteur, qui affecte une grande liberté de cœur, ce qui quelquefois ne prouve rien et plus souvent encore dément ce qu'on veut prouver, avoue qu'il a eu le même travers, et, d'accord avec ce qu'il a dit plus haut, ajoute :

Par là je m'appris à rimer,

Par là je fis, sans autre chose,

Préface des OEuvres diverses de P. Corneille, 1738.

Un sot en vers d'un sot en prose;
Et Dieu sait alors si les feux,

Les flammes, les soupirs, les vœux,
Et tout ce menu badinage,

Servaient de rime et de remplage.

Des quinze dernières, quelques-unes sont des traductions ou des bouquets à Phylis et Amynte (7), l'éternel amour des poëtes; d'autres font allusion à des amusements oubliés depuis longtemps. Enfin on y trouve un sonnet au cardinal de Richelieu, dans lequel l'auteur faisait des voeux pour qu'il devint pape; ce saint prélat, jugeant mieux sa vocation, prit le parti de se faire général d'armée.

Fontenelle, nous l'avons déjà dit, s'est trompé en assignant au premier essai de la muse dramatique de Corneille la date de 1625. Les historiens du Théâtre français, les frères Parfait, dont l'exactitude est presque toujours à citer, fixent la première représentation de Mélite à l'année 1629', et cette date se trouve confirmée par l'autorité de Corneille lui-même (8). Il remit son œuvre à une troupe de comédiens de passage à Rouen; mais le chef, qui était le célèbre Mondory (9), la jugeant digne d'un autre parterre, se rendit à Paris pour l'y faire jouer '.

A la première représentation de Mélite, le public,

'Histoire du Théâtre français (par les frères Parfait), t. IV, p. 461 et 462, note, et p. 430.

'Histoire de la poésie française (par l'abbé Mervesin), 1706, in-12, p. 216.

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