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tion qu'ils affectent que par la justesse et le bon goût de la critique. La condamnation du sujet comme n'étant pas bon n'est pas un des moins étranges dispositifs de l'arrêt; mais la condamnation du dénoùment, qui n'est motivée que par de fausses interprétations', prouve aussi clairement la confusion d'idées des juges. Au surplus, leurs éloges ne portent quelquefois pas moins à faux que leurs censures. Un des vers qu'ils défendent le plus chaleureusement contre les attaques de Scudéry, et qu'ils admirent le plus, est celui de Chimène :

Ma plus douce espérance est de perdre l'espoir 2.

«Mais, dit La Harpe, rien ne fait plus d'honneur à l'Académie et ne rachète mieux ses erreurs, alors très-pardonnables, que la manière dont elle s'exprime en finissant un travail dont elle ne s'était chargée qu'avec la plus grande répugnance. « La véhémence des « passions, la force et la délicatesse des pensées, et « cet agrément inexplicable qui se mêle dans tous « les défauts du Cid, lui ont acquis un rang considé«rable entre les poëmes français de ce genre. Si son << auteur ne doit pas toute sa réputation à son mérite, << il ne la doit pas toute à son bonheur; et la nature <«<lui a été assez libérale pour excuser la fortune, si << elle lui a été prodigue. »

Voir le Cours de littérature de La Harpe, édit. Verdière, t. V, p. 200. 2 Les Sentiments de l'Académie française sur la tragi-comédie du CID, 1638, p. 131.

« C'est beaucoup, ajoute La Harpe, qu'un pareil témoignage, si l'on songe au cardinal de Richelieu; c'est trop peu, si l'on considère la disproportion immense entre Corneille et tout ce qu'on lui opposait. Mais quel est l'artiste à qui l'on donne d'abord le rang qui lui est dû ?... Voltaire l'a dit : « L'or et la boue « sont confondus pendant la vie des artistes, et la « mort les sépare. »

La persécution dont le chef-d'oeuvre de Corneille avait été l'objet, et les critiques académiques qui y avaient mis fin, ne changèrent en rien les dispositions du parterre à son égard, si toutefois elles ne les lui rendirent pas plus favorables encore (18). Boileau a dit en effet

En vain contre le Cid un ministre se ligue,
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue.
L'Académie en corps a beau le censurer,

Le public révolté s'obstine à l'admirer1.

Éloge contre lequel les autres jugements portés par son auteur sur celui dont nous écrivons l'histoire ne doivent pas mettre en garde en le faisant soupçonner de flatterie.

Corneille, qui ne crut pas devoir suivre les avis de l'Académie, fut forcé d'en écouter d'autres. Aux premières représentations, le comte de Gormas répoĽdait, scène première de l'acte second, à don Arias,

1 Satire IX.

qui le sollicitait de la part du roi de faire satisfaction à don Diégue :

Ces satisfactions n'apaisent point une âme.
Qui les reçoit n'a rien, qui les fait se diffame;

Et de tous ces accords l'effet le plus commun

Est de perdre d'honneur deux hommes au lieu d'un.

Ces vers ne devaient être regardés que comme une maxime de situation, et l'on ne pouvait y voir une opinion personnelle de l'auteur, qui écrivait: Jene suis point homme d'éclaircissement. Ils lui furent toutefois bientôt signalés comme dangereux, et ne furent point imprimés avec la pièce, en 1637 2. Cette mesure de prudence ne pouvait qu'être bien incomplète : la pièce tout entière est la paraphrase de ces vers, et il est peu probable que l'intérêt qu'inspire Rodrigue, l'éclat qui l'environne, n'aient pas beaucoup contribué à dépouiller les édits contre les duels du reste d'empire qu'ils pouvaient encore exercer.

Ce n'est que dans le sang qu'on lave un tel outrage;
Meurs, ou tue.....

disait don Diègue, et plus d'un spectateur, en l'entendant, mettait la gloire à proposer un défi et à obtenir des applaudissements pareils. C'est, nous l'avons déjà dit, à l'influence de la littérature espagnole

I Voir précédemment, p. 67.

2 Le Théâtre de P. Corneille (édit. de Jolly), 1738, t. I, p. xx. Anecdotes dramatiques, t. I, p. 201.

qu'est dû le développement subit du génie de notre auteur; c'est à elle aussi qu'il faut attribuer ce dangereux héroïsme.

Nous devons revenir à Corneille et à Richelieu, non pas pour expliquer leurs rapports communs, car tout y est contradictoire, mais du moins pour faire connaître ces contradictions. Le Cid fut imprimé au commencement de 1637, avec une dédicace à Mme de Combalet, depuis duchesse d'Aiguillon. Cette dame était nièce du cardinal, dès lors antagoniste de l'ouvrage dont il devint peu après le persécuteur. Corneille la remercie de sa générosité, « qui ne s'arrête pas à des louanges pour les ouvrages qui lui agréent..., mais qui emploie son crédit en leur faveur. » Il dit qu'il en a ressenti les effets, et qu'il lui a de grandes obligations. Voltaire assure que, si la duchesse d'Aiguillon n'eût pas usé de son grand crédit sur le cardinal, Corneille aurait été entièrement disgracié; que c'est là ce qu'il fait entendre par ces paroles. « Ses ennemis acharnés, ajoute-t-il, l'avaient peint comme un esprit altier qui bravait le premier ministre, et qui confondait dans un mépris général leurs ouvrages et celui qui les protégeait. La duchesse d'Aiguillon rendit dans cette circonstance un aussi grand service à son oncle qu'à Corneille. » Voltaire nous semble ici dans l'erreur. Ces remercîments datent du commencement de 1637, et ce n'est que dans le courant de cette année, et postérieurement à l'impression du Cid et à la dédicace, que le cardinal laissa éclater

tout son acharnement en pressant l'Académie de le condamner. Du reste, il ne nous est pas permis de douter de l'empire qu'avait en général Mme de Combalet sur son oncle. « Le cardinal, deux ans avant que de mourir, dit Guy Patin dans une de ses lettres, avait encore trois maîtresses qu'il entretenait, dont la la première était sa nièce, Marie de Vignerot, autrement Mme de Combalet, et aujourd'hui Mme la duchesse d'Aiguillon. Son père était un des espions du marquis d'Ancre, à mille livres par an, et son grand-père était notaire à Bressuire, village de Poitou. La seconde était la Picarde, savoir la femme de M. le maréchal de Chaunes (frère du connétable de Luynes), lequel est mort ici depuis quatre jours, quelque temps après avoir été taillé d'une pierre en la vessie. La troisième était une certaine belle fille parisienne, nommée Marion de L'Orme, que M. de Cinq-Mars, qui fut exécuté à Lyon, l'an 1642, avec M. de Thou, avait entretenue, comme a fait aussi M. le maréchal de La Meilleraye et plusieurs autres..... Tant il y a que ces messieurs les bonnets rouges sont de bonnes bêtes : Verè cardinales isti sunt carnales1. »

On lit dans une lettre adressée par Corneille à Boisrobert, le 23 décembre 1637, que son projet avait d'abord été de répondre aux Sentiments de l'Acadé– mie française. Rien n'était plus naturel la sentence lui semblait injuste, il en devait appeler. On est tout

:

1 Lettres choisies de feu M. Guy-Patin; Roterdam, 1725, t. I, p. 85; lettre du 3 novembre 1649,

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