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joug, prescrit par Vauquelin de La Fresnaye dans son Art poétique:

Le théâtre jamais ne doit être rempli

D'un argument plus long que d'un jour accompli (11).

Mais, soit que le nouvel auteur ne sentît pas, ce qui s'explique aisément, l'avantage de borner la durée. d'une action à une journée plutôt que de lui consacrer un mois entier quand son développement l'exige, soit même qu'il y vit des inconvénients, cette troisième unité ne lui fut pas, comme les deux autres, révélée par son bon sens. Ce ne fut que dans un voyage qu'il fit à Paris pour voir le succès de Mélite qu'il apprit, selon son expression, qu'elle n'était pas dans les vingt-quatre heures'. Il semble du reste avoir éprouvé peu de regrets de la licence que son ignorance l'avait laissé prendre. Dans la préface de sa seconde pièce, imprimée en 1632, il dit : « Que si j'ai renfermé cette pièce dans la règle d'un jour, ce n'est pas que je me repente de n'y avoir point mis Mélite, ou que je me sois résolu à m'y attacher dorénavant. Aujourd'hui quelques-uns adorent cette règle, beaucoup la méprisent; pour moi, j'ai voulu seulement montrer que, si je m'en éloigne, ce n'est pas faute de la connaître 2. >>

« J'entendis, ajoute-t-il ailleurs, que ceux du métier blamaient Mélite de peu d'effet, de ce que le

1 Examen de Clitandre. 2 Préface de Clitandre.

soumis la scène aux lois, jusqu'à lui inconnues, de la plus sévère bienséance; mais même avant ces retranchements, aucune pièce du temps ne pouvait lui être comparée, même de bien loin, pour la retenue. « Le théâtre, dit Fontenelle, y est sans comparaison mieux entendu, le dialogue mieux tourné, les mouvements mieux conduits, les scènes plus agréables; surtout ( et c'est ce que Hardy n'avait jamais attrapé) il y règne un air assez noble, et la conversation des honnêtes gens n'y est pas mal représentée. Jusquelà on n'avait guère connu que le comique le plus bas, ou un tragique assez plat on fut étonné d'entendre une nouvelle langue '. » Ajoutons avec Gaillard que cette Mélite si imparfaite dont Corneille nous a depuis autorisés à rougir pour lui est aussi supérieure à la meilleure pièce de Hardy que Tartuffe ou le Misanthrope est supérieur à Mélite.

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Nous avons déjà appris de Corneille lui-même que le sens commun, qui était toute sa règle, lui avait fait trouver l'unité d'action et l'unité de lieu, fort ignorées alors, ou du moins complétement oubliées depuis l'école de Jodelle, bien que la première soit seule indispensable, et que la seconde soit moins utile encore que l'unité de temps. Quant à celle-ci, quelques-uns, comme Hardy, la méprisaient; un plus grand nombre se soumettait rigoureusement à son

Vie de Corneille, par Fontenelle, p. 333.

Eloge de Corneille.

joug, prescrit par Vauquelin de La Fresnaye dans son

Art poétique:

Le théâtre jamais ne doit être rempli

D'un argument plus long que d'un jour accompli (11).

Mais, soit que le nouvel auteur ne sentît pas, ce qui s'explique aisément, l'avantage de borner la durée d'une action à une journée plutôt que de lui consacrer un mois entier quand son développement l'exige, soit même qu'il y vit des inconvénients, cette troisième unité ne lui fut pas, comme les deux autres, révélée par son bon sens. Ce ne fut que dans un voyage qu'il fit à Paris pour voir le succès de Mélite qu'il apprit, selon son expression, qu'elle n'était pas dans les vingt-quatre heures'. Il semble du reste avoir éprouvé peu de regrets de la licence que son ignorance l'avait laissé prendre. Dans la préface de sa seconde pièce, imprimée en 1632, il dit : « Que si j'ai renfermé cette pièce dans la règle d'un jour, ce n'est pas que je me repente de n'y avoir point mis Mélite, ou que je me sois résolu à m'y attacher dorénavant. Aujourd'hui quelques-uns adorent cette règle, beaucoup la méprisent; pour moi, j'ai voulu seulement montrer que, si je m'en éloigne, ce n'est pas faute de la connaître 2. >>

« J'entendis, ajoute-t-il ailleurs, que ceux du métier blamaient Mélite de peu d'effet, de ce que le

Examen de Clitandre.

2 Préface de Clitandre.

style en était trop familier. Pour la justifier contre cette censure par une espèce de bravade, et montrer que ce genre de pièces avait les vraies beautés du théâtre, j'entrepris d'en faire une régulière, c'est-àdire dans ces vingt-quatre heures, pleine d'incidents, et d'un style plus élevé, mais qui ne vaudrait rien du tout; en quoi je réussis parfaitement1. »

La tragi-comédie de Clitandre, ou l'Innocence délivrée, représentée en 1632, fut le résultat de cette prétendue préméditation. L'auteur ne nous trompe pas en disant qu'elle obtint un grand succès; mais est-il également digne de confiance lorsqu'il prétend qu'il ne fit un mauvais ouvrage qu'à bon escient? Nous avons quelque peine à le croire. Qu'eût signifié cette leçon? Par qui aurait-elle été comprise? Quand Molière voulut se moquer du mauvais goût du public, et chercha à l'en corriger, il fit débiter à Oronte un sonnet plein des traits brillantés de la poésie d'alors, et après que Philinte et le parterre y eurent applaudi avec enthousiasme, Alceste, sans plus de ménagement pour l'un que pour l'autre, fit ressortir le ridicule d'un semblable arrêt, et s'écria:

Ce n'est que jeu de mots, qu'affectation pure,
Et ce n'est pas ainsi que parle la nature.

Chacun là put s'apercevoir du piége où il avait été pris, et reconnaître son erreur. Mais à qui aurait pu

1 Examen de Clitandre.

profiter la leçon de Corneille? Il eût été lui-même assez embarrassé pour le dire, car chacun dut alors prendre son ouvrage au sérieux. Tranchons le mot, il l'y prit lui-même, quoi qu'il en dise dans son Examen. Sans doute, lorsqu'il écrivit ce morceau, trente ans environ après la représentation de Clitandre, Corneille ne put se dissimuler la bizarrerie monstrueuse de cette tragi-comédie; mais alors il était l'auteur du Cid, de Cinna et d'Horace, alors il savait du faux avec le vrai faire la différence, et, par une illusion qu'il ne cherchait pas à dissiper, parce qu'elle flattait son amour-propre, il se persuadait que ces défauts ne lui avaient jamais échappé.

Le peu de fondement de l'assertion de Corneille résulte encore de la préface dont il fit précéder Clitandre. Le silence qu'il y garde sur les défauts les plus choquants de cet ouvrage, tandis qu'il en avoue quelques autres, prouve bien qu'il ne les apercevait pas. Cela semble démontré d'ailleurs par l'empressement qu'il mit à faire imprimer ce second ouvrage immédiatement après sa représentation (1632), tandis que Mélite, jouée dès 1629, ne fut livrée aux lecteurs qu'en 1633. Enfin, dans un petit avis qui précédait les Mélanges poétiques, dont nous avons déjà parlé, imprimés à la suite de la première édition de Clitandre, Corneille disait au lecteur: « Je ne crois pas cette tragi-comédie si mauvaise que je me tienne obligé de te récompenser par trois ou quatre bons sonnets. » Rien dans ce ton, rien dans ces démarches,

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