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ne laisse croire qu'il eût la conscience de la faiblesse de sa tragi-comédie.

C'est le titre qu'il donna d'abord à Clitandre, titre alors fort à la mode. « C'était un genre mêlé, a dit Fontenelle, où l'on mettait un assez mauvais tragique avec du comique qui ne valait guère mieux. Souvent cependant on donnait ce nom à de certaines pièces toutes sérieuses, à cause que le dénoùment en était heureux. La plupart des sujets étaient d'invention et avaient un air fort romanesque; aussi la coutume était de mettre au-devant de ces pièces de longs arguments qui les expliquaient'. » Certes, ce soin n'était pas superflu pour Clitandre, qui ne devint pas plus clair alors même qu'il prit le titre de tragédie dans l'édition de 1660.

Nous n'entrerons point ici dans le détail des bizarreries sans nombre qui en forment le monstrueux ensemble; nous nous bornerons seulement à rappeler, non comme une des plus folles alors, mais comme une des plus étonnantes aujourd'hui, la scène où Pymante veut faire violence à Dorise (acte IV, scène I"). Celle-ci, qui peut-être ne juge pas le lieu très-convenable, ne trouve pas d'autre moyen de se défaire de lui qu'en lui crevant un œil avec une des aiguilles qui tiennent ses cheveux, et là-dessus notre amoureux, devenu borgne, se met à faire la leçon à l'aiguille :

O toi qui, secondant son courage inhumain,
Loin d'orner ses cheveux déshonores sa main,

Vie de Corneille, par Fontenelle, p. 335.

Exécrable instrument de sa brutale rage,

Tu devais pour le moins respecter son image:

Ce portrait accompli d'un chef-d'œuvre des cieux,
Imprimé dans mon cœur, exprimé dans mes yeux,
Quoi que te commandât une âme si cruelle,
Devait être adoré de ta pointe rebelle.

Un des éditeurs de Corneille (Jolly) a pensé que cette longue apostrophe avait bien pu donner naissance au proverbe : Discourir sur la pointe d'une aiguille'. Nous sommes porté à croire qu'elle n'a pas même ce singulier avantage (12).

La situation plus que hardie de Pymante et de Dorise nous amène naturellement à parler de la licence du théâtre du temps, dont les deux premiers ouvrages de Corneille n'avaient pu se préserver entièrement. Les pensées libres et les baisers étaient deux moyens de comique auxquels on avait souvent recours. Les législateurs de la scène d'alors n'étaient pas très-rigoureux sur ce point. Vauquelin de La Fresnaye se bornait à recommander aux poëtes dramatiques de ne point exposer aux yeux des jouissances amoureuses; de les mettre seulement en récit; de donner à l'amant un confident auquel il raconte

Qu'ayant la vesture

Et d'un eunuque pris la grâce et la posture,

Il a d'une pucelle, au naturel déduit,

Cueilli la belle fleur 2.

'Le Théâtre de P. Corneille, édit. de 1747, t. I, p. vij.

2 Annales poétiques, t. IX. — L'Esprit du grand Corneille, p. 99.

En vérité ce n'est pas trop demander. On verra cependant tout à l'heure que les auteurs comiques semblaient y trouver encore de l'exigence.

Mélite offrait quelques traits empreints de la li– berté alors régnante. Tircis y soutenait par exemple que

La beauté, les attraits, le port, la bonne mine,
Échauffent bien les draps, mais non pas la cuisine,

et plusieurs autres vérités aujourd'hui assez malsonnantes; Corneille les retrancha depuis. Clilandre renfermait également un bon nombre d'inconvenances, qu'il ne put faire disparaître entièrement, parce que plusieurs tenaient au fond même de la pièce.

« Le théâtre, a dit Fontenelle, était encore assez licencieux. Grande familiarité entre les personnes qui s'aimaient. Dans le Clitandre de Corneille, Caliste vient trouver Rosidor au lit : il est vrai qu'ils doivent être bientôt mariés; mais un honnête spectateur n'a que faire des préludes de leur mariage; aussi cette scène ne se trouve que dans les premières éditions de la pièce. Rotrou, en dédiant au roi la Bague de l'Oubli, sa seconde pièce, se vante d'avoir rendu sa muse si modeste, que, si elle n'est belle, au moins elle est sage, et que d'une profane il en a fait une religieuse; et dans sa Céliane, postérieure de deux ans, on voit une Nise dans le lit, dont l'amant la vient trouver, et n'est embarrassé que dans le choix des faveurs qui lui sont

permises; car il y en a quelques-unes réservées pour le temps du mariage :

Que dois-je donc choisir, puissant maître des dieux,

De la bouche, du sein, de la joue ou des yeux ?

A la fin l'amant se détermine (et ce n'est ni pour les yeux, ni pour la joue, ni pour la bouche); et comme il a délibéré longtemps, il jouit longtemps aussi de ce qu'il a préféré. Nise a le loisir de dire vingt vers, au bout desquels seulement (car cela est indiqué en marge par un jeu de scène) Pamphile tourne le visage du côté des spectateurs. Il semble que cette muse, qui s'était faite religieuse, se dispensait un peu de ses vœux, ou, pour mieux dire, on ne trouvait pas que cela y fût contraire. Peut-être Rotrou croyait-il avoir tout raccommodé par la sagesse des vingt vers que dit Nise dans le temps qu'elle n'est pas trop sage. Elle débite une très-sublime morale au mépris de la matière et à la louange de l'esprit.....; et Pamphile, qui n'a pas trop paru profiter d'un si beau discours, dit pourtant à la fin que sans ce louable entretien il serait mort de plaisir : tant la morale bien placée a de pouvoir! Dans une autre pièce, les Galanteries du duc d'Ossone, de Mairet, on voyait une femme recevoir son amant dans son lit, en lui recommandant toutefois d'être sage; et la toile, se baissant après cette condition, empêchait le spectateur de savoir si elle était tenue. Il n'en faut pas douter, car, dans l'épître dédicatoire de cette comédie, l'auteur faisait ressor

tir la décence du théâtre, « si bien épuré, disait-il, de << son ancienne grossièreté, que les honnêtes femmes « fréquentaient l'hôtel de Bourgogne avec aussi peu de « scrupule et de scandale qu'elles feraient celui de « Luxembourg. »

«Rien n'est plus ordinaire dans les pièces de ce temps-là, ajoute Fontenelle, que de pareilles libertés. Les sujets les plus sérieux ne s'en sauvent pas. Dans la célèbre Sophonisbe de Mairet, lorsque Massinisse et Sophonisbe arrêtent leur mariage, ils ne manquent pas de se donner des arrhes. Syphax avait au paravant reproché à Sophonisbe l'adultère et l'impudicité, grosses paroles qui aujourd'hui feraient fuir tout le monde.

<< Pendant que le théâtre était sur ce pied-là, Lucrèce n'était pas un sujet à rebuter; aussi Du Ryer l'a-t-il traité sans scrupule. Rotrou a fait une Chrysante, qui est une autre héroïne violée par un capitaine romain dont elle est prisonnière. Aujourd'hui ces sujets-là ne seraient pas soufferts. Est-ce que nos mœurs sont plus pures? Il est bien sûr que non. C'est seulement que nous avons l'esprit plus raffiné. L'esprit seul suffit pour nous donner le goût des bienséances; mais le goût de la vertu, c'est autre chose. Une des plus grandes obligations que l'on ait à Corneille est d'avoir purifié le théâtre. Il fut d'abord entraîné par l'usage établi; mais il y résista bientôt après; et depuis Clitandre, sa seconde pièce, on ne trouve plus rien de licencieux dans ses ouvrages. Tout ce qui y reste de

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