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« L'abbé Brigalier avait donné jour à plusieurs dames et autres personnes de Lyon pour leur faire voir le diable. Le jour venu, il était fort embarrassé de quelle manière il s'acquitterait de sa promesse ; et l'heure du rendez-vous s'approchait, lorsqu'il rencontra dans les rues un petit gueux presque tout noir de l'ardeur du soleil. Il en eut de la joie, disant qu'il pourrait lui fournir le moyen de sortir de l'embarras où il était. Il lui demanda s'il voulait gagner un écu. Le petit gueux répondit qu'il ne demandait pas mieux, et ce qu'il fallait faire pour cela. L'abbé l'emmena chez lui, et le rendit encore plus noir en le faisant barbouiller de noir à noircir. Il y avait en sa chambre un tableau qui représentait le diable, lequel n'était pas trop élevé; il fit faire une niche derrière, qui fut achevée en deux heures de temps, presqu'à l'heure qu'il avait donnée; il y fit monter le petit gueux dans l'état qu'il l'avait fait ajuster, et lui dit d'y demeurer jusqu'à ce qu'il fît un certain signal. Ceux qui devaient être du spectacle vinrent, et lorsqu'ils furent tous arrivés, l'abbé Brigalier se mit à faire quelques cérémonies et donna le signal. En même temps, le petit gueux poussa le cadre du tableau, se jeta en bas, courut au travers de la compagnie, et disparut à la faveur d'une tapisserie, en se jetant dans une porte qu'elle cachait. Ce fut alors qu'il y eut des bras et des jambes cassés, car, tous les spectateurs étant épouvantés, comme on peut se l'imaginer, il y en eut qui se jetèrent par les fenêtres. Mais je ne finirais pas si je racontais une infinité d'autres tours de l'abbé Brigalier. Il est mort peu de temps après feu Mademoiselle. »

(22) Le libraire Lefèvre, dans la dernière édition de Corneille qu'il ait éditée, a donné place à des notes de M. Aimé Martin qui sont le nec plus ultra de l'affirmation sans commencement de preuve. Comme dans ses travaux sur le théâ tre de Molière et sur celui de Racine, M. Aimé Martin vous

dit sans hésitation, comme aussi, bien entendu, sans indication de sources, quels sont les acteurs qui ont joué d'original les rôles des pièces de Corneille. Il était ici plus à son aise pour inventer impunément, car s'il s'est retrouvé des registres du théâtre du Palais-Royal établissant qu'il n'a, pour les distributions des rôles dans les pièces de Molière, rien recherché, mais tout imaginé, les archives de l'hôtel de Bourgogne et du Marais paraissent plus sûrement détruites. Mais il avait compté sans les contemporains; et, par exemple, dans ses notes sur l'Illusion comique, à la suite d'un roman hypothétique sur Mondory et sur Corneille lui-même, le voilà qui, pour le besoin de sa fable, donne à Bellerose le rôle du capitan Matamore. Les frères Parfait nous avaient cependant appris déjà que «< ce rôle avait été joué par un acteur qui en prit le nom; » mais M. Aimé Martin n'en avait tenu compte, quand arrive Tallemant qui nous dit : « Ce fut lui (Mondory) qui fit venir Bellemore, dit le capitan Matamore, bon acteur. Il quitta le théâtre parce que Desmarets lui donna, à la chaude, un coup de canne derrière le théâtre de l'hôtel Richelieu. Il se fit ensuite commissaire de l'artillerie, et y fut tué. Il n'osa se venger de Desmarets, à cause du cardinal, qui ne lui eût pas pardonné.» (Historiettes, 2e édition, X, 46 et 47. Histoire du Théâtre français, V, 350 et suiv.) Bellerose, qui ne cessa jamais de s'appeler Bellerose, eut une tout autre carrière et une tout autre fin; mais, malgré la générosité de M. Aimé Martin, il n'eut donc pas plus ce rôle que la plupart des acteurs et des actrices mis en avant par le même annotateur ne créèrent également les rôles qu'il leur a distribués par une inconcevable manie.

NOTES

DU LIVRE DEUXIÈME.

(1) Voici la teneur des lettres de noblesse accordées au père de Corneille, et que celui-ci n'hésita pas plus tard1 à considérer comme obtenues par le succès du Cid :

Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut :

« La noblesse, fille de la vertu, prend sa naissance, en tous États bien policés, des actes généreux de ceux qui témoignent, au péril et pertes de leurs biens et incommodités de leurs personnes, être utiles au service de leur prince et de la chose publique, ce qui a donné sujet aux rois nos prédécesseurs et à nous de faire choix de ceux qui, par leurs bons et louables effets, ont rendu preuve entière de leur fidélité, pour les élever et mettre au rang des nobles, et, par cette prérogative, rendre leur vie et actions remarquables à la postérité; ce qui doit servir d'émulation aux autres, à cet exemple, de s'acquérir de l'honneur et réputation en espérance de pareille récompense;

« Et d'autant que, par le témoignage de nos plus spéciaux serviteurs, nous sommes dûment informé que notre amé et féal Pierre Corneille, issu de bonne et honorable race et famille, a toujours eu en bonne et singulière recommandation le bien de cet État et le nôtre en divers emplois qu'il a eus par notre commandement et pour le bien de notre service et

1 Voir ci-après, t. II, livre m, à la date de 1665, le sonnet de Corneille à Louis XIV.

du public, et particulièrement en l'exercice de l'office de maître de nos eaux et forêts en la vicomté de Rouen, durant plus de vingt ans, dont il s'est acquitté avec un extrême soin et fidélité pour la conservation de nos dites forêts, et en plusieurs autres occasions où il s'est porté avec tel zèle et affection, que ses services rendus et ceux que nous espérons de lui à l'avenir nous donnent sujet de reconnaître sa vertu et mérites, et les décorer de ce degré d'honneur pour marque et mémoire à sa postérité ;

« Savoir faisons que nous, pour ces causes et autres bonnes et justes considérations à ce nous mouvant, voulant le gratifier et favorablement traiter, avons ledit Corneille, de nos grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, ses enfants et postérité, mâles et femelles, nés et à naître en loyal mariage, anoblis et anoblissons, et du titre et qualité de noblesse décorés et décorons par les présentes signées de notre main; voulons et nous plaît qu'en tous actes et endroits, tant en jugement que dehors, ils soient tenus et réputés pour nobles et puissent porter le titre d'écuyer, jouir et user de tous honneurs, priviléges et exemptions, franchises, prérogatives, prééminences, dont jouissent et ont accoutumé jouir les autres nobles de notre royaume extraits de noble et ancienne race, et, comme tels, ils puissent acquérir tous fiefs possessions nobles de quelque nature et qualité qu'ils soient, et d'iceux, ensemble de ceux qu'ils ont acquis et leur pourraient échoir à l'avenir, jouir et user tout ainsi que s'ils étaient nés et issus de noble et ancienne race, sans qu'ils soient ou puissent être contraints en vider leurs mains, ayant d'abondant audit Corneille et à sa postérité, de notre plus ample grâce, permis et octroyé, permettons et octroyons, qu'ils puissent dorénavant porter partout et en tous lieux que bon leur semblera, même faire élever par toutes et chacune leurs terres et seigneuries, leurs armoiries timbrées telles que nous leur don

nons et sont ci-empreintes, tout ainsi et en la même forme et manière que font et ont accoutumé faire les autres nobles de notre dit royaume.

<< Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers les gens tenant notre cour des aides à Rouen et autres, nos justiciers et officiers qu'il appartiendra, chacun en droit soi, que de nos présente grâce, don d'armes et de tout le contenu ci-dessus, ils fassent, souffrent et laissent jouir et user pleinement, paisiblement et perpétuellement, ledit Corneille, sesdits enfants et postérité, mâles et femelles, nés et à naftre en loyal mariage, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchements au contraire; car tel est notre plaisir, nonobstant quelconques édits, ordonnances, révocations et règlements à ce contraires, auxquels et à la dérogatoire des dérogatoires y contenue, nous avons dérogé et dérogeons par lesdites présentes. Et, afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel auxdites présentes, sauf, en autres choses, notre droit et l'autrui en toutes. Donné à Paris, au mois de janvier, l'an de grâce mil six cent trente-sept, et de notre règne le vingt-septième. Signé LOUIS. Et sur le repli: Par le roi, DE LOMÉNIE, un paraphe. Et à côté visa, et scellé et lacé de soie rouge et verte du grand sceau de cire verte.

« Et sur le dit repli est écrit: Registrées au registre de la cour des aides en Normandie, suivant l'arrêt d'icelle du vingt-quatrième jour de mars mil six cent trente-sept. Signé de Lestoille, un paraphe.

>>

Ces lettres de noblesse furent enregistrées le 27 mars 1637 dans la chambre des comptes de Normandie, et renouvelées

1 Nota. D'azur, à la fasce d'or, chargées de trois têtes de lion de gueules et accompagnées de trois étoiles d'argent posées deux en chef et une en pointe. (Armorial général de France. Ville de Paris, folio 1066, Bibliothèque impériale, département des manuscrits.)

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