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Quand on lit les misérables rapsodies dont les cinq auteurs se rendirent coupables, quand on songe que Corneille était déjà l'auteur du Cid lorsque parurent les deux dernières, peut-être plus détestables encore que leur aînée, on est tenté de croire que Fontenelle a voulu se railler lorsqu'il a dit dans sa Vie de Corneille: « Nous voici dans le temps où le théâtre devint florissant par la faveur du grand cardinal de Richelieu. Les princes et les ministres n'ont qu'à commander qu'il se forme des poëtes, des peintres, tout ce qu'ils voudront, et il s'en forme. Il y a une infinité de génies de différentes espèces qui n'attendent, pour se déclarer, que leurs ordres, ou plutôt leurs grâces; la nature est toujours prête à servir leurs goûts. » Quand il exprimait cette assertion si étrange, Fontenelle était sans doute dans un de ces moments où il craignait d'ouvrir la main aux vérités. Pour nous, nous craindrions d'en soutenir une devenue triviale à force d'être éprouvée et reconnue, en démontrant que la protection des grands est toujours plus funeste aux lettres et aux arts qu'elle ne saurait leur être utile. Quel homme de génie les encouragements du pouvoir ont-ils fait éclore? Que le pouvoir s'en tienne à des récompenses. On naît poëte, on naît artiste, c'est l'ouvrage de la nature, et non le fait d'une ordonnance. On naît avec le talent, avec le besoin de créer, et une gratification ne peut suppléer à ces dons naturels. En vain on nous objectera l'argument de la pauvreté, qui a toujours servi à soutenir ce préjugé

déjà bien vieux. La pauvreté n'étouffe pas plus le génie que la fortune ne le développe; elle n'arrête que la médiocrité. « Notre meilleur peintre, a dit Voltaire, Le Poussin, fut persécuté.... Rameau avait fait tous ses bons ouvrages de musique au milieu des plus grandes traverses; et Corneille lui-même fut trèspeu encouragé. Homère vécut errant et pauvre; Le Tasse fut le plus malheureux des hommes de son temps; Camoëns et Milton furent plus malheureux encore'.» Il est vrai de dire que Chapelain fut récompensé !!!

Dans cette même année qui avait vu les Thuileries livrées au jugement du parterre, parut une brochure assez curieuse, de La Pinelière, intitulée le Parnasse, ou le Critique des Poëtes2. Comme elle donne quelques détails sur les travaux de Corneille et peint fidèlement l'état du théâtre et les ridicules des auteurs de ce temps, assez semblables à certains ridicules plus modernes, nous en transcrirons un passage.

« Je reconnus parmi la foule, dit La Pinelière, quelques-uns des auteurs que j'avais vus il n'y avait guère chez Bellerose: ces petits messieurs importunent extrêmement les comédiens de l'hôtel de Bourgogne et ceux du Marais; ils les vont aborder lorsqu'ils descendent du théâtre, et, les ayant obligés à leur donner jour, ils ne manquent pas d'apporter quelques sujets

Notes sur la Vie de Corneille de Fontenelle.

2 Paris, Toussaint Quinet, 1635, in-8°. La Pinelière a déjà été cité

p. 30.

de l'Astrée qu'ils ont traité, et qu'ils ont mis, disentils, dans toutes les règles; mais quand les comédiens sont ennuyés de leur galimatias, et qu'ils ont trouvé quelque beau prétexte pour se défaire d'eux, ces nouveaux poëtes, qui ont une violente passion d'être auteurs, et qui mettent leur souverain bien à voir leurs ouvrages dans la Bibliothèque du Roi, et leur nom affiché au coin des rues, s'en vont faire des compliments aux libraires de la Samaritaine, et leur présenter leurs pièces, qu'ils impriment quelquefois quand la besogne leur manque, et dont ils trompent après les idiots ou des gens nouvellement venus de la campagne.

«<....

Ils tâchent, par toutes sortes de moyens, de voir tous ceux qui écrivent. Ils auront la tête levée une heure entière à l'hôtel de Bourgogne, pour attendre que quelque poëte de réputation, qu'ils voient dans une loge, regarde de leur côté, afin d'avoir l'occasion de lui faire la révérence. Ils le montrent à ceux de leur compagnie, et leur disent : « Voilà M. de «Rotrou, ou M. Du Ryer; il a bien parlé de ma pièce, « qu'un de mes amis lui a depuis peu montrée. » Tantôt ils s'éloigneront un peu d'eux, et reviendront incontinent leur dire : « Messieurs, je vous << demande pardon de mon incivilité; je viens de sa«<luer M. Corneille, qui n'arriva qu'hier de Rouen; il « m'a promis que demain nous irons voir ensemble « M. Mairet, et qu'il me fera voir des vers d'une ex«cellente pièce de théâtre qu'il a commencée. » Enfin, se jetant peu après sur le discours des auteurs du

temps et de leurs ouvrages, ils révéleront tous les desseins des poëtes pour montrer qu'ils ont de grandes intrigues avec eux; ils parleront du plan de Cléopâtre et de cinq ou six autres sujets que son auteur1 a tirés de l'histoire romaine, dont il veut faire des sœurs à son incomparable Sophonisbe. Ils diront qu'ils ont vu des vers de l'Ulysse dupé2; que Scudéry est au troisième acte de la Mort de César; que la Médée3 est presque achevée; que l'Innocente Infidélité est la plus belle pièce de Rotrou, quoiqu'on ne s'imaginât pas qu'il pût s'élever au-dessus de celles qu'il avait déjà faites; que l'auteur d'Iphis et Iante fait une autre Cléopâtre pour la troupe royale, et que Chapelain n'a guère encore travaillé à son poëme de la Pucelle d'Orléans, ni Corneille à celui qu'il compose sur un ancien duc de son pays 5. »

Il paraît que ce dernier projet fut abandonné par lui aussitôt que conçu; mais il n'en fut pas de même de Médée. Jusque-là, à l'exception de la tragi-comédie de Clitandre, dans laquelle le ridicule l'emporte sur tous les autres genres, Corneille n'avait recherché que le titre de poëte comique. C'était au poëte comique que Mairet avait adressé les vers que nous avons rapportés ; c'était le poëte comique qu'avait plus d'une fois accueilli la faveur encore peu éclairée du parterre. Médée

1 Mairet.

2 Pièce restée inconnue, ou plutôt, sans doute, inachevée.

3 De Corneille.

• Benserade.

Pages 56 à 62.

révéla à Corneille un genre plus noble, au public un

talent plus élevé.

Souverains protecteurs des lois de l'hyménée,
Dieux garants de la foi que Jason m'a donnée!
Vous qu'il prit à témoin d'une immortelle ardeur,
Quand par un faux serment il vainquit ma pudeur.

Me peut-il bien quitter après tant de bienfaits!
M'ose-t-il bien quitter après tant de forfaits!

Voltaire a dit que ces vers annonçaient Corneille ; M. Guizot a ajouté avec raison qu'ils annonçaient aussi la tragédie.

Il ne faut pas compter les expressions bizarres et triviales que cette pièce renferme, on les trouverait nobles encore en les rapprochant des expressions qui égaient les tragédies d'alors. Il ne faut pas attribuer ce pas immense que fit Corneille au secours seul dont lui furent les anciens; comme lui ses prédécesseurs et ses contemporains avaient voulu transporter ces mêmes beautés sur notre théâtre, et leurs imitations n'étaient que d'amusantes et involontaires parodies. Médée est loin d'être un chef-d'œuvre, et l'auteur tout le premier le reconnaît'; mais ses défauts appartiennent au temps, et ses beautés à Corneille.

Elle obtint cependant assez peu de succès aux représentations 2. On doit expliquer ce froid accueil par

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2 Œuvres de Voltaire, édition Beuchot, t. XXXV, p. 8.

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