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les longues déclamations qui s'y trouvent, comme dans la Médée de Sénèque, défaut peu propre à animer la scène, mais que le sujet rendait inévitable. La Médée de Longepierre, qui en est encore moins exempte, n'est restée au théâtre que parce que le rôle principal fournit du moins l'occasion de briller à une actrice énergique.

On a également pensé que la magie déployée dans cette pièce avait pu lui enlever son intérêt aux yeux des spectateurs, en lui enlevant sa vraisemblance. Il ne faut pas juger le public d'autrefois avec les lumières d'aujourd'hui quand Médée parut, le temps n'était pas loin où l'on avait supplicié le curé de Loudun, dont la mort pourrait être le sujet d'une tragédie non moins horrible. Des enchantements devaient être bien reçus dans un siècle où l'on croyait aux sorciers, car on les brûlait; aux astrologues, car on leur servait des pensions.

Louis XIII s'échappait défait et tremblant du château d'Écouen, parce que l'ombre de l'infortuné Montmorency s'y était offerte à ses yeux; et Brienne, rapportant ce fait, disait : « Que ce fút une apparition véritable, ou l'imagination d'une conscience agitée, il est certain que ce pieux monarque ne put cacher sa terreur à ceux qui l'entouraient1. » Un grand seigneur de sa cour, d'autres disent Gaston son frère, tirait l'épée, de trouble et d'effroi, contre un poulet

1 Mémoires de Brienne, 1828, t. 1, p. 261.

que lui faisait apparaître un abbé Brigalier. Celui-ci laissait tomber l'animal de dessous sa soutane, et faisait aussitôt rengaîner le prince en lui disant d'un ton imposant : « Savez-vous, Monseigneur, que ceci n'est pas un jeu (21) ?» Richelieu lui-même croyait fort aux pronostics 2, et l'abbé Arnauld, un des hommes les plus éclairés de son temps, parle dans ses Mémoires d'un M. Arnauld, son parent, habile à faire des prédictions à l'aide d'une certaine pirouette où étaient marquées les constellations célestes. Il raconte avec le même sang-froid quelque chose de plus étonnant encore. Militaire avant d'entrer dans les ordres, il se trouvait, en 1638, en garnison à Verdun. « Il y avait alors, dit-il, un célèbre Cravate de bois (c'est ainsi qu'on appelait certains petits partisans avoués de quelques garnisons du Luxembourg) qui nous incommodait assez. Le bruit était qu'il était charmé, et nous nous en moquions. Cependant, ayant été un jour' arrêté par un de nos partis, il vérifia bien ce qu'on en disait : car, comme on ne faisait point de quartier à ces sortes de gens, que l'on considérait plutôt comme voleurs que comme soldats, on lui donna plusieurs coups d'épée, on lui tira des coups de mousquet à bout portant, sans pouvoir jamais le blesser; et nos soldats furent contraints, pour s'en défaire, de

'OEuvres diverses de M. de Segrais, 1723, p. 42. duction à la Vie des Poëtes français, p. 90.

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M. Guizot, Intro

2 Voir Mémoires du cardinal de Richelieu, A. Goude, 1650, Ire partie, p. 58, ce qu'il dit des pronostics qui avaient annoncé la mort de Henri IV.

l'assommer à coups de mousquet '. » L'imprudent! lui en eût-il plus coûté de se charmer contre les coups de crosse! Sorciers, enchanteurs, tous sont aujourd'hui relégués à l'Opéra.

Si Médée, qui fait honneur au jeune talent de Corneille, fut froidement accueillie, une composition extravagante que les admirateurs de son génie voudraient pouvoir rayer du catalogue de ses pièces fut peu après reçue avec enthousiasme : nous voulons parler de l'Illusion, représentée en 1636. ll la déclare lui-même un étrange monstre2, et ce jugement n'est que juste. Toutefois on peut s'expliquer par le mouvement qu'elle présente, par une grande supériorité de style sur tous les précédents ouvrages du même auteur, et par la nouveauté du personnage de Matamore (22), imité du miles gloriosus de Plaute et du capitan du théâtre espagnol, l'avantage qu'elle eut de se maintenir pendant plus de trente ans à la scène 3, où l'on vient de tenter vainement de la remettre.

L'introduction dans les comédies en vers de ces rôles de capitan, jusque-là confinés dans les farces, bonne fortune incontestable pour le parterre d'alors, qui y prit goût, est une idée que le parterre d'aujourd'hui regarderait sans doute comme peu heureuse, mais dont la primauté fut revendiquée avec chaleur 4. Le mata

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Voir la préface du Railleur ou la Satire du Temps, comédie, par le sieur Maréchal, citée t. v, p. 177, de l'Histoire du Théâtre français.

more de Corneille n'est point un héros ordinaire ; il abat d'un souffle le grand Sophi de Perse et le grand Mogol; et un beau matin le lever du jour a été retardé parce que l'Aurore s'était oubliée avec notre amoureux vainqueur. Scarron nous en a ensuite fait connaître un qui, dans un mouvement de colère, avait

roué la Fortune,

Écorché le Hasard et brûlé le Malheur'.

De semblables moments d'humeur sont fort à craindre; mais les preuves assez fréquentes de poltronnerie de ces messieurs diminuaient un peu l'effroi qu'on aurait pu en concevoir.

« Ces caractères outrés ont été autrefois fort à la mode, dit Fontenelle; mais qui représentaient-ils? et à qui en voulait-on? Est-ce qu'il faut outrer nos folies jusqu'à ce point-là pour les rendre plaisantes? En vérité, ce serait nous faire trop d'honneur. Desmarets, qui a fait une comédie toute de ce genre', et pleine de fous qu'on n'a jamais vus, dit pourtant dans sa préface qu'il n'y a rien de si ordinaire que de voir des idiots s'imaginer qu'ils sont amoureux, sans savoir bien souvent de qui; et sur le récit qu'on leur fait de quelque beauté, courir les rues, et se persuader qu'ils sont extrêmement passionnés, sans avoir vu ce qu'ils aiment. Il fallait que la nature fùt encore bien inconnue lorsque ces caractères-là plaisaient sur le théâtre. »

1 Boutades du capitan Matamore.

2 Les Visionnaires.

Et ce n'est pas seulement sur la partie peu éclairée du public qu'ils produisaient cet effet: madame de Sévigné se réjouissait beaucoup en voyant les Visionnaires, et trouvait que cette comédie était la représentation de tout le monde'.

Nous avons dit que le style de l'Illusion témoignait des immenses progrès de l'auteur; nous justifierons cette assertion par la citation d'un passage, qui prouve en même temps que l'art dramatique, naguère si peu noble, si grossier, avait suivi cette même progression.

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Est en un point si haut que chacun l'idolâtre;
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits,
L'entretien de Paris, le souhait des provinces,
Le divertissement le plus doux de nos princes,
Les délices du peuple et le plaisir des grands;
Il tient le premier rang parmi leurs passe-temps;
Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
Par leurs illustres soins conserver tout le monde
Trouvent dans les douceurs d'un spectacle si beau
De quoi se délasser d'un si pesant fardeau.

Même notre grand roi, ce foudre de la guerre,

Dont le nom se fait craindre aux deux bouts de la terre
Le front ceint de lauriers, daigne bien quelquefois
Prêter l'œil et l'oreille au Théâtre François.

C'est là que le Parnasse étale ses merveilles.
Les plus rares esprits lui consacrent leurs veilles,

'Lettre à madame de Grignan, du 4 août 1677.

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