E CHAPITRE XII. DU PAY S Defcription d'Ermenonville. (1) Le pays eft une grande machine qui exige beaucoup d'imagination, & des talens fupérieurs; il eft dans cet art ce que le Poëme épique eft dans la Poëfie. L'Artiste,qui fe livre de préférence à cette espece de Jardin, eft autant au-deffus de celui qui s'attache aux autres, que peintre d'Hiftoire eft au-deffus du peintre de genre. le J'ai déjà fait obferver que le caractere diftinctif du pays étoit la variété; il préfente en effet tous les tableaux de la (1) J'ai cru devoir appuyer mes principes par des exemples: voilà pourquoi je donne la description des Jardins d'Ermenonville & de Guiscard. Narure; il en admet tous les accidens; il se prête à ce beau défordre qui la caractérise; comme elle, il se plaît dans les tranfitions hardies & les contraftes; comme elle, il eft fufceptible d'une infinité de modifications & de combinaifons. Ouvert ou refferré, montueux ou de niveau, fec ou aquatique, desert ou peuplé, le pays fera frais & aimable ou fombre & arride, grand & impofant, ou fimple & naïf, inculte & pauvre, ou productif & riche. C'eft de ces qualités qu'il tire fes différentes expreffions; &, felon celles qui prédominent, il prend un caractere champêtre, cultivé ou fauvage; ce qui forme fes trois principaux genres. . Le champêtre peut être plus ou moins ruftique, mais il fuppofe toujours de la fraîcheur & de la fimplicité dans fes tableaux. Ses accidens n'ont rien de furni d'extraordinaire; fes pentes prenant font douces; fa verdure eft riantè & animée; fes eaux coulent fans violence, & ne font agitées que par de foibles obstacles; il aime les vallées couvertes de prairies & les côteaux ombragés; il fe plaît parmi les faules, les peupliers, les arbres gais & légers. Il exige peu de fabriques, parce qu'il eft un peu folitaire; s'il en adopte quelques-unes, ce font les petits hameaux, les chaumieres, les cabanes difperfées : ce genre est le plus intéressant des trois. Perfonne n'est infenfible à ses charmes; la douceur de fes effets & fes graces fimples plaisent généralement. La culture, les champs, les villages, les fermes conftituent le genre cultivé; ses côteaux font ornés de vignes & d'arbres fruitiers; fes plaines font des guérets partagés par des haies, féparés par des enclos; fes vallées, des herbages couverts de troupeaux; ses eaux, des ruiffeaux & de tranquilles rivieres qui portent par-tout la fertilité. Son afpect riche & peuplé offre de tous côtés les fruits du travail, de l'activité & de l'industrie. Le genre fauvage fe reconnoîtra à fon terrein tourmenté, à fes vallées finueufes & profondes, à fes hautes montagnes fréquemment entrecoupées de gor. ges & de ravins. Il fera abondant en rochers, il aura de vastes & fombres forêts; fon fol aride, fes fables ftériles ne produiront que des bruyeres, ils fe couvriront de mouffes; fes eaux feront des torrens furieux ou de bruiantes cafcades; il aura encore de grands lacs, des fleuves majestueux,des marais incultes ; & pour fabriques, des hameaux simples & ruftiques, des forges noires & enfumées, quelque vieux château abandonné, des tours ruinées, d'antiques monumens qui ont résistés au temps. Tous ces genres peuvent encore se modifier les uns par les autres, & dans leur mélange, produire des caracteres nouveaux, acquérir des expreffions très différentes, felon la maniere, dont ils feront affociés & à raifon de leurs combinaisons. J'ai dit qu'on ne fait pas le pays, mais qu'on le perfectionne; c'est la Nature qui en ordonne les principaux effets ; c'est elle qui doit avoir ébauché les principales masses tout l'art confifte à en bien faifir l'ensemble, à bien diftinguer & fortifier les traits qui lui donnent fon expreffion. Si l'Artiste ofe créer des accidens, il ne fe permettra que ceux que la Nature auroit pu placer; ils feront proportionnés au fi & analogues aux fcènes; il rejettera tout ce qui altere, affoiblit ou contrarie le caractere général. Les Jardins d'Ermenonville préfentent un pays en partie champêtre, & en partie fauvage. Sa belle vallée, la riviere qui l'arrofe, les côteaux qui la deffinent, les plantations qui l'ornent, les prairies qui la couvrent ont un caractere véri tablement |