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Le Taffe. tion, le Taffe eft aujourd'hui en poffeffion du premier rang fur tous les Poëtes de fa Langue; & ce qui fait le point le plus folide de fa gloire, c'eft qu'il n'y eft point arrivé par la faveur.

Les Ouvrages qui lui ont acquis cette principauté font 1. dans le genre Héroïque ou Epique, fa Jérufalem délivrée ou le Godefroi, fa Férufalem conquise, son Rinaldo ou Renaud, & les fept journées de la Création du Monde; dans le genre Dramatique, la Tragédie de Torismond ; dans le Bucolique, la Pastorale d'Amynte (1) ; & dans les autres genres, un grand nombre de vers qu'on appelle de petite efpéce, & qui confiftent en Chanfons, Sonnets, Madrigaux, Epigrammes & autres Rimes, dont le recueil fe divife en neuf parties; fans parler d'un grand nombre de Poëfies en profe qu'il a compofées.

Mais ceux qui voudront trouver le Catalogue de tous fes Ouvrages généralement, le verront au moins en cinq endroits différens, fans m'obliger d'en faire ici un fixiéme. Ils le trouveront; 1° dans le tome des Eloges de Tomafini, qu'on ne peut diftinguer de l'autre qu'en l'appellant de petit papier, ou en le dattant de l'an 1630. 2° dans le Théâtre de Ghilini; 3° dans le premier tome des Eloges de Lorenzo Craffo; 4° dans la Bibliothéque Napolitaine du Toppi; 5° dans les Additions de Mr Teiffier, aux Eloges de Mr de Thou, au tome second.

La Férufalem délivrée a donné matiére de parler & d'écrire à un nombre infini de perfonnes tant en Italie qu'en France, & dans quelques autres parties de l'Europe. La plupart ont jugé qu'elle devoit avoir fon rang parmi les productions de l'efprit humain immédiatement après l'Iliade & l'Enéïde, quelques-uns ont eftimé même que c'étoit lui faire une espéce dinjure de ne lui donner que le troifiéme rang, ils ont pretendu qu'il faloit du moins mettre trois fiéges égaux fur le Parnaffe pour Homere, Virgile & le Taffe, afin qu'ils puffent prendre leur place fans conféquence, & fans donner atteinte aux prétentions que l'un pourroit avoir fur les deux autres.

C'est ce qu'il eft aifé de voir dans les écrits de divers Italiens & particuliérement dans un Traité exprès que le Beni d'Eugubio

If Le mot Bucolique ne donnant l'idée que d'Eglogue, & non pas de Comédie, l'Amynte qui eft une vraie Comédie, quoique Paftorale, devoit platot ètre comprise fous le genre Dramatique en général. que fous le Bucolique en particulier. Ainfi

l'Auteur fe feroit mieux expliqué, fi en fupprimant ces mots dans le Bucolique, il avoit dit que les ouvrages du Tafse dans le Dramatique font la Tragédie de Torifmond, & la Paftorale d'Amynte.

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a fait de la comparaifon du Tafle avec Homere & Virgile, & mê- Le Taffe me dans les Commentaires qu'il a donnés fur fon Godefroi (1).

Les fentimens que nos Critiques François en ont eus, n'ont été gueres moins magnifiques, quoiqu'ils n'ayent point paru fi éblouis de fon éclat. Mr de Balzac n'a point fait difficulté de dire que ce Poëme eft l'ouvrage le plus riche & le plus achevé que l'on eût encore vû depuis le fiécle d'Auguste (2); qu'en ce genre excellent d'écrire, Virgile eft caufe que le Taffe n'eft pas le premier; & le Taffe, que Virgile n'eft pas le feul (3).

Mais on eft revenu un peu de ces hautes idées en ces derniers temps, & Mr Rofteau n'a point fait difficulté d'accufer de mauvais goût ceux qui ont parlé comme le Beni & les autres Italiens, & comme Mr de Balzac même (4). Et Mr Defpreaux par une licence Poëtique a traité de Sots de qualité tous les Courtifans & les Marquis connoiffeurs qui femblent préférer ou oppofer le clinquant du Taffe à tout l'or de Virgile (s).

Néanmoins cet Ouvrage du Taffe ne laiffera pas de paroître excellent dès qu'on ne nous le prefentera plus auprès de ceux de Virgile & d'Homere. Le Cardinal du Perron dit (6) qu'il est admirable en foi, mais qu'il y auroit souhaité un autre difcours, parce que fon Ouvrage a plutôt l'air d'un tiffu d'Epigrammes que d'un Poëme Epique. Il convient d'ailleurs que le Taffe étoit un bel ef prit, qu'il avoit le génie grand & vafte, & qu'il étoit capable d'une telle entreprise.

Il n'avoit encore que xx11. ans lorfqu'il commença ce merveil

1 Paul. Beni Fr. de Compar. Torq. Taff. cum Hom. & Virg. & Arioft. cum Hom. Nicol. Toppi in Biblioth. Neapolit. Laur. Craff. tom. 1. Elogior. Ital. Girol. Ghilini Theatr. d'Huom Lett. & alii paffim, in quib. Jac. Phil.. Tomafini de vita ejufdem.

2. J. L. Guez de Balzac Difcours fur la Traged. d'Herode par Heinfius pag. 37. 38.

3. Cette penfée : Virgile eft caufe que le Taffe n'eft pas le premier, & le Taffe que Virgile n'eft pas le feul, avoit été employée par Nicolas le Fèvre lorfqu'il avoit dit que Cujas étoit caufe que Pierre Pithou n'eftoit pas le premier, P. Pithon que Cujas n'eftoit pas le feul. On a cherché que le premier avoit ufé de ce tour ingenieux de paroles.Laurent Valle 1.5.de l'élégance de la langue Latine, c. 83. a dit que c'étoit Cicéron dans l'O

:

raifon pro Gallo, & d'habiles gens l'en ont
cru. C'eft S. Jérome qui dans for Epitre à
Népotien de via clericorum 9
en renvoyant
à certain endroit de l'Oraifon de Cicéron
pro Q. Gallio, car c'est ainsi qu'il faut lire,
& non pas Gallo, a rapporté par occafion
cet éloge donné a Cicéron Demosthenes tibi
præripuit ne effesprimus orator; tu illi, ne folus..
On voit comme ce qui a été dit originaire-
ment de Demofthene & de Cicéron tou-
chant l'Eloquence, a été appliqué par le
Fèvre à Cujas & à Pithou pour la jurif-
prudence, & par Balzac à Virgile & au.
Tafle pour la Poefic.

4. Rofteau fentim. fur quelques livres
d'Aut. qu'il a lûs pag. 65.

5. Nicol. Boil. Despr. Satir. 9. pag.. 78. des edit. pofter,.

6. Perroniana au mot Poësie..

Le Taffe. leux Poëme, & il étoit pour lors à la Cour, de France en qualité. d'Ecuyer ou Gentilhomme du Nonce Louis d'Efte Cardinal, mais il ne l'acheva qu'après fon retour en Italie. Il y a renfermé des beautés qu'on ne fe laffera peut-être jamais d'admirët ( 1 ). On peut dire qu'elles font confufément répanduës, foit dans la conftruction générale de l'Ouvrage, foit dans le tour de fes expressions, foit enfin dans l'emploi des Epifodes qu'il y a fait entrer.

Mr Godeau écrit ( 2 ) qu'il y a exprimé les mouvemens des paffions d'une façon fi merveilleufe, qu'encore qu'il foit toujours demeuré dans les termes de la Religion Chrétienne, fon Poëme ne laiffe pas d'avoir autant d'agrément que s'il eut employé tous les Dieux & les Déefles de l'Iliade & de l'Enéïde.

On convient qu'il y a des endroits plus brillans que dans Virgile, & plufieurs prétendent que ceux qui contiennent les avantures d'Olinde & de Sophronie, de Tancrede & de Clorinde, de Renaud & de Tancrede, font fans comparaifon; & que l'Ambaffade d'Argante & d'Alète, leurs harangues & les réponfes de Godefroi, font des efforts d'efprit prefque inimitables.

D'un autre côté on peut reconnoître avec le Vittorio Roffi ( 3 ), qu'il merite d'être approché près d'Homere pour la grandeur de fon ftyle & la nobleffe de ses expreffions. Il dit que le Taffe fait paroître tant de dignité, tant de majefté & de grace dans fa diction, lors même qu'il parle au defavantage de quelqu'un, qu'il n'y a perfonne de bon fens qui n'aime mieux être Terfite dans fon Poëme que d'être Achille dans ceux des autres, & qui ne doive préferer la maniére d'être blâmé de lui avec tous fes agrémens, à l'avantage d'être loué par plufieurs autres Poëtes.

Il a faft paroître dans ce merveilleux Poëme une éloquence achevée, au sentiment du Mascardi (4), qui fait voir qu'il s'y est comporté en Maître qui fait parfaitement l'art de parler; qu'il a pour l'ordinaire le caractére magnifique & fublime; mais qu'il a eu la difcrétion & la force de l'abaiffer & de le reduire quelquefois au médiocre, lorfqu'il a jugé que fon fujet le demandoit; qu'il eft fort, grave, & férieux dans fes difcours & les confeils de guerre, dans la defcription des batailles & dans fes narrations; qu'il eft en

Rofteau, Teiffier, Menage, & les autres Auteurs.

2. Ant. Godeau Préface fur fon Poëme de faint Paul.

3. Jan. Nicius Erythræus Pinacoth. 1.

num. 42. pag. 74. tom. r.

4. Agoftino Mafcardi dell' Arte hiftorica, Trattato 4. Particella 4. pag. 429. 430. 431.

même tems délicat, tendre & paffionné quand il s'agit de dé- Le Taffe, peindre les inclinations, les plaifirs, les paffions & les mouvemens des cours; mais qu'il eft également héroïque par tour, & qu'il n'y a point d'endroits où il ne foit élégant, poli, nombreux, agréable, & où fon ftyle ne foit toujours dans les termes de la véritable élocution.

Meffieurs de Port-Royal femblent pourtant le reconnoître inférieur à l'Ariofte pour ce ftyle fi vanté par le Mafcardi, & ils difent (1) qu'il s'eft donné plus de liberté pour ce qui eft de la Langue, quoiqu'il ait d'ailleurs furpaffé l'Ariofte de beaucoup dans la grandeur du fujet & la beauté du Poëme héroïque. Et Mr Borrichius qui avoue conformément aux réfléxions du Mascardi que le Taffe eft magnifique dans fes termes & dans l'appareil de fes difcours (2), fe mocque du Vittorio Roffi & il tourne en ridicule avec affés de raifon l'éloge que nous venons d'en rapporter. Il ajoûte que le Taffe, tout habile qu'il étoit, n'a point connu les régles de la bienféance qui doit accompagner l'Epopée, fuivant les maximes d'Ariftote.

C'est une querelle que le Caftelvetro, Cenfeur général en titre d'office fur tous les fujets d'Apollon, fait au Taffe dans les Rélations du Parnaffe que le Boccalini nous a laiffées pour nous divertir (3). On fait répondre au Taffe que ce n'avoit point été un efprit d'indocilié, de malice ou de rébellion qui l'avoit porté à négliger les régles d'Ariftote; mais que n'ayant fuivi que fon propre génie & les infpirations de la Mufe qu'il avoit invoquée, il n'avoit point crû devoir prendre d'autres guides; qu'au refte ne fachant point qu'Ariftote eût fait des régles pour des efprits libres & pour un Art qu'il croyoit n'en pouvoir recevoir que d'enhaut, c'étoit moins par mépris que par ignorance qu'il en avoit ufé de la forte, & qu'il ne favoit pas qu'il y eût un autre Maître qu'Apollon pour les Poëtes. Appollon jaloux de fon autorité se trouva tout émû à ces paroles, & non content d'excufer le Taffe, il fit venir Ariftote pour lui faire rendre compte de la hardieffe de fon entreprise. Ce Philofophe fe voyant appréhendé par la Garde Prétorienne ou plutôt par la Maréchauffée des Poëtes Alemans, ne put tenir devant fa Majefté; de forte qu'ayant perdu toute fa

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3. Trajan. Boccalini Centur. 1. Ragual. XXVIII. pag. 95. tom. 1. di Parn.

Le Taffe. contenance & fa gravité, il fit tourner la févérité de fon Juge en compaffion; & on ne lui pardonna la témérité qu'il avoit euë de faire fon Art Poëtique, qu'en considération de fon antiquité & de fa Philofophie. Le Boccalini ajoûte qu'Apollon approuva le Poëme de la Férufalem délivrée, & qu'il le conftitua même comme la régle & le modéle de ceux qui viendroient après lui.

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Mais parce que la foi du Boccalini eft un peu fufpecte dans fes Rélations, & que n'ayant pas été le témoin oculaire des chofes qu'il rapporte, on ne le croit appuyé le plus fouvent que fur des Mémoires incertains ou forgés à plaifir, les Critiques ont eu raifon de douter que ce fût là le Jugement d'Apollon, ou du moins qu'il n'eut été fort alteré. Auffi le P. Mambrun n'a-t-il point crû devoir s'y arrêter, quoiqu'il ait reconnu en quelques endroits de fes Differtations que la Jérufalem du Taffe eft le Poëme Epique le plus accompli des modernes & leur modéle (1) ; & en d'autres qu'Homere, Virgile & lui, font les Chefs & les véritables Maîtres des Poëtes Epiques (2). Ce Pere a pretendu faire voir des défauts très-considerables dans l'Ouvrage du Taffe, il l'accufe d'avoir péché dans la partie effentielle de l'Epopée, qui confifte dans l'unité de la Fable & dans celle de l'Action (3). Tout ce qu'il en a dit ne tend, ce femble, qu'à nous faire croire que le Taffe a corrompu cette Unité en diverfes maniéres, foit en quittant quelquefois fon premier projet & le plan qu'il a dû faire de fa Fable, soit en donnant à fon Action trop d'étenduë & trop d'Episodes. Ce même Critique prétend encore que le Taffè a trèsmal obfervé l'Unité du Héros dans fon Poëme. Il dit que tout ce qu'il y a de grand & de plus difficile eft éxécuté par Tancrede & par Renaud; & que Godefroi ne fait prefque rien d'important en comparaifon d'eux. Puis en l'éxaminant ailleurs fur l'Iliade d'Homere, il a trouvé que Renaud y eft le veritable Achille au lieu de Godefroy, qui y paroît feulement comme un Agamemnon, Tancrede comme un Ajax, Guelphon comme une Ulyffe, Raimond comme un Neftor. Or Godefroi pour être le Héros du Poëme de la Jérufalem, devoit dit-il, faire ce qu'on y fait faire à Renaud. Enfin le P. Mambrun conclud que le Taffe a fort bien

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