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Ce jour nous fut propice et funeste à la fois;
Unissant nos maisons, il désunit nos rois;

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Un même instant conclut notre hymen et la guerre,
Fit naître notre espoir, et le jeta par terre, &
Nous ôta tout sitôt qu'il nous eut tout promis;
Et, nous faisant amants, il nous fit ennemis.
Combien nos déplaisirs parurent lors extrêmes!
Combien contre le ciel il vomit de blasphèmes!
Et combien de ruisseaux coulèrent de mes yeux!
Je ne vous le dis point, vous vîtes nos adieux;
Vous avez vu depuis les troubles de mon ame:
Vous savez pour la paix quels vœux a faits ma flamme,
Et quels pleurs j'ai versés à chaque évènement,
Tantôt pour mon pays, tantôt pour mon amant.
Enfin mon désespoir, parmi ces longs obstacles,
M'a fait avoir recours à la voix des oracles,
Écoutez si celui qui me fut hier rendu
Eut droit de rassurer mon esprit éperdu.
Ce Grec si renommé qui depuis tant d'années
Au pied de l'Aventin prédit nos destinées,
Lui qu'Apollon jamais n'a fait parler à faux, 9
Me promit par ces vers la fin de mes travaux:
« Albe et Rome demain prendront une autre face; 19
Tes vœux sont exaucés, elles auront la paix;

Et tu seras unie avec ton Curiace,

Sans qu'aucun mauvais sort t'en sépare jamais. >>
Je pris sur cet oracle une entière assurance;
Et, comme le succès passoit mon espérance,
J'abandonnai mon ame à des ravissements

Qui passoient les transports des plus heureux amants.
Jugez de leur excès : je rencontrai Valère,

Et, contre sa coutume, il ne put me déplaire;

Il me parla d'amour sans me donner d'ennui: 1
Je ne m'aperçus pas que je parlois à lui;
Je ne lui pus montrer de mépris ni de glace:
Tout ce que je voyois me sembloit Curiace;
Tout ce qu'on me disoit me parloit de ses feux;
Tout ce que je disois l'assuroit de mes vœux.
Le combat général aujourd'hui se hasarde;

'J'en sus hier la nouvelle, et je n'y pris pas garde: 12
Mon esprit rejetoit ces funestes objets,

Charmé des doux pensers d'hymen et de la paix.
La nuit a dissipé des erreurs si charmantes:
Mille songes affreux, mille images sanglantes,
Ou plutôt mille amas de carnage et d'horreur,
M'ont arraché ma joie, et rendu ma terreur:

J'ai vu du sang, des morts, et n'ai rien vu de suite; 13
Un spectre en paroissant prencit soudain la fuite;
Ils s'effaçoient l'un l'autre ; et chaque illusion
Redoubloit mon effroi par sa confusion.

JULIE.

C'est en contraire sens qu'un songe s'interprète. 14

CAMILLE.

Je le dois croire ainsi, puisque je le souhaite;
Mais je me trouve enfin, malgré tous mes souhaits,
Au jour d'une bataille, et non pas d'une paix.

JULIE.

Par là finit la guerre, et la paix lui succède.

CAMILLE.

Dure à jamais le mal s'il y faut ce remède!

Soit

que

Rome y succombe, ou qu'Albe ait le dessous, 15 Cher amant, n'attends plus d'être un jour mon époux;

Jamais, jamais ce nom ne sera pour un homme
Qui soit ou le vainqueur ou l'esclave de Rome.

Mais quel objet nouveau se présente en ces lieux? Est-ce toi, Curiace? en croirai-je ines yeux?

SCENE IV.

CURIACE, CAMILLE, JULIE.

CURIACE.

N'EN doutez point, Camille; et revoyez un homme '
Qui n'est ni le vainqueur ni l'esclave de Rome :
Cessez d'appréhender de voir rougir mes mains 2
Du poids honteux des fers, ou du sang des Romains.
J'ai cru que vous aimiez assez Rome et la gloire
Pour mépriser ma chaîne et hair ma victoire¿
Et comme également en cette extrémité
Je craignois la victoire et la captivité....

CAMILLE.

Curiace, il suffit, je devine le reste :

Tu fuis une bataille à tes vœux si funeste;

3

Et ton cœur, tout à moi, pour ne me perdre pas,
Dérobe à ton pays le secours de ton bras.
Qu'un autre considère ici ta renommée, 4
Et te blâme, s'il veut, de m'avoir trop aimée,
Ce n'est point à Camille à t'en mésestimer;
Plus ton amour paroît, plus elle doit t'aimer;
Et, si tu dois beaucoup aux lieux qui t'ont vu naître,
Plus tu quittes pour moi, plus tu le fais paroître.
Mais as-tu vu mon père? et peut-il endurer 5

Qu'ainsi dans sa maison tu t'oses retirer?

1

Ne préfère-t-il point l'état à sa famille?

Ne regarde-t-il point Rome plus que sa fille ?
Enfin notre bonheur est-il bien affermi?

T'a-t-il vu comme gendre, ou bien comme ennemi ?

CURIACE.

Il m'a vu comme gendre, avec une tendresse
Qui témoignoit assez une entière alégresse;
Mais il ne m'a point vu, par une trahison,
Indigne de l'honneur d'entrer dans sa maison.
Je n'abandonne point l'intérêt de ma ville;
J'aime encor mon honneur en adorant Camille.
Tant qu'a duré la guerre, on m'a vu constamment
Aussi bon citoyen que véritable amant.

D'Albe avec mon amour j'accordois la querelle;
Je soupirois pour vous en combattant pour elle;
Et, s'il falloit encor que l'on en vînt aux coups,
Je combattrois pour elle en soupirant pour vous.
Oui, malgré les désirs de mon ame charmée,
Si la guerre duroit je serois dans l'armée :

C'est la paix qui chez vous me donne un libre accès, ~La paix à qui nos feux doivent ce beau succès.

CAMILLE.

La paix ! Et le moyen de croire un tel miracle?

JULIE.

Camille, pour le moins croyez-en votre oracle;
Et sachons pleinement par quels heureux effets
L'heure d'une bataille a produit cette paix.

CURIACE.

L'auroit-on jamais cru? Déjà les deux armées,
D'une égale chaleur au combat animées,

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Se menaçoient des yeux, et, marchant fièrement,
N'attendoient, pour donner, que le commandement,
Quand notre dictateur devant les rangs s'avance,
Demande à votre prince un moment de silence;
Et l'ayant obtenu : « Que faisons-nous; Romains?
Dit-il; et quel démon nous fait venir aux mains? 7.
Souffrons que la raison éclaire enfin nos ames:
Nous sommes vos voisins, nos filles sont vos femmes,
Et l'hymen nous a joints par tant et tant de nœuds,
Qu'il est peu de nos fils qui ne soient vos neveux.
Nous ne sommes qu'un sang et qu'un peuple en deux villes:
Pourquoi nous déchirer par des guerres civiles,

Où la mort des vaincus affoiblit les vainqueurs,

Et le plus beau triomphe est arrosé de pleurs?

Nos ennemis communs attendent avec joie

Qu'un des partis défait leur donne l'autre en proie,
Lassé, demi-rompu, vainqueur, mais, pour tout fruit,
Dénué d'un secours par lui-même détruit.

Ils ont assez long-temps joui de nos divorces: 8
Contre eux dorénavant joignons toutes nos forces,
Et noyons dans l'oubli ces petits différents
Qui de si bons guerriers font de mauvais parents.
Que si l'ambition de commander aux autres
Fait marcher aujourd'hui vos troupes et les nôtres,
Pourvu qu'à moins de sang nous voulions l'apaiser,
Elle nous unira, loin de nous diviser.

Nommons des combattants pour la cause commune;
Que chaque peuple aux siens attache sa fortune;
Et, suivant ce que d'eux ordonnera le sort,
Que le parti plus foible obéisse au plus fort: 9
Mais, sans indignité pour des guerriers si bravēs,
Qu'ils deviennent sujets sans devenir esclaves,

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