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Ce choix vous déplaît-il ?

CURIACE.

Non, mais il me surprend;

Je m'estimois trop peu pour un honneur si grand.

FLAVIAN.

Dirai-je au dictateur, dont l'ordre ici m'envoie,
Que vous le recevez avec si peu de joie?

Ce morne et froid accueil me surprend à mon tour.
CURIACE.

Dis-lui que l'amitié, l'alliance, et l'amour,
Ne pourront empêcher que les trois Curiaces
Ne servent leur pays contre les trois Horaces.

FLAVIAN.

Contre eux! Ah! c'est beaucoup me dire en peu de mots:

CURIACE.

Porte-lui ma réponse, et nous laisse en repos.

SCÈNE III.

HORACE, CURIACE.

CURIACE.

QUE désormais le ciel, les enfers, et la terre,
Unissent leurs fureurs à nous faire la guerre,
Que les hommes, les dieux, les démons, et le sort, I
Préparent contre nous un général effort;

Je mets à faire pis, en l'état où nous sommes,

Le sort, et les démons, et les dieux, et les hommes;
Ce qu'ils ont de cruel, et d'horrible, et d'affreux,
L'est bien moins que l'honneur qu'on nous fait à tous deux

HORACE.

Le sort, qui de l'honneur nous ouvre la barrière,
Offre à notre constance une illustre matière ;

Il épuise sa force à former un malheur 2
Pour mieux se mesurer avec notre valeur;

Et comme il voit en nous des ames peu communes,
Hors de l'ordre commun il nous fait des fortunes. 3
Combattre un ennemi pour le salut de tous,

Et contre un inconnu s'exposer seul aux coups,
D'une simple vertu c'est l'effet ordinaire ;
Mille déjà l'ont fait, mille pourroient le faire ; 4
Mourir pour le pays
est un si digne sort,

Qu'on brigueroit en foule une si belle mort.
Mais vouloir au public immoler ce qu'on aime,
S'attacher au combat contre un autre soi-même,
Attaquer un parti qui prend pour défenseur
Le frère d'une femme, et l'amant d'une sœur,
Et, rompant tous ces nœuds, s'armer pour la patrie
Contre un sang qu'on voudroit racheter de sa vie ;
Une telle vertu n'appartenoit qu'à nous.

L'éclat de son grand nom lui fait peu de jaloux,
Et peu d'hommes au cœur l'ont assez imprimée
Pour oser aspirer à tant de renommée.

CURIACE.

Il est vrai que nos noms ne sauroient plus périr;
L'occasion est belle, il nous la faut chérir :
Nous serons les miroirs d'une vertu bien rare.
Mais votre fermeté tient un peu du barbare;
Peu, même des grands cœurs, tireroient vanité
D'aller par ce chemin à l'immortalité :
A quelque prix qu'on mette une telle fumée,
L'obscurité vaut mieux que tant de renommée.

Pour moi, je l'ose dire, et vous l'avez pu voir, Je n'ai point consulté pour suivre mon devoir; Notre longue amitié, l'amour ni l'alliance,

N'ont pu mettre un moment mon esprit en balance;
Et puisque par ce choix Albe montre en effet
Qu'elle m'estime autant que Rome vous a fait, 5
Je crois faire pour elle autant que vous pour Rome:
J'ai le cœur aussi bon, mais enfin je suis homme :
Je vois que votre honneur demande tout mon sang;
Que tout le mien consiste à vous percer le flanc;
Près d'épouser la sœur, qu'il faut tuer le frère;
Et que pour mon pays j'ai le sort si contraire,
Encor qu'à mon devoir je coure sans terreur,
Mon cœur s'en effarouche, et j'en frémis d'horreur
J'ai pitié de moi-même, et jette un œil d'envie
Sur ceux dont notre guerre a consumé la vie,
Sans souhait toutefois de pouvoir reculer.

Ce triste et fier honneur m'émeut sans m'ébranler :
J'aime ce qu'il me donne, et je plains ce qu'il m'ôte;
Et si Rome demande une vertu plus haute,

Je rends graces aux dieux de n'être pas Romain,
Pour conserver encor quelque chose d'humain.

HORACE.

6

Si vous n'êtes Romain, soyez digne de l'être;
Et si vous m'égalez, faites-le mieux paroître.
La solide vertu dont je fais vanité
N'admet point de foiblesse avec sa fermeté ;
Et c'est mal de l'honneur entrer dans la carrière
Que dès le premier pas regarder en arrière.
Notre malheur est grand, il est au plus haut point;
Je l'envisage entier, mais je n'en frémis point.

Contre qui que ce soit que mon pays m'emploie,
J'accepte aveuglément cette gloire avec joie :
Celle de recevoir de tels commandements
Doit étouffer en nous tous autres sentiments.
Qui, près de le servir, considère autre chose
A faire ce qu'il doit lâchement se dispose;
Ce droit saint et sacré rompt tout autre lien.
Rome a choisi mon bras, je n'examine rien.
Avec une alégresse aussi pleine et sincère
Que j'épousai la sœur, je combattrai le frère;
Et pour trancher enfin ces discours superflus,
Albe vous a nommé, je ne vous connois plus. 7

CURIACE.

Je vous connois encore, et c'est ce qui me tue;
Mais cette âpre vertu ne m'étoit pas connue;
Comme notre malheur elle est au plus haut point:
Souffrez que je l'admire et ne l'imite point.

HORACE.

Non, non, n'embrassez pas de vertu par contrainte;
Et puisque vous trouvez plus de charme à la plainte,
En toute liberté goûtez un bien si doux.
Voici venir ma sœur pour se plaindre avec vous. 9
Je vais revoir la vôtre, et résoudre son ame

A se bien souvenir qu'elle est toujours ma femme,
A vous aimer encor si je meurs par vos mains,
Et prendre en son malheur des sentiments romains.

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SCENE IV.

CAMILLE, HORACE, CURIAC E.

HORACE.

AVEZ-VOUS su l'état qu'on fait de Curiace, 1

Ma sœur?

CAMILLE.

Hélas ! mon sort a bien changé de face.

HORACE.

Armez-vous de constance, et montrez-vous ma sœur ;
Et si par mon trépas il retourne vainqueur,

Ne le recevez point en meurtrier d'un frère,
Mais en homme d'honneur qui fait ce qu'il doit faire,
Qui sert bien son pays, et sait montrer à tous,
Par sa haute vertu, qu'il est digne de vous:
Comme si je vivois, achevez l'hyménée.
Mais si ce fer aussi tranche sa destinée,
Faites à ma victoire un pareil traitement;

Ne me reprochez point la mort de votre amant.
Vos larmes vont couler, et votre cœur se presse:
Consumez avec lui toute cette foiblesse,
Querellez ciel et terre, et maudissez le sort;
Mais après le combat ne pensez plus au mort.
( à Curiace.)

Je ne vous laisserai qu'un moment avec elle,
Puis nous irons ensemble où l'honneur nous appelle.

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