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Mais, à bien regarder ceux ou le ciel me plonge,
Les vôtres auprès d'eux vous sembleront un songe.
La seule mort d'Horace est à craindre pour vous.
Des frères ne sont rien à légal d'un époux;
L'hymen qui nous attache en une autre famille 2
Nous détache de celle où l'on a vécu fille;

On voit d'un œil divers des nœuds si différents,
Et pour suivre un mari l'on quitte ses parents:

Mais, si près d'un hymen, l'amant que donne un père
Nous est moins qu'un époux, et non pas moins qu'un frère;
Nos sentiments entre eux demeurent suspendus,

Notre choix impossible, et nos vœux confondus.
Ainsi, ma sœur, du moins vous avez dans vos plaintes

Où porter vos souhaits, et terminer vos craintes;
Mais si le ciel s'obstine à nous persécuter,

Pour moi j'ai tout à craindre, et rien à souhaiter.

SABINE.

Quand il faut que l'un meure, et par les mains de l'autre,
C'est un raisonnement bien mauvais que le vôtre. 3
Quoique ce soient, ma sœur, des nœuds bien différents,
C'est sans les oublier qu'on quitte ses parents:
L'hymen n'efface point ces profonds caractères;
Pour aimer un mari l'on ne hait pas ses frères;
La nature en tout temps garde ses premiers droits;
Aux dépens de leur vie on ne fait point de choix :
Aussi-bien qu'un époux ils sont d'autres nous-mêmes;
Et tous maux sont pareils alors qu'ils sont extrêmes. 4
Mais l'amant qui vous charme et pour qui vous brûlez 5
Ne vous est, après tout, que ce que vous voulez ;
Une mauvaise humeur, un peu de jalousie,

En fait assez souvent passer la fantaisie.

Ce que peut le caprice, osez-le par raison,
Et laissez votre sang hors de comparaison :
C'est crime qu'opposer des liens volontaires
A ceux que la naissance a rendus nécessaires.
Si donc le ciel s'obstine à nous persécuter,
Seule j'ai tout à craindre, et rien à souhaiter;
Mais pour vous,
le devoir vous donne dans vos plaintes
Où porter vos souhaits, et terminer vos craintes.

CAMILLE.

Je le vois bien, ma sœur, vous n'aimâtes jamais;
Vous ne connoissez point ni l'amour ni ses traits: 6
On peut lui résister quand il commence à naître,
Mais non pas le bannir quand il s'est rendu maître,
Et que l'aveu d'un père, engageant notre foi,
A fait de ce tyran un légitime roi.

force; 7

8

Il entre avec douceur, mais il règne par
Et quand l'ame une fois a goûté son amorce,
Vouloir ne plus aimer, c'est ce qu'elle ne peut,
Puisqu'elle ne peut plus vouloir que ce qu'il veut:
Ses chaînes sont pour nous aussi fortes que belles. 9.

SCÈNE V.

LE VIEIL HORACE, SABINE, CAMILLE.

LE VIEIL HORACE.

Je viens vous apporter de fâcheuses nouvelles, I
Mes filles; mais en vain je voudrois vous celer

Ce qu'on ne vous sauroit long-temps dissimuler:

Vos frères sont aux mains, les dieux ainsi l'ordonnert.

SABINE.

Je veux bien l'avouer, ces nouvelles m'étonnent,

Et je m'imaginois dans la divinité

Beaucoup moins d'injustice, et bien plus de bonté.
Ne nous consolez point contre tant d'infortune; 2
La pitié parle en vain, la raison importune.
Nous avons en nos mains la fin de nos douleurs;
Et qui veut bien mourir peut braver les malheurs.
Nous pourrions aisément faire en votre présence 3
De notre désespoir une fausse constance;

Mais quand on peut sans honte être sans fermeté, 4
L'affecter au dehors, c'est une lâcheté;

L'usage d'un tel art, nous le laissons aux hommes, Et ne voulons passer que pour ce que nous sommes.

Nous ne demandons point qu'un courage si fort S'abaisse, à notre exemple, à se plaindre du sort. Recevez sans frémir ces mortelles alarmes ; Voyez couler nos pleurs sans y mêler vos larmes ; Enfin, pour toute grace, en de tels déplaisirs, Gardez votre constance, et souffrez nos soupirs.

LE VIEIL HORACE.

Loin de blâmer les pleurs que je vous vois répandre,
Je crois faire beaucoup de m'en pouvoir défendre,
Et cèderois peut-être à de si rudes coups

Si je prenois ici même intérêt que vous:

Non qu'Albe par son choix m'ait fait haïr vos frères,
Tous trois me sont encor des personnes bien chères :
Mais enfin l'amitié n'est pas de même rang,

Et n'a point les effets de l'amour ni du sang;
Je ne sens point pour eux la douleur qui tourmente
Sabine comme sœur,
Camille comme amante:

Je puis les regarder comme nos ennemis,

Et donne sans regret mes souhaits à mes fils.

Ils sont, graces aux dieux, dignes de leur patrie;
Aucun étonnement n'a leur gloire flétrie;

Et j'ai vu leur honneur croître de la moitié
Quand ils ont des deux camps refusé la pitié.
Si par quelque foiblesse ils l'avoient mendiée,
Si leur haute vertu ne l'eût répudiée,

Ma main bientôt sur eux m'eût vengé hautement 5
De l'affront que m'eût fait ce inol consentement.
Mais lorsqu'en dépit d'eux on en a voulu d'autres,
Je ne le cèle point, j'ai joint mes vœux aux vôtres.
Si le ciel pitoyable eût écouté ma voix,
Albe seroit réduite à faire un autre choix;
Nous pourrions voir tantôt triompher les Horaces
Sans voir leurs bras souillés du sang des Curiaces,
Et de l'évènement d'un combat plus humain
Dépendroit maintenant l'honneur du nom romain.
La prudence des dieux autrement en dispose;
Sur leur ordre éternel mon esprit se repose:
Il s'arme, en ce besoin, de générosité,
Et du bonheur public fait sa félicité.

Tâchez d'en faire autant pour soulager vos peines,
Et songez toutes deux que vous êtes Romaines :
Vous l'êtes devenue, et vous l'êtes encor;

Un si glorieux titre est un digne trésor. 6
Un jour, un jour viendra que par toute la terre
Rome se fera craindre à l'égal du tonnerre,
Et que, tout l'univers tremblant dessous ses lois,
Ce grand nom deviendra l'ambition des rois :
Les dieux à notre Énée ont promis cette gloire.

SCÈNE V I.

LE VIEIL HORACE, SABINE, CAMILLE,

JULIE.

LE VIEIL HORACE.

Nous venez-vous, Julie, apprendre la victoire? *

JULIE.

Mais plutôt du combat les funestes effets.

Rome est sujette d'Albe, et vos fils sont défaits;
Des trois les deux sont morts, son époux seul vous reste.

LE VIEIL HORACE.

O d'un triste combat effet vraiment funeste !
Rome est sujette d'Albe! et pour l'en garantir
Il n'a pas employé jusqu'au dernier soupir !
Non, non, cela n'est point; on vous trompe, Julie;
Rome n'est point sujette, ou mon fils est sans vie :
Je connois mieux mon sang, il sait mieux son devoir.

JULIE.

Mille de nos remparts comme moi l'ont pu voir.
Il s'est fait admirer tant qu'ont duré ses frères;
Mais comme il s'est vu seul contre trois adversaires,
Près d'être enfermé d'eux, sa fuite l'a sauvé.

LE VIEIL HORACE.

Et nos soldats trabis ne l'ont point achevé !
Dans leurs rangs à ce lâche ils ont donné retraite !

JULIE.

Je n'ai rien voulu voir après cette défaite.

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