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Sois plus femme que sœur, et, te réglant sur moi,
Fais-toi de mon exemple une immuable loi.

SABINE.

Cherche pour t'imiter des ames plus parfaites.
Je ne t'impute poinè les pertes que j'ai faites,
J'en ai les sentiments que je dois en avoir,
Et je m'en prends au sort plutôt qu'à ton devoir;
Mais enfin je renonce à la vertu romaine, 4
Si, pour la posséder, je dois être inhumaine,
Et ne puis voir en moi la femme du vainqueur,
Sans y voir des vaincus la déplorable sœur.

Prenons part en public aux victoires publiques,
Pleurons dans la maison nos malheurs domestiques;
Et ne regardons point des biens communs à tous,
Quand nous voyons des maux qui ne sont que pour nous.
Pourquoi veux-tu, cruel, agir d'une autre sorte? 5
Laisse en entrant ici tes lauriers à la porte,

Mele tes pleurs aux miens.... Quoi ! ces lâches discours
N'arment point ta vertu contre mes tristes jours!
Mon crime redoublé n'émeut point ta colère !
Que Camille est heureuse! elle a pu te déplaire;
Elle a reçu de toi ce qu'elle a prétendu,

Et recouvre là-bas tout ce qu'elle a perdu.
Cher époux, cher auteur du tourment qui me presse,
Ecoute la pitié, si ta colère cesse;

Exerce l'une ou l'autre, après, de tels malheurs,
A punir ma foiblesse, ou finir mes douleurs :
Je demande la mort pour grace ou pour supplice:
Qu'elle soit un effet d'amour ou de justice,
N'importe; tous ses traits n'auront rien que de doux,
Si je les vois partir de la main d'un époux.

HORACE.

Quelle injustice aux dieux d'abandonner aux femmes 6
Un empire si grand sur les plus belles ames,
Et de se plaire à voir de si foibles vainqueurs
Régner si puissamment sur les plus nobles coeurs!
A quel point ma vertu devient-elle réduite ! 7
Rien ne la sauroit plus garantir que la fuite.
Adieu. Ne me suis point, ou retiens tes soupirs.
SABINE, seule.

O colère, ô pitié, sourdes à mes désirs,

Vous négligez mon crime, et ma douleur vous lasse,
Et je n'obtiens de vous ni supplice, ni grace!
Allons-y par nos pleurs faire encore un effort,
Et n'employons après que nous à notre mort.

8

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

ACTE CINQUIÈME.'

SCÈNE I.

LE VIEIL HORACE, HORACE.

RETIRONS

LE VIEIL HORACE.

RONS nos regards de cet objet funeste,

Pour admirer ici le jugement céleste:

Quand la gloire nous enfle, il sait bien comme il faut Confondre notre orgueil qui s'élève trop baut;

Nos plaisirs les plus doux ne vont point sans tristesse ; 2 Il mêle à nos vertus des marques de foiblesse,

Et rarement accorde à notre ambition

L'entier et pur honneur d'une bonne action.

Je ne plains point Camille; elle étoit criminelle:

Je me tiens plus à plaindre, et je te plains plus qu'elle;
Moi, d'avoir mis au jour un cœur si peu romain;
Toi, d'avoir par sa mort déshonoré ta main.
Je ne la trouve point injuste ni trop prompte;
Mais tu pouvois, mon fils, t'en épargner la honte:
Son crime, quoiqu'énorme et digne du trépas,
Étoit mieux impuni, que puni par ton bras.

HORACE.

Disposez de mon sang, les lois vous en font maître;
J'ai cru devoir le sien aux lieux qui m'ont vu naître.
Si dans vos sentiments mon zèle est criminel,
S'il m'en faut recevoir un reproche éternel,

Si ma main en devient honteuse et profanée, 3,
Vous pouvez d'un seul mot trancher ma destinée :
Reprenez tout ce sang de qui ma lâcheté 4
A si brutalement souillé la pureté.

Ma main n'a pu souffrir de crime en votre race;
Ne souffrez point de tache en la maison d'Horace.
C'est en ces actions dont l'honneur est blessé
Qu'un père tel que vous se montre intéressé :
Son amour doit se taire où toute excuse est nulle; 5
Lui-même il y prend part lorsqu'il les dissimule;
Et de sa propre gloire il fait trop peu de cas
Quand il ne punit point ce qu'il n'approuve pas.

LE VIEIL HORACE.

Il n'use pas toujours d'une rigueur extrême;
Il épargne ses fils bien souvent pour soi-même;
Sa vieillesse sur eux aime à se soutenir,

Et ne les punit point de peur de se punir.

Je te vois d'un autre œil que tu ne te regardes;

Je sais.... Mais le roi vient, je vois entrer ses gardes.

SCENE I I.

TULLE, VALERE, LE VIEIL HORACE, HORACE, TROUPE DE GARDES.

LE VIEIL HORACE.

AH! sire, un tel honneur a trop d'excès pour moi;
Ce n'est point en ce lieu que je dois voir mon roi :
Permettez qu'à genoux....

TULLE.

Non, levez-vous, mon père.

Je fais ce qu'en ma place un bon prince doit faire.

P. Corneille. 1.

14

Un si rare service et si fort important I

Veut l'honneur le plus rare et le plus éclatant.
(montrant Valère.)

Vous en aviez déjà sa parole pour gage;
Je ne l'ai pas voulu differer davantage.

J'ai su par son rapport, et je n'en doute pas,
Comme de vos deux fils vous portez le trépas,
Et que, déjà votre ame étant trop résolue,
Ma consolation vous seroit superflue:
Mais je viens de savoir quel étrange malheur
D'un fils victorieux a suivi la valeur,

Et que son trop d'amour pour la cause publique
Par ses mains à son père ôte une fille unique.
Ce coup est un peu rude à l'esprit le plus fort;
Et je doute comment vous portez cette mort.

LE VIEIL HORACE.

Sire, avec déplaisir, mais avec patience.

TULLE.

C'est l'effet vertueux de votre expérience.

3

Beaucoup par un long âge ont appris comme vous
Que le malheur succède au bonheur le plus doux:
Peu savent comme vous s'appliquer ce remède,
Et dans leur intérêt toute leur vertu cède.
Si vous pouvez trouver dans ma compassion
Quelque soulagement pour votre affliction,
Ainsi que votre mal sachez qu'elle est extrême,
Et que je vous en plains autant que je vous aime.

VALÈRE.

Sire, puisque le ciel entre les mains des rois 4
Dépose sa justice et la force des lois,

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