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dire sans cesse : La belle chose! Vous avez peur néanmoins d'être de ceux qui sont accablés par la majesté des sujets qu'ils traitent, et ne pensez pas avoir apporté assez de force pour soutenir la grandeur romaine. Quoique cette modestie me plaise, elle ne me persuade pas, et je m'y oppose pour l'intérêt de la vérité. Vous êtes trop subtil examinateur d'une composition universellement approu· vée; et s'il étoit vrai qu'en quelqu'une de ses parties vous eussiez senti quelque foiblesse, ce seroit un secret entre vos muses et vous; car je vous assure que personne ne l'a reconnue. La foiblesse seroit de notre expression, et non pas de votre pensée; elle viendroit du défaut des instruments, et non pas de la faute de l'ouvrier : il faudroit en accuser l'incapacité de notre langue.

Vous nous faites voir Rome tout ce qu'elle peut être à Paris, et ne l'avez point brisée en la remuant. Ce n'est point une Rome de Cassiodore*, et aussi déchirée qu'elle l'étoit au siècle des Théodoric ; c'est une Rome de Tite-Live, et aussi pompeuse qu'elle étoit au temps des premiers Césars. Vous avez même trouvé ce qu'elle avoit perdu dans les ruines de la république, cette noble et magnanime fierté; et il se voit bien quelques passables traducteurs de ses paroles et de ses locutions, mais vous êtes le vrai et le fidèle interprète de son esprit et

* Pourquoi parler de Théodoric et de Cassiodore quand il s'agit d'Auguste?

de son courage. Je dis plus, monsieur; vous êtes souvent son pédagogue, et l'avertissez de la bienséance quand elle ne s'en souvient pas. Vous êtes le réformateur du vieux temps, s'il a besoin d'embellissement ou d'appui. Aux endroits où Rome est de brique, vous la rebâtissez de marbre; quand vous trouvez du vide, vous le remplissez d'un chef-d'œuvre; et je prends garde que ce que vous prêtez à l'histoire est toujours meilleur que ce que vous empruntez d'elle.

La femme d'Horace et la maîtresse de Cinna, qui sont vos deux véritables enfantements et les deux pures créatures de votre esprit, ne sont-elles pas aussi les principaux ornements de vos deux poëmes? Et qu'est-ce que la sainte antiquité a produit de vigoureux et de ferme dans le sexe foible, qui soit comparable à ces nouvelles héroïnes que vous avez mises au monde, à ces Romaines de votre façon ? Je ne m'ennuie point, depuis quinze jours, de considérer celle que j'ai reçue la dernière.

:

Je l'ai fait admirer à tous les habiles de notre province nos orateurs et nos poëtes en disent merveilles mais un docteur de mes voisins, qui se met d'ordinaire sur le haut style, en parle certes d'une étrange sorte; et il n'y a point de mal que vous sachiez jusqu'où vous avez porté son esprit. Il se contentoit le premier jour de dire que votre Émilie étoit la rivale de Caton et de Brutus dans la passion de la liberté. A cette heure, il va

bien plus loin; tantôt il la nomme la possédée du démon de la république, et quelquefois la belle, la raisonnable, la sainte*, et l'adorable furie. Voilà d'étranges paroles sur le sujet de votre Romaine; mais elles ne sont pas sans fondement.' Elie inspire, en effet, toute la conjuration, et donne chaleur au parti par le feu qu'elle jette dans l'ame du chef; elle entreprend, en se vengeant **, **, de venger toute la terre; elle veut sacrihier à son père une victime qui seroit trop grande pour Jupiter même. C'est, à mon gré, une personne si excellente, que je pense dire peu à son avantage, de dire que vous êtes beaucoup plus heureux en votre race que Pompée n'a été en la sienne, et que votre fille Émilie vaut, sans comparaison, davantage que Cinna son petit-fils. Si celui-ci même a plus de vertu que n'a cru Sénèque, c'est pour être tombé entre vos mains, et à cause que vous avez pris soin de lui. Il vous est obligé de son mérite, comme à Auguste de sa dignité! l'empereur le fit consul, et vous l'avez fait hon: nète homme ***. Mais vous l'avez ри faire par

les

* Voilà une plaisante épithète que celle de SAINTE, donnée par ce docteur à Émilie.

** Il paraît qu'en effet Emilie était regardée comme le premier personnage de la pièce, et que dans les commencements on n'imaginait pas que l'intérêt pât tomber sur Auguste.

*** C'est donc Cinna qu'on regardait comme l'honnête

lois d'un art qui polit et orne la vérité, qui permet de favoriser en imitant; qui quelquefois se propose le semblable, et quelquefois le meilleur. J'en dirois trop si j'en disois davantage. Je ne veux pas commencer une dissertation; je veux finir une lettre, et conclure par les protestations ordinaires, mais très sincères et très véritables, que je suis,

MONSIEUR,

votre très humble serviteur, BALZAC

homme de la pièce, parcequ'il avait voulu venger la liberté publique. En ce cas il fallait qu'on ne regardât la clémence d'Auguste que comme un trait de politique conseillé par Livie.

Dans les premiers mouvements des esprits émus par un poëme tel que Cinna, on est frappé et ébloui de la beauté des détails; on est long-temps sans former un jugement précis sur le fond de l'ouvrage.

PERSONNAGES.

OCTAVE-CÉSAR-AUGUSTE, empereur de

Rome.

LIVIE, impératrice.

CINNA, fils d'une fille de Pompée, chef de la conjuration contre Auguste.

MAXIME, autre chef de la conjuration.
ÉMILIE, fille de C. Toranius, tuteur d'Auguste,
et proscrit par lui durant le triumvirat.
FULVIE, confidente d'Émilie.
POLYCLÈTE, affranchi d'Auguste.
ÉVANDRE, affranchi de Cinna.
EUPHORBE, affranchi de Maxime.

La scène est à Rome.

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