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Dans sa possession j'ai trouvé pour tous charmes
D'effroyables soucis, d'éternelles alarmes,

Mille ennemis secrets, la mort à tous propos, 5
Point de plaisir sans trouble, et jamais de repos. 6
Sylla m'a précédé dans ce pouvoir suprême;
Le grand César mon père en a joui de même.
D'un œil si différent tous deux l'ont regardé,
Que l'un s'en est démis, et l'autre l'a gardé:
Mais l'un, cruel, barbare, est mort aimé, tranquille,
Comme un bon citoyen dans le sein de sa ville;
L'autre, tout débonnaire, au milieu du sénat
A vu trancher ses jours par un assassinat.
Ces exemples récents suffiroient pour m'instruire,
Si par l'exemple seul on se devoit conduire;
L'un m'invite à le suivre, et l'autre me fait peur.
Mais l'exemple souvent n'est qu'un miroir trompeur;
Et l'ordre du destin qui gêne nos pensées 7
N'est pas toujours écrit dans les choses passées:
Quelquefois l'un se brise où l'autre s'est sauvé,
Et par où l'un périt un autre est conservé.

Voilà, mes chers amis, ce qui me inet en peine.
Vous, qui me tenez lieu d'Agrippe et de Mécène, 8
Pour résoudre ce point avec eux débattu,
Prenez sur mon esprit le pouvoir qu'ils ont eu:
Ne considérez point cette grandeur suprême,
Odieuse aux Romains, et pesante à moi-même;
Traitez-moi comme ami, non comme souverain;
Rome, Auguste, l'état, tout est en votre main:
Vous mettrez et l'Europe, et l'Asie, et l'Afrique,
Sous les lois d'un monarque, ou d'une république;
Votre avis est ma règle, et par ce seul moyen
Je veux être empereur, ou simple citoyen.

CINNA.

Malgré notre surprise, et mon insuffisance, 9
Je vous obéirai, seigneur, sans complaisance,
Et mets bas le respect qui pourroit m'empêcher
De combattre un avis où vous semblez pencher}
Souffrez-le d'un esprit jaloux de votre gloire
Que vous allez souiller d'une tache trop noire,
Si vous ouvrez votre ame à ces impressions
Jusques à condamner toutes vos actions.

On ne renonce point aux grandeurs légitimes;
On garde sans remords ce qu'on acquiert sans crimes;
Et plus le bien qu'on quitte est noble, grand, exquis,
Plus qui l'ose quitter le juge mal acquis

N'imprimez pas, seigneur, cette honteuse marque
A ces rares vertus qui vous ont fait monarque;
Vous l'êtes justement, et c'est sans attentat
Que vous avez changé la forme de l'état.

Rome est dessous vos lois par le droit de la guerre, 10
Qui sous les lois de Rome a mis toute la terre;
Vos armes l'ont conquise, et tous les conquérants
Pour être usurpateurs ne sont pas des tyrans;
Quand ils ont sous leurs lois asservi des provinces,
Gouvernant justement ils s'en font justes princes.
C'est ce que fit César; il vous faut aujourd'hui "
Condamner sa mémoire, ou faire comme lui.
Si le pouvoir suprême est blâmé par Auguste,
César fut un tyran, et son trépas fut juste,
Et vous devez aux dieux compte de tout le sang 12
Dont vous l'avez vengé pour monter à son rang.
N'en craignez point, seigneur, les tristes destinées; 13
Un plus puissant démon veille sur vos années :

P. Corneille. 1.

18

On a dix fois sur vous attenté sans effet, 14
Et qui l'a voulu perdre au même instant l'a fait.
On entreprend assez, mais aucun n'exécute
Il est des assassins, mais il n'est plus de Brute:
Enfin, s'il faut attendre un semblable revers,
Il est beau de mourir maître de l'univers.
C'est ce qu'en peu de mots j'ose dire; et j'estime
Que ce peu que j'ai dit est l'avis de Maxime.

MAXIME.

Oui, j'accorde qu'Auguste a droit de conserver
L'empire où sa vertu l'a fait seule arriver,
Et qu'au prix de son sang, au péril de sa tête,
Il a fait de l'état une juste conquête.

Mais que, sans se noircir, il ne puisse quitter
Le fardeau que sa main est lasse de porter,
Qu'il accuse par là César de tyrannie,
Qu'il approuve sa mort, c'est ce que je dénie.

Rome est à vous, seigneur, l'empire est votre bien. Chacun en liberté peut disposer du sien;

Il le peut à son choix garder, ou s'en défaire.

Vous seul ne pourriez pas ce que peut le vulgaire !
Et seriez devenu, pour avoir tout donité,
Esclave des grandeurs où vous êtes monté !

Possédez-les, seigneur, sans qu'elles vous possèdent;
Loin de vous captiver, souffrez qu'elles vous cèdent;
Et faites hautement connoître enfin à tous
Que tout ce qu'elles ont est au-dessous de vous.
Votre Rome autrefois vous donna la naissance;
Vous lui voulez donner votre toute-puissance;
Et Cinna vous impute à crime capital 16
La libéralité vers le pays natal !

15

Il appelle remords l'amour de la patrie!

Par la haute vertu la gloire est donc flétrie,

Et ce n'est qu'un objet digne de nos mépris, 17
Si de ses pleins effets l'infamie est le prix.

18

Je veux bien avouer qu'une action si belle
Donne à Rome bien plus que vous ne tenez d'elle:
Mais commet-on un crime indigne de pardon,
Quand la reconnoissance est au-dessus du don?
Suivez, suivez, seigneur, le ciel qui vous inspire:
Votre gloire redouble à mépriser l'empire;
Et vous serez fameux chez la postérité,

Moins pour l'avoir conquis que pour l'avoir quitté.
Le bonheur peut conduire à la grandeur suprême :
Mais pour y renoncer il faut la vertu même ;
Et peu de généreux vont jusqu'à dédaigner, 19
Après un sceptre acquis, la douceur de régner.

Considérez d'ailleurs que vous régnez dans Rome, Où, de quelque façon que votre cour vous nomme, On hait la monarchie, et le nom d'empereur, Cachant celui de roi, ne fait pas moins d'horreur. Il passe pour tyran quiconque s'y fait maître; Qui le sert, pour esclave; et qui l'aime, pour traître: 21 Qui le souffre a le coeur lâche, mol, abattu; 22

Et pour s'en affranchir tout s'appelle vertu.

20

Vous en avez, seigneur, des preuves trop certaines :
On a fait contre vous dix entreprises vaines;
Peut-être que l'onzième est prête d'éclater,
Et que ce mouvement qui vous vient d'agiter
N'est qu'un avis secret que le ciel vous envoie,
Qui pour vous conserver n'a plus que cette voie.
Ne vous exposez plus à ces fameux revers:
Il est beau de mourir maître de l'univers;

Mais la plus belle mort souille notre mémoire,
Quand nous avons pu vivre et croître notre gloire.

CINNA.

Si l'amour du pays doit ici prévaloir,

C'est son bien seulement que vous devez vouloir;
Et cette liberté, qui lui semble si chère,
N'est pour Rome, seigneur, qu'un bien imaginaire,
Plus nuisible qu'utile, et qui n'approche pas
De celui qu'un bon prince apporte à ses états.
Avec ordre et raison les honneurs il dispense,
Avec discernement punit et récompense,
Et dispose de tout en juste possesseur,

Sans rien précipiter, de peur d'un successeur:

Mais quand le peuple est maître, on n'agit qu'en tumulte;
La voix de la raison jamais ne se consulte;

Les honneurs sont vendus aux plus ambitieux,
L'autorité livrée aux plus séditieux.

Ces petits souverains qu'il fait pour une année,
Voyant d'un temps si court leur puissance bornée,
Des plus heureux desseins font avorter le fruit,
De peur de le laisser à celui qui les suit;

Comme ils ont peu de part au bien dont ils ordonnent,
Dans le champ du public largement ils moissonnent, 23
Assurés que chacun leur pardonne aisément,

Espérant à son tour un pareil traitement.
Le pire des états, c'est l'état populaire. 24

AUGUSTE.

Et toutefois le seul qui dans Rome peut plaire:
Cette haine des rois que depuis cinq cents ans
Avec le premier lait sucent tous ses enfants,

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