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Et, malgré les frayeurs à leurs regrets mêlées,
Il tâche à raffermir leurs ames ébranlées.

AUGUSTE.

Lui seul les encourage, et lui seul les séduit!
O le plus déloyal que la terre ait produit!
O trahison conçue au sein d'une furie!
O trop sensible coup d'une main si chérie !
Cinna, tu me trahis!... Polyclète, écoutez.
(Il lui parle à l'oreille.
POLYCLÈTE.

Tous vos ordres, seigneur, seront exécutés.

AUGUSTE.

Qu'Éraste en même temps aille dire à Maxime
Qu'il vienne recevoir le pardon de son crime.

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SCÈNE II.

AUGUSTE, EUPHORBE.

EUPHORBE.

Il l'a jugé trop grand pour ne pas s'en punir.
A peine du palais il a pu revenir,

Que, les yeux égarés, et le regard farouche,

Le cœur gros de soupirs, les sanglots à la bouche,
Il déteste sa vie, et ce complot maudit,

M'en apprend l'ordre entier tel que je vous l'ai dit;
Et m'ayant commandé que je vous avertisse,
Il ajoute : « Dis-lui que je me fais justice,
Que je n'ignore point ce que j'ai mérité. »
Puis soudain dans le Tibre il s'est précipité;
Et l'eau grosse et rapide, et la nuit assez noire,
M'ont dérobé la fin de sa tragique histoire.

AUGUSTE.

Sous ce pressant remords il a trop succombé,
Et s'est à mes bontés lui-même dérobé;

Il n'est crime envers moi qu'un repentir n'efface:
Mais puisqu'il a voulu renoncer à ma grace,
Allez pourvoir au reste, et faites qu'on ait soin
De tenir en lieu sûr ce fidèle témoin.

SCÈNE III.

AUGUSTE.

CIEL, à qui voulez-vous désormais que je fie
Les secrets de mon ame et le soin de ma vie?
Reprenez le pouvoir que vous m'avez commis,
Si donnant des sujets il ôte les amis,

Si tel est le destin des grandeurs souveraines

Que leurs plus grands bienfaits n'attirent que des haines, Et si votre rigueur les condamne à chérir

Ceux que vous animez à les faire périr.

Pour elles rien n'est sûr; qui peut tout doit tout craindre.
Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre.
Quoi! tu veux qu'on t'épargne, et n'as rien épargné!
Songe aux fleuves de sang où ton bras s'est baigné, 2
De combien ont rougi les champs de Macédoine,
Combien en a versé la défaite d'Antoine,
Combien celle de Sexte; et revois tout d'un temps
Pérouse au sien noyée, et tous ses habitants;
Remets dans ton esprit, après tant de carnages,
De tes proscriptions les sanglantes images,
Où toi-même, des tiens devenu le bourreau,
Au sein de ton tuteur enfonças le couteau:

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Et puis ose accuser le destin d'injustice

Quand tu vois que les tiens s'arment pour ton supplice,

Et que, par ton exemple à ta perte guidés,

Ils violent des droits que tu n'as pas gardés!
Leur trahison est juste, et le ciel l'autorise:
Quitté ta dignité comme tu l'as acquise;
Rends un sang infidèle à l'infidélité, 3
Et souffre des ingrats après l'avoir été.

Mais que mon jugement au besoin m'abandonne!
Quelle fureur, Cinna, m'accuse et te pardonne,
Toi, dont la trahison me force à retenir

Ce pouvoir souverain dont tu me veux punir,
Me traite en criminel, et fait seule mon crime,
Relève pour l'abattre un trône illégitime,
Et, d'un zèle effronté couvrant son attentat,
S'oppose, pour me perdre, au bonheur de l'état ?
Donc jusqu'à l'oublier je pourrois me contraindre!
Tu vivrois en repos après m'avoir fait craindre!
Non, non, je me trahis moi-même d'y penser:
Qui pardonne aisément invite à l'offenser.

Punissons l'assassin, proscrivons les complices.

Mais quoi! toujours du sang, et toujours des supplices! Ma cruauté se lasse, et ne peut s'arrêter;

Je veux me faire craindre, et ne fais qu'irriter.

Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile;
Une tête coupée en fait renaître mille;

Et le sang répandu de mille conjurés

Rend mes jours plus maudits, et non plus assurés.
Octave, n'attends plus le coup d'un nouveau Brute:
Meurs, et dérobe-lui la gloire de ta chute:

Meurs; tu ferois pour vivre un lâche et vain effort

Si tant de gens de cœur font des vœux pour ta mort,

Et si tout ce que Rome a d'illustre jeunesse
Pour te faire périr tour à tour s'intéresse :

Meurs, puisque c'est un mal que tu ne peux guérir:
Meurs enfin, puisqu'il faut ou tout perdre, ou mourir ;
La vie est peu de chose, et le peu qui t'en reste 4
Ne vaut pas l'acheter par un prix si funeste:
Meurs; mais quitte du moins la vie avec éclat,
Éteins-en le flambeau dans le sang de l'ingrat;
A toi-même en mourant immole ce perfide;
Contentant ses désirs, punis son parricide;
Fais un tourment pour lui de ton propre trépas,
En faisant qu'il le voie et n'en jouisse pas.
Mais jouissons plutôt nous-mêmes de sa peine;
Et si Rome nous hait, triomphons de sa haine.

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O Romains! ê vengeance! ô pouvoir absolu ! O rigoureux combat d'un cœur irrésolu

Qui fuit en même temps tout ce qu'il se propose I D'un prince malheureux ordonnez quelque chose. Qui des deux dois-je suivre, et duquel m'éloigner ? ← Ou laissez-moi périr, ou laissez-moi régner.

SCÈNE IV.

AUGUSTE, LIVIE.

AUGUSTE.

MADAME, on me trahit, et la main qui me tue
Rend sous mes déplaisirs ma constance abattue.
Cinna, Cinna le traître....

LIVIE.

Euphorbe m'a tout dit,

Seigneur, et j'ai pâli cent fois à ce récit.

Mais écouteriez-vous les conseils d'une femme?

AUGUSTE.

Hélas! de quel conseil est capable mon ame?

LIVIE.

Votre sévérité, sans produire aucun fruit,
Seigneur, jusqu'à présent a fait beaucoup de bruit.
Par les peines d'un autre aucun ne s'intimide :
Salvidien à bas a soulevé Lépide;

Murène a succédé, Cépion l'a suivi ;

Le jour à tous les deux dans les tourments ravi
N'a point mêlé de crainte à la fureur d'Égnace,
Dont Cinna maintenant ose prendre la place;
Et dans les plus bas rangs les noms les plus abjets
Ont voulu s'ennoblir par de si hauts projets,
Après avoir en vain puni leur insolence,
Essayez sur Cinna ce que peut la clémence;
Faites son châtiment de sa confusion.
Cherchez le plus utile en cette occasion:
Sa peine peut aigrir une ville animée;
Son pardon peut servir à votre renommée;
Et ceux que vos rigueurs ne font qu'effaroucher
Peut-être à vos bontés se laisseront toucher.

AUGUSTE.

Gagnons-les tout-à-fait en quittant cet empire
Qui nous rend odieux, contre qui l'on conspire.
J'ai trop par vos avis, consulté là-dessus;
Ne m'en parlez jamais, je ne consulte plus.

Cesse de soupirer, Rome, pour ta franchise;
Si je t'ai mise aux fers, moi-inême je les brise,
Et te rends ton état, après l'avoir conquis,
Plus paisible et plus grand que je ne te l'ai pris :

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