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Si tu me veux haïr, hais-moi sans plus rien feindre; Si tu me veux aimer, aime-moi sans me craindre: De tout ce qu'eut Sylla de puissance et d'honneur Lassé comme il en fut, j'aspire à son bonheur.

LIVIE.

Assez et trop long-temps son exemple vous flatte; 3
Mais gardez que sur vous le contraire n'éclate :
Ce bonheur sans pareil qui conserva ses jours
Ne seroit pas bonheur s'il arrivoit toujours.

AUGUSTE.

Eh bien, s'il est trop grand, si j'ai tort d'y prétendre,
J'abandonne mon sang à qui voudra l'épandre.
Après un long orage il faut trouver un port;
Et je n'en vois que deux, le repos, ou la mort.

LIVIE.

Quoi! vous voulez quitter le fruit de tant de peines ?

AUGUSTE.

Quoi! vous voulez garder l'objet de tant de haines?

LIVIE.

Seigneur, vous emporter à cette extrémité,
C'est plutôt désespoir que générosité.

AUGUSTE.

Régner, et caresser une main si traîtresse,

Au lieu de sa vertu c'est montrer sa foiblesse.

LIVIE.

C'est réguer sur vous-même, et, par un uoble choix, Pratiquer la vertu la plus digne des rois.

AUGUSTE.

Vous m'aviez bien promis des conseils d'une femme ; 4 Vous me tenez parole, et c'en sont là, madame.

Après tant d'ennemis à mes pieds abattus,
Depuis vingt ans je règne, et j'en sais les vertus; 5
Je sais leur divers ordre, et de quelle nature
Sont les devoirs d'un prince en cette conjoncture:
Tout son peuple est blessé par un tel attentat,
Et la seule pensée est un crime d'état,
Une offense qu'on fait à toute sa province, 6
Dont il faut qu'il la venge, ou cesse d'être prince.

LIVIE.

Donnez moins de croyance à votre passion.

AUGUSTE.

Ayez moins de foiblesse, ou moins d'ambition.

LIVIE.

Ne traitez plus si mal un conseil salutaire.

AUGUSTE.

Le ciel m'inspirera ce qu'ici je dois faire.
Adieu nous perdons temps.

LIVIE.

Je ne vous quitte point,

Seigneur, que mon amour n'ait obtenu ce point. 7.

AUGUSTE.

C'est l'amour des grandeurs qui vous rend importune.

LIVIE.

J'aime votre personne, et non votre fortune.

(seule,)

Il m'échappe; suivons, et forçons-le de voir

Qu'il peut, en faisant grace, affermir son pouvoir,
Et qu'enfin la clémence est la plus belle marque
Qui fasse à l'univers connoître un vrai monarque:

SCÈNE V."

ÉMILIE, FULVIE.

ÉMILIE.

D'où me vient cette joie? et que mal-à-propos
Mon esprit malgré moi goûte un entier repos !
César mande Cinna sans me donner d'alarmes !
Mon cœur est sans soupirs, mes yeux n'ont point de larmes,
Comme si j'apprenois d'un secret mouvement
Que tout doit succéder à mon contentement!
Ai-je bien entendu ? me l'as-tu dit, Fulvie?

FULVIE.

J'avois gagné sur lui qu'il aimeroit la vie,

Et je vous l'amenois, plus traitable et plus doux, 3
Faire un second effort contre votre courroux;
Je m'en applaudissois, quand soudain Polyclète,
Des volontés d'Auguste ordinaire interprète,
Est venu l'aborder et sans suite et sans bruit,
Et de sa part sur l'heure au palais l'a conduit.
Auguste est fort troublé, l'on ignore la cause;
Chacun diversement soupçonne quelque chose;
Tous présument qu'il ait un grand sujet d'ennui,
Et qu'il mande Cinna pour prendre avis de ki.
Mais ce qui m'embarrasse, et que je viens d'apprendre,
C'est que
deux inconnus se sont saisis d'Évandre,
Qu'Euphorbe est arrêté sans qu'on sache pourquoi,
Que même de son maître on dit je ne sais quoi :
On lui veut imputer un désespoir funeste;
On parle d'eaux, de Tibre, et l'on se tait du reste. 7

P. Corucille I.

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.

ÉMILIE.

Que de sujets de craindre et de désespérer,
Sans que mon triste coeur en daigne murmuler!
A chaque occasion le ciel y fait descendre
Un sentiment contraire à celui qu'il doit prendre :
Une vaine frayeur tantôt m'a pu troubler;
Et je suis insensible alors qu'il faut trembler!

Je vous entends, grands dieux; vos bontés que j'adore
Ne peuvent consentir que je me déshonore,
Et ne me permettant soupirs, sanglots, ni pleurs,
Soutiennent ma vertu contre de tels mallicurs :
Vous voulez que je meure avec ce grand courage
Qui m'a fait entreprendre un si fameux ouvrage;
Et je veux bien périr comme vous l'ordonnez, 9
Et dans la même assiette où vous me retenez.

O liberté de Rome ! ô mânes de mon père !
J'ai fait de mon côté tout ce que j'ai pu faire :
Contre votre tyran j'ai ligué ses amis,
Ft plus osé pour vous qu'il ne m'étoit permis:
Si l'effet a manqué, ma gloire n'est pas moindre;
N'ayant pu vous venger, je vous irai rejoindre,
Mais si fumante encor d'un généreux courroux,
Par un trépas si noble et si digne de vous,

Qu'il vous fera sui l'heure aisément reconnoître

Le sang des grands héros dont vous m'avez fait naître.

SCÈNE VI.

MAXIME, ÉMILIE, FULVIE.

ÉMILIE.

MAIS je vous vois, Maxime, et l'on vous faisoit mort!!

MAXIME.

Euphorbe trompe Auguste avec ce faux rapport;
Se voyant arrêté, la trame découverte,

Il a feint ce trépas pour empêcher ma perte.

Que dit-on de Cinna?

ÉMILIE.

MAXIME.

Que son plus grand regret,

C'est de voir que César sait tout votre secrèt :
En vain il le dénie et le veut méconnoître.
Évandre a tout conté pour excuser son maître;
Et par l'ordre d'Auguste on vient vous arrêter.
ÉMILIE.

Celui qui l'a reçu tarde à l'exécuter;

Je suis prête à le suivre et lasse de l'attendre

MAXIME.

Il vous attend chez moi.

ÉMILIE.

Chez vous!

MAXIME.

C'est vous surprendre:

Mais apprenez le soin que le ciel de vous;
C'est un des conjurés qui va fuir avec nous.

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