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D. RODRIGUE.

Adieu; je vais traîner une mourante vie,
Tant que par ta poursuite elle me soit ravie.
CHIMÈNE.

Si j'en obtiens l'effet, je t'engage ma foi
De ne respirer pas un moment après toi.
Adieu; sors,

et surtout garde bien qu'on te voic.

ELVIRE.

Madame, quelques maux que le ciel nous envoie....

CHIMÈNE.

Ne m'importune plus, laisse-moi soupirer.
Je cherche le silence et la nuit pour pleurer.

SCÈNE V.*

D. DIEGU E.

JAMAIS nous ne goûtons de parfaite alégresse :
Nos plus heureux succès sont mêlés de tristesse ;

*Quoique chez les étrangers, pour qui principalement ces remarques sont faites, on ne soit pas encore parvenu à l'art de lier toutes les scènes, cependant y a-t-il un lecteur qui ne soit choqué de voir Chimène s'en aller d'un côté, Rodrigue de l'autre, et don Diègue arriver sans les voir?

Observez que quand le cœur a été ému par les passions des deux premiers personnages, et qu'un troisième vient parler de lui-même, il touche peu, surtout quand il rompt le fil du discours.

Nous venons d'entendre Chimène dans sa maison: mais où est maintenant don Digue? Ce n'est pas assurément dans cette maison. Le spectateur ne peut se

P. Corneille. I.

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Toujours quelques soucis en ces évènements
Troublent la pureté de nos contentements.
Au milieu du bonheur mon ame en sent l'atteinte;
Je nage dans la joie, et je tremble de crainte.
J'ai vu mort l'ennemi qui m'avoit outragé;
Et je ne saurois voir la main qui m'a vengé.
En vain je m'y travaille, et d'un soin inutile,
Tout cassé que je suis, je cours toute la ville:
Ce peu que mes vieux ans m'ont laissé de vigueur
Se consume sans fruit à chercher ce vainqueur.

A toute heure, en tous lieux, dans une nuit si sombre,
Je pense l'embrasser, et n'embrasse qu'une ombre ;
Et mon amour, déçu par cet objet trompeur,
Se forme des soupçons qui redoublent ma peur.
Je ne découvre point de marques de sa fuite;
Je crains du comte mort les amis et la suite;
Leur nombre m'épouvante et confond ma raison.
Rodrigue ne vit plus, ou respire en prison.
Justes cieux ! me trompé-je encore à l'apparence,
Ou si je vois enfin mon unique espérance?
C'est lui, n'en doutons plus; mes vœux sont exaucés ;
Ma crainte est dissipée, et mes ennuis cessés.

figurer ce qu'il voit; et c'est là un très grand défaut pour notre nation, qui veut partout de la vraisemblance, da la suite, de la liaison, qui exige que toutes les scènes soient naturellenient amenées les unes par les autres; mérite inconnu sur tous les autres théâtres, et mérite absolument nécessaire pour la perfection de l'art.

SCÈNE VI.

D. DIÈGUE, D. RODRIGUE.

D. DIÈGUE.

RODRIGUE, enfin le ciel permet que je te voie!

D. RODRIGUE.

Hélas!

D. DIÈGUE.

Ne mêle point de soupirs à ma joie ;
Laisse-moi prendre haleine afin de te louer.
Ma valeur n'a point lieu de te désavouer;
Tu l'as bien imitée, et ton illustre audace
Fait bien revivre en toi les héros de ma race;

C'est d'eux que tu descends, c'est de moi que tu viens?
Ton premier coup d'épée égale tous les miens;
Et d'une belle ardeur ta jeunesse animée
Par cette grande épreuve atteint ma renommée.
Appui de ma vieillesse, et comble de mon heur,
Touche ces cheveux blancs à qui tu rends l'honneur ;
Viens baiser cette joue, et reconnois la place
Où fut jadis l'affront que ton courage efface.

D. RODRIGUE.

L'honneur vous en est dû, les cieux me sont témoins
Qu'étant sorti de vous je ne pouvois pas moins.
Je me tiens trop heureux, et mon ame est ravie
Que mon coup d'essai plaise à qui je dois la vie :
Mais parmi vos plaisirs ne soyez point jaloux
Si je m'ose, à mon tour, satisfaire après vous;
Souffrez qu'en liberté mon désespoir éclate;
Assez et trop long-temps votre discours le flatte.

Je ne me repens point de vous avoir servi;

Mais rendez-moi le bien que ce coup m'a ravi.

Mon bras, pour, vous venger armé contre ma flamme,
Par ce coup glorieux m'a privé de mon ame.

Ne me dites plus rien pour vous j'ai tout perdu;
Ce que je vous devois, je vous l'ai bien rendu.
D. DIE GUE.

Porte encore plus haut le fruit de ta victoire.
Je t'ai donné la vie, et tu me rends ma gloire;
Et d'autant que l'honneur m'est plus cher que le jour,
D'autant plus maintenant je te dois de retour.

Mais d'un cœur magnanime éloigne ces foiblesses;
Nous n'avons qu'un honneur, il est tant de maîtresses!
L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir.

D. RODRIGUE.

Ah ! que me dites-vous ?

D. DIÈGUE.

Ce que tu dois savoir.

D. RODRIGUE.

Mon honneur offensé sur moi-même se venge;
Et vous m'osez pousser à la honte du change!
L'infamie est pareille, et suit également
Le guerrier sans courage, et le perfide amant.
A ma fidélité ne faites point d'injure;
Souffrez-moi généreux sans me rendre parjure;
Mes liens sont trop forts pour être ainsi rompus;
Ma foi m'engage encor si je n'espère plus ;
Et, ne pouvant quitter ni posséder Chimène,
Le trépas que je cherche est ma plus douce peine..
D. DIÈGUE.

Il n'est pas temps encor de chercher le trépas;
Ton prince et ton pays ont besoin de ton bras.

La flotte qu'on craignoit, dans le grand fleuve entrée,
Vient surprendre la ville, et piller la contrée.
Les Maures vont descendre, et le flux et la nuit
Dans une heure à nos murs les amènent sans bruit.
La cour est en désordre, et le peuple en alarmes;
On n'entend que des cris, on ne voit que des larmes.
Dans ce malheur public mon bonheur a permis
Que j'ai trouvé chez moi cinq cents de mes amis,
Qui, sachant mon affront, poussés d'un même zèle,
Se venoient tous offrir à venger ma querelle.
Tu les as prévenus; mais leurs vaillantes mains
Se tremperont bien mieux au sang des Africains.
Va marcher à leur tête où l'honneur te demande;
C'est toi que veut pour chef leur généreuse bande.
De ces vieux ennemis va soutenir l'abord;
Là, si tu veux mourir, trouve une belle mort;
Prends-en l'occasion, puisqu'elle t'est offerte;
Fais devoir à ton roi son salut à ta perte.
Mais reviens-en plutôt les palmes sur le front:
Ne borne pas ta gloire à venger un affront,
Porte-la plus avant; force par ta vaillance
Le monarque au pardon, et Chimène au silence;
Si tu l'aimes, apprends que revenir vainqueur
C'est l'unique moyen de regagner son cœur.
Mais le temps est trop cher pour le perdre en paroles;
Je t'arrête en discours, et je veux que tu voles.
Viens, suis-moi; va combattre, et montrer à ton roi
Que ce qu'il perd au comte il le recouvre en toi.

FIN DU TROISIÈME ACTE.

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