페이지 이미지
PDF
ePub

mais il ne laissa pas de faire voir ce qu'il pouvoit par lui-même 1.

Ensuite il retomba dans la comédie; et, si j'ose dire ce que j'en pense, la chute fut grande. L'Illusion comique, dont je parle ici, est une pièce irrégulière et bizarre, et qui n'excuse point par ses agréments sa bizarrerie et son irrégularité. Il y domine un personnage de Capitan, qui abat d'un souffle le grand Sophi de Perse et le grand Mogol, et qui une fois en sa vie avoit empêché le soleil de se lever à son heure prescrite, parcequ'on ne trouvoit point l'Aurore, qui étoit couchée avec ce merveilleux brave. Ces caractères ont été autrefois fort à la mode. Mais qui représentoient-ils ?, à qui en vouloit-on? Est-ce qu'il faut outrer nos folies jusqu'à ce point-là pour les rendre plaisantes? En vérité ce seroit nous faire trop d'honneur.

Après l'Illusion comique, Corneille se releva, plus grand et plus fort que jamais, et fit le Cid. Jamais pièce de théâtre n'eut un si grand succès. Je me souviens d'avoir vu en ma vie un homme de guerre et un mathématicien qui de toutes les comédies du monde ne connoissoient que le Cid. L'horrible barbarie où ils vivoient n'avoit pu empêcher le nom du Cid d'aller jusqu'à eux. Corneille avoit dans son cabinet cette pièce traduite en toutes les langues de l'Europe, hors l'esclavone

1 Les louanges trop exagérées font tort à celui qui les donne, sans relever celui qui les reçoit

et la turque; elle étoit en allemand, en anglois, en flamand; et, par une exactitude flamande, on l'avoit rendue vers pour vers 1. Elle étoit en italien, et, ce qui est plus étonnant, en espagnol. Les Espagnols avoient bien voulu copier euxmêmes une pièce dont l'original leur appartenoit. M. Pélisson, dans son Histoire de l'académie, dit qu'en plusieurs provinces de France il étoit passé en proverbe de dire, CELA EST BEAU COMME LE CID. Si ce proverbe a péri, il faut s'en prendre aux auteurs 2, qui ne le gcútoient pas, et à la cour, où c'eût été très mal parler que de s'en servir sous le ministère du cardinal de Richelieu 3.

Ce grand homme avoit la plus vaste ambition qui ait jamais été. La gloire de gouverner la France presque absolument, d'abaisser la redoutable

1 On en use encore ainsi en Italie, et même en Angleterre. Il y a de nos ouvrages de poésie traduits en ces deux langues, vers pour vers; et ce qui est étonnant, c'est qu'ils sont assez bien traduits.

? J'ose plutôt penser qu'il faut s'en prendre à Cinna, qui fut mis par toute la cour au-dessus du Cid, quoiqu'il ne fût pas si touchant.

3 Le cardinal de Richelieu montra tant de partialité contre Corneille, que quand Scudéri eut donné sa mauvaise pièce de l'Amour tyrannique, que le cardinal trouvait divine, Sarrazin, par ordre de ce ministre, fit une mauvaise préface, dans laquelle il louait Hardy, sans oser ommer Corneille.

maison d'Autriche, de remuer toute l'Europe à son gré, ne lui suffisoit point; il y vouloit joindre encore celle de faire des comédies. Quand le Cid parut, il en fut aussi alarmé que s'il avoit vu les Espagnols devant Paris. Il souleva les auteurs contre cet ouvrage, ce qui ne dut pas être fort difficile, et il se mit à leur tête. Scudéri publia ses observations sur le Cid, adressécs à l'Académie françoise, qu'il en faisoit juge, et que le cardinal son fondateur sollicitoit puissamment contre la pièce accusée. Mais afin que l'Académie pût juger, ses statuts vouloient que l'autre partie, c'est-à-dire Corneille, y consentît. On tira donc de lui une espèce de consentement, qu'il ne donna qu'à la crainte de déplaire au cardinal, et qu'il donna pourtant avec assez de fierté. Le moyen de ne pas ménager un pareil ministre, et qui étoit son bienfaiteur ? car il récompensoit comme ministre ce même mérite dont il étoit jaloux comme poëte; et il semble que cette grande ame ne pouvoit pas avoir des foiblesses qu'elle ne réparât en même temps par quelque chose de noble.

L'Académie françoise donna ses sentiments sur le Cid, et cet ouvrage fut digne de la grande répu tation de cette compagnie naissante. Elle sut conserver tous les égards qu'elle devoit et à la passion

I Pierre Corneille avait le malheur de recevoir une petite pension du cardinal, pour avoir quelque temps travaillé sous lui aux pièces des cinq auteurs.

du cardinal et à l'estime prodigieuse que le public avoit conçue du Cid. Elle satisfit le cardinal en reprenant exactement tous les défauts de cette pièce, et le public en les reprenant avec modération, et même souvent avec des louanges.

Quand Corneille eut une fois, pour ainsi dire, atteint jusqu'au Cid, il s'éleva encore dans les Horaces; enfin il alla jusqu'à Cinna et à Polyeucte, au-dessus desquels il n'y a rien 1.

On peut croire que Fontenelle parle ainsi, moins parcequ'il était neveu du grand Corneille, que parcequ'il était l'ennemi de Racine, qui avait fait contre lui une épigramme piquante, à laquelle il avait répondu par une épigramme plus violente encore. Les connaisseurs pensent qu'Athalie est très supérieure à Polyeucte, par la simplicité du sujet, par la régularité, par la grandeur des idées, par la sublimité de l'expression, par la beauté de la poésie. Il est vrai que ces connaisseurs reprochent au prêtre Joad d'être impitoyable et fanatique, de dire à sa femme, qui parle à Mathan, « Ne craignez-vous pas que ces murailles ne tombent sur vous, et que l'enfer ne vous engloutisse?» d'aller beaucoup au-delà de son ministère; d'empêcher qu'Athalie n'élève le petit Joas, qui est son seul héritier; de faire tomber la reine dans le piège; d'ordonner son supplice comme s'il était son juge; de prendre enfin le brave Abner pour dupe. On reproche à Mathan de se vanter de ses crimes: on reproche à la pièce des longueurs. Fresque tous ces défauts sont ceux du sujet : mais le grand inérite de cette tragédie est d'être la première qui ait

Ces pièces-là étoient d'une espèce inconnue, et l'on vit un nouveau théâtre. Alors Corneille, par l'etude d'Aristote et d'Horace, par son expérience, par ses réflexions, et plus encore par son génie, trouva les sources du beau, qu'il a depuis ouvertes à tout le monde dans les discours qui sont à la tête de ses comédies. De là vient qu'il est regardé comme le père du théâtre françois. Il lui a donné le premier une forme raisonnable; il l'a porté à son plus haut point de perfection, et a laissé son secret à qui s'en pourra servir.

Avant que l'on jouât Polyeucte, Corneille le lut à l'hôtel de Rambouillet, souverain tribunal des affaires d'esprit en ce temps-là. La pièce y fut applaudie autant que le demandoient la bienséance et la grande réputation que l'auteur avoit déjà. Mais, quelques jours après, Voiture vint trouver Corneille, et prit des tours fort délicats pour lui dire que Polyeucte n'avoit pas réussi comme il pensoit I , que surtout le christianisme avoit

intéressé sans amour; au lieu que, dans Polyeucte, le plus grand mérite est l'amour de Sévère.

I C'est qu'on n'avait encore vu que les comédies de la Passion et des Actes des Apôtres. D'ailleurs il faut peutêtre pardonner à l'hôtel de Rambouillet d'avoir condamné l'imprudence punissable de Polyeucte et de Néarque, qui exercent dans le temple une violence que Dieu n'a jamais commandée. On pouvait craindre encore qu'un homme qui résigne sa femme à son rival ne passât pour

« 이전계속 »