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consistait une grande partie de l'intérêt de la pièce. L'authenticité de l'histoire rendait tolérable aux spectateurs un dénouement qu'il n'aurait pas été peut-être permis de feindre; et l'amour de Chimène, qui eût été odieux s'il n'avait commencé qu'après la mort de son père, devenait aussi touchant qu'excusable, puisqu'elle aimait déjà Rodrigue avant cette mort, et par l'ordre de son père même.

On ne connaissait point encore, avant le Cid de Corneille, ce combat des passions qui déchire le cœur, et devant lequel toutes les autres beautés de l'art ne sont que des beautés inanimées. On sait quel succès eut le Cid, et quel enthousiasme il produisit dans la nation : on sait aussi les contradictions et les dégoûts qu'essuya Corneille.

Il était, comme on sait, un des cinq auteurs qui travaillaient aux pièces du cardinal de Richelieu. Ces cinq auteurs étaient Rotrou, l'Étoile, Colletet, Boisrobert, et Corneille, admis le dernier dans cette société. Il n'avait trouvé d'amitié et d'estime que dans Rotrou, qui sentait son mérite : les autres n'en avaient pas assez pour lui rendre justice. Scudéri écrivait contre lui avec le fiel de la jalousie humiliée et avec le ton de la supériorité. Un Claveret, qui avait fait une comédie intitulée la Place royale, sur le même sujet qué Corneille, se répandit en invectives grossières. Mairet luimême s'avilit jusqu'à écrire contre Corneille avec la même amertume. Mais ce qui l'affligea, et ce qui pouvait priver la France des chefs-d'œuvre dont

il l'enrichit depuis, ce fut de voir le cardinal son protecteur se mettre avec chaleur à la tête de tous ses ennemis.

Le cardinal, à la fin de 1635, un an avant les représentations du Cid, avait donné dans le Palaiscardinal, aujourd'hui le Palais-royal, la comédie des Tuileries, dont il avait arrangé lui-même toutes les scènes. Corneille, plus docile à son génie que souple aux volontés d'un premier ministre, crut devoir changer quelque chose dans le troisième acte qui lui fut confié. Cette liberté estimable fut envenimée par deux de ses confrères, et déplut beaucoup au cardinal, qui lui dit QU'IL FALLAIT AVOIR UN ESPRIT DE SUITE. Il entendait par esprit 'de suite la soumission qui suit aveuglément les ordres d'un supérieur. Cette anecdocte était fort connue chez les derniers princes de la maison de Vendôme, petits-fils de César de Vendôme qui avait assisté à la représentation de cette pièce du cardinal.

Le premier ministre vit donc les défauts du Cid avec les yeux d'un homme mécontent de l'auteur; et ses yeux se fermèrent trop sur les beautés. Il était si entier dans son sentiment, que quand on lui apporta les premières esquisses du travail de l'Académie sur le Cid, et quand il vit que l'Académie, avec un ménagement aussi poli qu'encourageant pour les arts et pour le grand Corneille; comparait les contestations présentes à celles que la Jérusalem délivrée et le PASTOR FIDO avaient

fait naître, il mit en marge, de sa main: «< L'applaudissement et le blâme du Cid n'est qu'entre les doctes et les ignorants, au lieu que les contestations sur les deux autres pièces ont été entre les gens d'esprit. »

Qu'il me soit permis de hasarder une réflexion. Je crois que le cardinal de Richelieu avait raison, en ne considérant que les irrégularités de la pièce, l'inutilité et l'inconvenance du rôle de l'infante, le rôle faible du roi, le rôle encore plus faible de don Sanche, et quelques autres défauts, Son grand sens lui faisait voir clairement toutes ces fautes, et c'est en quoi il me paraît plus qu'excusable.

Je ne sais s'il était possible qu'un hommé occupé des intérêts de l'Europe, des factions de la France, et des intrigues plus épineuses de la cour, un cœur ulcéré par les ingratitudes et endurci par les vengeances, sentit le charme des scènes de Rodrigue et de Chimène; il voyait que Rodrigue avait très grand tort d'aller chez sa maîtresse après avoir tué son père; et quand on est trop fortement choqué de voir ensemble deux personnes qu'on croit ne devoir pas se chercher, on peut n'étre pas ému de ce qu'elles disent.

Je suis donc persuadé que le cardinal de Richelieu était de bonne foi. Remarquons encore que cette ame altière, qui voulait absolument que l'Académie condamnât le Cid, continua sa faveur à l'auteur, et que même Corneille eut le malheureux avantage de travailler deux ans après à l'Aveugle

de Smyrne, tragi-comédie des cinq auteurs, dont le canevas était encore du premier ministre.

Il y a une scène de baisers dans cette pièce; et l'auteur du canevas avait reproché à Chimène un amour toujours combattu par son devoir. Il est à croire que le cardinal de Richelieu n'avait pas ordonné cette scène, et qu'il fut plus indulgent envers Colletet qui la fit, qu'il ne l'avait été envers Corneille.

Quant au jugement que l'Académie fut obligée de prononcer entre Corneille et Scudéri, et qu'elle intitula modestement SENTIMENTS DE L'ACADÉMIE SUR LE CID, j'ose dire que jamais on ne s'est conduit avec plus de noblesse, de politesse et de prudence, et que jamais on n'a jugé avec plus de goût. Rien n'était plus noble que de rendre justice aux beautés du Cid, malgré la volonté décidée du maître du royaume.

La politesse avec laquelle elle reprend les défauts est égale à celle du style; et il y eut une très grande prudence à se conduire de façon que ni le cardinal de Richelieu, ni Corneille, ni même Scadéri, n'eurent au fond sujet de se plaindre.

Je prendrai la liberté de faire quelques notes sur le jugement de l'Académie comme sur la pièce : mais je crois devoir les prévenir ici par une seule ; c'est sur ces paroles de l'Académie, « encore que le sujet du Cid ne soit pas bon. » Je crois que l'Académie entendait que le mariage, ou du moins la promesse de mariage entre le meurtrier et la fille

du mort, n'est pas un bon sujet pour une pièce morale, que nos bienséances en sont blessées. Cet aveu de ce corps éclairé satisfaisait à la fois la raison et le cardinal de Richelieu, qui croyait le sujet 'défectueux. Mais l'Académie n'a pas prétendu que le sujet ne fût pas très intéressant et très tragique; et quand on songe que ce mariage est un point d'his toire célèbre, on ne peut que louer Corneille d'avoir réduit ce mariage à une simple promesse d'épouser Chimène : c'est en quoi il me semble que Corneille a observé les bienséances beaucoup plus que ne le pensaient ceux qui n'étaient pas instruits de l'his

toire.

La conduite de l'Academie, composée de gens de lettres, est d'autant plus remarquable, que le déchaînement de presque tous les auteurs était plus violent c'est une chose curieuse de voir comme il est traité dans la lettre sous le nom d'Ariste:

cun,

:

« Pauvre esprit qui, voulant paroître admirable à chase rend ridicule à tout le monde, et qui, le plus ingrat des hommes, n'a jamais reconnu les obligations qu'il a à Sénèque et à Guilain de Castro, à l'un desquels il est redevable de son Cid, et à l'autre de sa Médée. Il reste maintenant à parler de ses autres pièces, qui peuvent passer pour farces, et dont les titres sculs faisoient rire autrefois les plus sages et les plus sérieux : il a fait voir une Mélite, la Galerie du Palais, et la Place royale; ce qui nous faisoit espérer que Mondory annonceroit bien tôt le Cimetière Saint-Jean, la Samaritaine, et la Place

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