페이지 이미지
PDF
ePub

qu'ils en ont jugé, et que peut-être je l'aurois justifié sans beaucoup de peine, si la même raison qui les à fait parler ne m'avoit obligé à me taire. Aristote ne s'est pas expliqué si clairement dans sa poétique, que nous n'en puissions faire ainsi que les philosophes, qui le tirent chacun à leur parti dans leurs opinións contraires; et comme c'est un pays inconnu pour beaucoup de monde, les plus zélés partisans du Cid en ont cru ses censeurs sur leur parole, et se sont imaginé avoir pleinement satisfait à toutes leurs objections, quand ils ont soutenu qu'il importoit peu qu'il fût selon les règles d'Aristote, et qu'Aristote en avoit fait pour son siècle et pour des Grecs, et non pas pour le nôtre et pour des François.

Cette seconde erreur que mon silence a affermie n'est pas moins injurieuse à Aristote qu'à moi. Ce grand homme a traité la poétique avec tant d'adresse et de jugement, que les préceptes qu'il nous en a laissés sont de tous les temps et de tous les peuples; et bien loin de s'amuser au détail des bienséances et des agréments, qui peuvent être divers selon que ces deux circonstances sont diverses, il a été droit aux mouvements de l'ame, dont la nature ne change point. Il a montré quelles passions la tragédie doit exciter dans celles de ses auditeurs; il a cherché quelles conditions sont nécessaires, et aux personnes qu'on introduit, et aux évènements qu'on représente, pour les y faire naître ; il en a laissé des moyens qui auroient produit leur effet

partout dès la création du monde, et qui seront capables de le produire encore partout, tant qu'il y aura 'des théâtres et des acteurs; et pour le reste, que les lieux et les temps peuvent changer, il l'a négligé, et n'a pas même prescrit le nombre des actes, qui n'a été réglé que par Horace beaucoup après lui.

Et certes je serois le premier qui condamnerois le Cid, s'il péchoit contre ces grandes et souveraines maximes que nous tenons de ce philosophe; mais bien loin d'en demeurer d'accord, j'ose dire que cet heureux poëme n'a si extraordinairement réussi, que parcequ'on y voit les deux maîtresses condi tions, permettez-moi cette épithète, que demandé ce grand maître aux excellentes tragédies, et qui se trouvent si rarement assemblées dans un même ouvrage, qu'un des plus doctes commentateurs de ce divin traité qu'il en a fait soutient que toute l'antiquité ne les a vues se rencontrer que dans le seul OEdipe. La première est que celui qui souffre et est persécuté ne soit ni tout méchant, ni tout vertueux, mais un homme plus vertueux que mé chant, qui, par quelque trait de foiblesse humaine qui ne soit pas un crime, tombe dans un malheur qu'il ne mérite pas: l'autre, que la persécution et le péril ne viennent point d'un ennemi, ni d'un' indifférent, mais d'une personne qui doive aimer celui qui souffre et en être aimée. Et voilà, pour en parler pleinement, la véritable et seule cause de tout le succès du Cid, en qui l'on ne peut

e.

méconnoître ces deux conditions, sans s'aveugler soi-même pour lui faire injustice. J'achève donc en m'acquittant de ma parole; et après vous avoir dit en passant ces deux mots pour le Çid du théâtre, je vous donne, en faveur de la Chimène de l'his toire, les deux romances que je vous ai promises.

J'oubliois à vous dire que quantité de mes amis ayant jugé à propos que je rendisse compte au public de ce que j'avois emprunté de l'auteur espagnol dans cet ouvrage, et m'ayant témoigné le souhaiter, j'ai bien voulu leur donner cette satisfaction. Vous trouverez donc tout ce que j'en ai traduit imprimé d'une autre lettre, avec un chiffre au commencement, qui servira de marque de renvoi pour trouver les vers espagnols au bas de la même page. Je garderai ce même ordre dans la Mort de Pompée pour les vers de Lucain : ce qui n'empêchera pas que je ne continue aussi ce même changement de lettre, toutes les fois que mes acteurs rapportent quelque chose qui s'est dit ailleurs que sur le théâtre; ou vous n'imputerez rien qu'à moi si vous n'y voyez ce chiffre pour marque et le texte d'un autre auteur au-dessous.

[ocr errors]
[ocr errors]

* Le format de cette édition ne nous a pas permis de rapporter ces passages, que Corneille lui-même a jugés peu nécessaires, puisqu'il les a supprimés depuis dans une édition faite sous ses yeux.

ROMANCE PRIMERO.

DELANTE el rey de Leon

Doña Ximena ura tarde

Se pone à pedir justicia
Por la muerte de su padre.

Para contra el Cid la pide,
Don Rodrigo de Bivare,
Que huerfana la dexò,
Niña, y de muy poca edade.

Si tengo razon, o non,
Bien, rey, lo alcanças, y sabes
Que los negocios de honra
No pueden disimularse.

[blocks in formation]

Encomendada me tienes,

No consientas que me agravies, Que el que à mi se fiziere

A tu corona se faze.

Calledes, doña Ximena,
Que me dades pena grande,
Que yo dare buen remedio
Para todos vuestros males.

Al Cid no le he de ofender,
Que es hombre que mucho vale;
Y me defiende mis reynos,
Y quiero que me los guarde.

Pero yo farè un partido
Con el, que no os este male,
De tomalle la palabra
Para que con vos se case.

Contenta quedò Ximena,
Con la merced que le faze,
Que quien huerfana la fizò
Aquesse mismo la ampare.

« 이전계속 »