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Un fait rapporté par l'Abbreviateur, donne lieu de penfer que Syagrius poffedât outre la Cité de Soiffons, celle de Troyes ou du moins une partie de cette derniere. Nous verrons que Clovis durant le tems qui s'écoula entre la conquête des Etats de Syagrius faite en quatre cens quatre-vingt-fix, & fon mariage avec Sainte Clotide fait en l'année quatre cens quatre-vingtdouze, ne fit point d'autre acquifition dans les Gaules, que celle de la Cité de Tongres. (a) Cependant l'Abbreviateur dit que Clovis vint attendre à Villers ou Villery, lieu du Diocèse de Troyes, cette Princeffe qui venoit de la Cour du Roi Gondebaud, & qui s'avançoit pour fortir du pays tenu par les Bour- Valefii, no guignons, & entrer fur celui qui étoit tenu par les Francs. Il tit. Gall. pag. femble donc que Clovis fût devenu le maître de la Cité de 609. Troyes, dès le tems qu'il s'étoit emparé des Etats tenus par Syagrius; & par conféquent que cette Cité fît partie du fur lequel Syagrius regnoit. Il eft vrai que Gregoire de Tours ne dit point jufqu'où Clovis s'avança pour recevoir Clotilde, mais l'Abbreviateur peut avoir appris cette circonftance de leur mariage, ou de la tradition, ou de quelqu'ouvrage que nous n'avons plus.

pays

Il est toujours certain que l'autorité de Syagrius ne s'étendoit point fur toute la partie des Gaules qui étoit encore réellement foumife au pouvoir de l'Empereur de Rome. Quelques Ecrivains modernes l'ont cru, mais le récit des évenemens de cette guerre montrera bien que l'opinion dont je parle est une erreur. On verra en premier lieu par ce récit, que des Cités renfermées dans les Provinces Obéïffantes ne prirent aucune part à la guerre de Syagrius contre Clovis: Elles ne tirerent point l'épée pour deffendre ce Romain. En fecond lieu on verra que les Ĉités fituées entre la Somme & la Seine, ne reconnurent le pouvoir de Clovis qu'en quatre cens quatre-vingtdouze, & que ce fut feulement en quatre cens quatre-vingtdix-fept que les troupes Romaines prêterent ferment de fidelité au Roi des Francs, & qu'elles lui remirent la partie des Provinces obéiffantes qui étoit fur la Loire. Cependant il est conftant par l'Hiftoire qu'immédiatement après la défaite & la mort de Syagrius, qui font des évenemens appartenans à

(a) Chrotechildis vero cum appropinquaffet Villariaco in quo Chlodoveus refi debat in territorio Tricaffino, adhuc ante

quam terminos Burgundiæ Chrotechildis
præteriret.

Hift. Franc. Ep. cap. decimo nono.

l'année quatre cens quatre-vingt-fix, Clovis s'empara de tout le pays fur lequel regnoit Syagrius.

Je crois trouver dans une des Lettres écrites par Sidonius Apollinaris à Syagrius, le motif qui aura fait prendre les armes à Clovis contre le Roi des Romains en quatre cens quatrevingt-fix, c'est-à-dire, quatre ou cinq ans après que cette Lettre eût été écrite. Le Lecteur voudra bien fe fouvenir ici de ce que nous avons dit ci-deffus concernant la Famille Syagria, & que dès l'année trois cens quatre-vingt-deux elle avoit eu un Conful appellé dans les Fastes Afranius Syagrius.

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» Etant arriere petit-fils en ligne masculine d'un Conful, » comme vous (a) l'êtes, & ce qui fait encore plus à notre fujet, étant defcendu d'un Poëte, à qui fes Ouvrages chéris » de tout le monde, auroient fait ériger des ftatuës, fi fes di» gnités ne lui en euffent pas fait élever, comment avez-vous » voulu devenir fi fçavant dans la Langue Germanique? J'étois » bien informé que vous aviez étudié avec fruit les Lettres Latines, & que vous aviez donné plus d'une preuve du fuccès » de votre application; mais comment avez-vous fait pour apprendre fi parfaitement la prononciation, & pour prendre » fi bien l'accent d'une langue étrangere? Comment s'eft pû » faire cette efpece de métamorphofe, qui a changé en un Germain, un Romain qui lifoit fans ceffe Virgile & Cice»ron. (b) Vous ne fçauriez croire à quel point vos amis, au » nombre defquels j'ofe me mettre, fe réjouiffent quand ils » entendent dire, que les Barbares craignent de faire des bar» barismes, en parlant devant vous leur langue naturelle. Je » vois les vieillards des Nations Germaniques vous regarder » avec furprise quand vous leur rendez le fens des Lettres écri»tes en Latin. Ils vous prennent pour conciliateur dans leurs » conteftations, & pour arbitre dans leurs procès. Vous êtes »le Solon des Bourguignons, lorsqu'il s'agit du veritable sens » de leur Loi. Vous êtes l'Amphion qui accorde cette lyre » mal montée. On vous aime, on vous fouhaite, on vous

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(a) Sidonius Syagrio fuo falutem. Cum fis Confulis Pronepos, idque per yirilem fucceffionem, &c.

Sidon. Epift. quinta libri quinti.·

(b) Eftimari minime poteft quanto mihi ceterifque fit rifui quoties audio quod te præfente formidet facere linguæ fuæ Barbarus Barbarifmum. Adstupet tibi epiftolas in

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terpretanti curva Germanorum fenectus, & negotiis mutuis arbitrum te difceptoremque defumit. Novus Burgundionum Solon in Legibus differendis, novus Amphion in citharis fed tricordibus temperandis; amaris frequentaris, expeteris, oblectas, eligeris, decernis, audiris.

Ibidem.

>> recherche

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» recherche, on vous prend pour médiateur, pour juge, l'on » en paffe par votre avis, & l'on s'en tient à vos décifions. Quoique ces Peuples groffiers connoiffent auffi peu les Arts » qui forment l'efprit, que ceux qui dénouent le corps, vous » ne laiffez point en vous faifant admirer, de leur infinuer des fentimens de vénération pour la Nation Romaine? Que peu» vent-ils en effet penfer de nous, quand c'est un Romain qui » leur apprend à parler correctement leur propre langue. Je » finis. Continuez à vous faire aimer & par eux & par nous. » Continuez d'employer vos heures perdues à la lecture de nos » bons Auteurs, afin de ne point vous expofer aux inconvéniens qui vous arriveroient, fi vous alliez oublier votre langue naturelle; mais auffi entretenez-vous toujours dans l'ufage de » la langue Germanique, (a) afin d'en faire mieux accroire » dans l'occafion,

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patron

Avant que de faire mes obfervations fur cette Lettre, il ne fera point hors de propos de dire que nous avons encore deux autres Epîtres de Sidonius adreffées à ce Syagrius, que toutes les convenances veulent être le même Romain contre qui Clovis eut affaire. Dans la premiere de ces deux Epîtres, Sidonius re- Ep. 4. lib. 2. commande à Syagrius un Citoyen diftingué, nommé Projectus, qui vouloit époufer une fille de famille, & qui fe trouvoit fous la dépendance de ce Syagrius, lequel étoit à la fois fon & fon tuteur. Dans la feconde de nos Epîtres, Sidonius repro- Ep. 8. lib. 8. che à Syagrius un trop long féjour à la campagne, & il lui parle toujours comme à un homme de grande confidération. (b) Il l'appelle la fleur de la jeuneffe des Gaules, il lui dit que la Patrie attend de lui des fervices, & il le fait fouvenir que fes ancêtres ont rempli les plus grandes dignités de l'Etat. Si la fuscription de ces Lettres Sidonius, Syagrio fuo falutem, paroît un peu familiere, qu'on fonge à l'ufage des Romains, & qu'on penfe que Sidonius étoit lui-même un homme de très-grande confidération,& qu'il ufe de la même formule en écrivant à Riothame, qui avoit actuellement un commandement confidérable. La Lettre que Sidonius lui écrivit alors, a été rapportée ci-dessus. Ileft donc faux qu'il y ait dans les Lettres écrites par Sidonius à Syagrius, & qui ont été écrites en des tems differens, rien qui montre que ce Syagrius ne foit pas le Syagrius fils d'Egidius.

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La fin de la Lettre dont nous venons de donner la traduction & à laquelle je reviens, ne paroît qu'un badinage; mais elle pouvoit bien renfermer un fens très-férieux, & avoir rapport à quelque projet important que les Romains méditoient alors, pour chaffer des Gaules toutes les Nations Barbares, en armant les unes contre les autres.

Comme les Bourguignons tenoient la Cité de Langres, leurs quartiers touchoient à celle de Troyes, & ils s'avoifinoient du moins affez de la Cité de Soiffons où Syagrius faifoit fa réfidence ordinaire, pour que ces Barbares y vinffent le confulter; mais comme Sidonius parle d'abord des Germains en général, on peut bien croire que les Francs du Tournaifis & ceux du Cambréfis étoient auffi du nombre des Barbares qui prenoient Syagrius pour conciliateur & pour arbitre. On doit même le penfer d'autant plus volontiers. que fon pere Egidius avoit gouverné durant un tems les Sujets de Childéric devenus depuis ceux de Clovis. Les Etats de ce Prince qui pouvoit bien tenir quelque canton du Vermandois, s'approchoient par conféquent de bien près des Etats de Syagrius, s'ils n'y confinoient pas. Il ne faut point croire que les Rois Barbares, quand ils avoient occupé une Cité, refpectaffent beaucoup les bornes légales que les Empereurs Romains avoient prefcrites à fon territoire, & que les convenances ne les portaffent point fouvent à envahir quelque canton des Cités limitrophes. Childéric avoit bien pû non-feulement s'emparer de la partie du Vermandois qui eft à la droite de la Somme, mais engager encore la Tribu des Francs établie dans le Cambréfis, à lui céder une portion du Cambréfis, moyennant quelque compenfation. Ainfi les Sujets de Clovis n'avoient point un grand chemin à faire, lorfqu'ils vouloient aller porter leurs conteftations devant Syagrius; & ils y auront été d'autant plus volontiers, qu'outre qu'ils avoient été gouvernés autrefois par Egidius pere de ce Romain, leur Roi fortoit à peine de l'enfance. Les hommes ne font point prévenus en faveur des Juges d'un pareil âge. Or Clovis ne pouvoit point avoir plus de feize ou dix-fept ans lorfque Sidonius écrivit la Lettre que nous venons de rapporter. Ce Prince qui, fuivant Gregoire de Tours, avoit quarante-cinq ans quarante-cinq ans lorfqu'il mourut en cinq cens onze, ne devoit pas avoir, comme on l'a vû, plus de quinze ans lorfqu'il fuccéda en quatre cens quatre-vingt-un à Childéric; d'un autre côté, il faut que la Lettre de Sidonius ait été écrite au plus tard en quatre cens quatre-vingt-deux, Sidonius mourut cette année-là.

Dès qu'on expofe à des hommes raisonnables, mais qui ne connoiffent point encore les avantages des loix écrites & des Tribunaux réglés, les bons effets de la Jurifprudence qui prévient ou qui termine paifiblement des différends & des querelles qui fans elle ne finiroient que par des violences & par des combats, ils fe préviennent naturellement en faveur de cette science, & ils conçoivent une espece de vénération pour ceux qui l'ont apprife. Auffi les Romains croyoient-ils que le moyen le plus efficace qu'ils puffent mettre en œuvre pour apprivoifer & pour accoutumer à l'obéïffance les Barbares qu'ils fubjuguoient, étoit celui de leur faire rendre la juftice fuivant une Loi écrite & par des Tribunaux reglés. En effet les Barbares fe prévenoient d'abord en faveur de ces nouveaux maîtres, qui faifoient regner l'équité, & une raifon défintereffée à la place de la violence & des paffions. Ce fentiment étoit fi bien le fentiment général des Barbares foumis de bonne foi à la domination de Rome, qu'Arminius voulant ébloüir & furprendre Varus qui commandoit pour Auguste dans une partie de la Germanie fubjuguée depuis peu, commença par feindre, & par faire feindre à fes amis, ce fentiment de prévention & de refpect pour les Loix & pour les Tribunaux Romains. (4) Les Chérufques, dit Paterculus, » qu'on ne croiroit jamais, à les voir fi féroces, pouvoir être » auffi rufés qu'ils le font en effet, feignoient fans ceffe d'avoir » des procès les uns contre les autres. Enfin foit en plaidant "fur des conteftations qu'ils n'avoient point, foit en remer»ciant Quintilius Varus de terminer paifiblement des diffe»rends qui n'auroient pas fini fans effuffion de fang, s'il ne » les eût pas décidés, foit en vantant l'équité des Loix Ro»maines fi propres, difoient-ils, à civilifer les Nations les plus » fauvages, ils vinrent à bout de faire tomber le Général Ro"main dans une fécurité funefte. Varus ne fe tenoit pas mieux fur fes gardes dans un camp affis au milieu de la Germanie, que s'il eût été dans un Tribunal dreffé au milieu de Rome, Tout le monde fçait ce qui en arriva, & que l'armée d'Augufte fut furprife & taillée en pieces par les Chérufques, qui en avoient impofé à Varus, en témoignant pour la Jurifprudence Romaine les fentimens de vénération que les Barbares prenoient naturellement (a) At illi in fumma feritate verfutiffimi, | & folita armis difcerni jure terminarentur, fictas litium feries, & nunc provocantes al- in fummam focordiam perduxere Quintiterutrum injuria, nunc agentes gratias quod lium. cas Romana juftitia finiret, feritafque fua novitate incognitæ difciplinæ mitefceret,

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Velleius Paterculus Hift. lib. 2.

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